La comparaison entre l’expédition française de 1830 en Algérie et une nécessaire intervention terrestre (en plus de l’action en mer de la Task Force) au Puntland (région autonome de Somalie considérée comme « royaume de pirates ») semble être seulement un raccourci. De plus amples recherches mériteraient d’être effectuées sur ces phénomènes ancrés dans l’histoire.
Les uns sont des corsaires, possédant une lettre de course délivrée par le bey d’Alger ou le dey de Tunis. C’est une attestation nécessaire pour se livrer à leurs activités. Les marchandises saisies sont débarquées et la vente dans les marchés locaux développent la prospérité de quelques potentats locaux. Les équipages sont quand à eux réduits en esclavage. Dans la corne de l’Afrique, ce sont des pirates. C'est-à-dire qu’ils travaillent à leur compte, n’ayant aucune contrainte puisque le Puntland se caractérise par une faiblesse gouvernementale (pour ne pas dire une absence). Les cargaisons et les membres des équipages sont généralement échangés contre le paiement d’une rançon qui est la source de subsistance de ces « oubliés de la mondialisation ».
Les uns bénéficient de ports refuge en Méditerranée où se situe leur principale zone d’action. Au début du XIXème siècle, cette espace maritime reste une plaque tournante du commerce. Il est vrai que son intérêt est encore réduit par l’absence du canal de Suez (percé en 1869). Le transport doit se faire par voie terrestre pour relier l’Océan Indien ou par le contournement de l’Afrique via le cap de Bonne espérance. Aujourd’hui le passage par le canal de Suez est un des goulets d’étranglement pour le passage des navires venant d’Asie ou des pays du Golfe. Ainsi porte-containeurs et supertankers traversent quotidiennement le golfe d’Aden.
Pour lutter contre les corsaires, dont l’activité augmente sensiblement à la fin de l’ancien Régime (sans atteindre le niveau d’avant le XVIème siècle), les flottes européennes se mobilisent en bombardant régulièrement les repaires corsaires. Par exemple en 1816, ce sont deux puissances commerciales, Grande-Bretagne et Pays-Bas qui conjointement attaquent la flotte algérienne. Les États-Unis s’y mettent aussi. Ainsi en 1815, une escadre dirigée par la capitaine Decatur contraint les autorités locales à la signature d’un traité.
Il est alors intéressant de feuilleter les rapports de l’époque à propos de la nécessité d’une intervention. On aura en mémoire la substance des discussions contemporaines.
Un poète italien, de retour d’Alger, écrit : « le simple principe de représailles autorise une semblable entreprise ; et son chef serait justifié en indemnisant les puissances de l'Europe de ces sacrifices que nécessitent les longues et continuelles agressions des chefs barbaresques ».
À la Chambre des Pairs (chambre haute de la monarchie constitutionnelle) M. de Chateaubriand explique que « de petits intérêts de commerce ne peuvent plus balancer les grands intérêts de l'humanité : il est temps que les peuples civilisés s'affranchissent des honteux tributs qu'ils paient à une poignée de barbares. »
Au congrès de Vienne en 1814 (en plus de discuter de l’Europe de l’après Napoléon), l’envoyé de l’Angleterre explique que : « Ce honteux brigandage ne révolte pas seulement l'humanité ; mais il entrave le commerce de la manière la plus nuisible, puisqu'un marin ne peut naviguer aujourd'hui […], sans éprouver la crainte d'être enlevé par ces pirates ».
Finalement, c’est la France qui interviendra définitivement. La réponse à la menace barbaresque doit être replacée à sa juste valeur. En 1827, le dey d’Alger HUSSEIN soufflète l’envoyé de la France DUVAL. Le français vient d’annoncer que des prêts contractés par le Directoire (pour l’achat de blé lors de l’expédition égyptienne de Napoléon) ne seront pas remboursés par la Restauration. Cet épisode est anecdotique, aucune mesure n’est prise immédiatement. La France se saisit pourtant de ce prétexte pour débarquer à Sidi Ferruch au mois de juin 1830. Charles X, chahuté par les députés, a la nécessité de redorer son blason. Les volontés d’émancipation coloniale ou la nécessité d’ouverture de nouveaux marchés sont sans doute les véritables raisons de l’arrivée pour 130 ans de la France en Algérie.
Intéressante comparaison... ayant particulièrement étudié le cas somalien, je devrais lire sur la piraterie actuelle et celle passée que tu évoques ici.
RépondreSupprimerEn tout cas la lecture de ton billet me donne envie de le faire !
A+
Stéphane.
Entre historien (tu es un peu plus avancé que moi), on comprend l'intérêt d'une certaine approche comparatiste.
RépondreSupprimerJe me suis plongé dedans en voyant un peu partout (hélas même chez des journalistes de grandes publications considérés comme sérieuses) des comparaisons à tort et à travers...
Donc voulant jouer à mon humble niveau, le redresseur de torts et le justicier, j'ai un peu fouiné dans cette direction.
Pour information, à un étudiant qui passerait par là, il peut y avoir la place sur cette problématique pour un mémoire de master. Les barbaresques n'ont pas été étudiés de fond en comble à mon avis.
Sur la piraterie somalienne, je propose d'ailleurs une série de billet : www.is-pal.blogspot.com
RépondreSupprimerMerci de l'information en exclusivité.
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