Dans le dernier numéro de DSI, le général (2S) Jean-Patrick Gaviard répond à cette question dans un article intitulé Mission de stabilisation et mission de guerre : quel choix ? L’élève, que je suis, s’incline incontestablement devant le maître. J’ai hésité à publier ce billet écrit durant les vacances. Sans aucun doute quelques répétitions mais des conclusions divergentes et des désaccords donc allons-y comme même ! C’est avec regret que je vois que lui aussi arrive à un constat récurrent (mal développé sur ce blog) : « un truc » cloche au niveau de la liaison entre politique et militaire.
Ensuite, quelle joie de voir un article fort bien écrit d’un stagiaire français du CID (« ex et sans doute future » Ecole de Guerre) : Le « caporal stratégique » est-il notre ennemi ? Ainsi, un très bon DSI quand on y ajoute les articles sur la dissuasion nucléaire.
Enfin, derrière les termes de « conventionnel », « haute-intensité » en opposition à « non-conventionnel », « basse intensité » se cachent à tort et à travers selon chacun (en premier moi) des situations idéalisés et modélisées, comprises ou non, intériorisées ou négligées, probables ou oubliées, etc. Et pourtant, la sémantique est d'importance!
Aujourd’hui, les problématiques engendrées par la contre-insurrection semblent irriguer une large part de la réflexion stratégique menée par les forces américaines et européennes. Pour faire face aux opérations contemporaines, ces armées nationales adaptent petit à petit leurs modes opératoires, matériels, entrainements, etc. Au mois d’août 2008, le conflit entre l’armée russe et géorgienne rappelle la permanence d’un conflit conventionnel, type d’affrontement que certains pensaient désuet. Sa brièveté (une dizaine de jours) ne permet pas une patiente adaptation semblable à celle permises par les longues phases de stabilisation post-intervention. Ainsi, il serait nécessaire de développer en priorité des compétences nécessaires à mener un conflit conventionnel qui doit servir de base s’il faut pour un conflit non-conventionnel. Pourtant, dans le cadre des missions qui leurs sont confiées, les mêmes armées doivent demeurer aptes à mener avec la même réussite un conflit conventionnel que non-conventionnel.
Une armée qui pendant des années aurait eu à faire face à des conflits non-conventionnels ne serait plus prête à mener un combat de haute-intensité. Ainsi en 2006, Tsahal aurait été affadie par plusieurs années d’opérations de basse intensité dans les « territoires occupées ». Ceci expliquerait, entre autres raisons, son incapacité à prendre des villages fortifiées et défendues par les unités du Hezbollah, à Bint Jbeil le 28 juillet par exemple. Par comparaison (qui n’est pas raison), cela serait le risque qu’encourt les armées préalablement citées lors de futurs affrontements conventionnels. Pour éviter ce risque, certains arriveraient presque à répondre par l’affirmative à la question suivante : faut-il perdre la guerre d’aujourd’hui pour être prêt à gagner celle de demain ?
Dans les opérations menées quotidiennement dans le cadre de la COIN afghane, il y a des combats de haute-intensité lors d’embuscades de plusieurs heures comme des tirs sporadiques répétitifs de basse-intensité, des attaques de FOB où une section de 35 Marines fait face à 200 insurgés pakistano-afghans, des opérations avec des chars lourds, hélicoptères et avions de chasse qui appuient des fantassins au sol, etc. En Géorgie, les SU-25 Frogfoot et les différents modèles de Hind, T-80 ou BMP remplacent les A-10 Thunderbolt, hélicoptères Apache, M1-Abrahams des rues de Bagdad ou Strykers. Malgré les mauvaises liaisons, les avions russes appuyaient les troupes au sol comme ce qui se fait quotidiennement sous d’autres latitudes. Les soldats épaulaient leurs AK-47, visaient, tiraient comme ailleurs avec des FAMAS, M-16 et autres fusils d’assaut. Cet été, il fallait discriminer avant de frapper les adversaires portant un treillis uni comme des tenues plus dépareillées. Les colonnes de civils fuyant les combats ont un sort aussi peu enviable que les réfugiés afghans quittant leurs maisons bombardées par erreur. Et la liste peut continuer : images des pillages des milices indépendantistes passant sur les télévisions qui avaient montrées les scandales sur le traitement des prisonniers irakiens, soldat russe tirant sur la voiture d'un ambassadeur européen comme un GI’s face à une voiture qui ne ralentit pas à son check-point. Le conflit russo-géorgien est bien ancré dans le 21ème siècle et il n’est pas celui d’hier : médias, technologie, population, « caporal stratégique », appui-feu air/sol de précision, etc. Cela donne d’ailleurs plus de poids à l’affirmation : cette forme d’affrontement peut se reproduire dans le futur.
Ainsi, plutôt que de savoir si une armée qui aurait été transformée en une équipe d’actions civilo-militaires (sachant seulement serrer les mains dans la rue avec le sourire) était encore capable de prendre et tenir une position ou culbuter une ligne de front et exploiter la percée, il faut surtout faire remarquer : il existe des invariants aux niveaux tactique comme opératif dans n’importe quel type de conflit probable d’aujourd’hui, de demain et peut être d’après demain. Ces derniers paraissent pour le moment plus nombreux et structurants que les particularismes. Ainsi, force est de constater que la doctrine de l’USMC « Every Marines is a rifleman » semble, par exemple, pertinente : pas de concession sur le socle commun de base puis ensuite appliquer un vernis en fonction des situations et des spécialités. Ce qui semble nécessaire n’est pas une distinction nette entre des compétences non-interdépendantes : cela permettra d’éviter le piège de « l’un sans l’autre » ou « mal d’un peu des deux ». La viscosité des structures ou la durée du développement des technologies sont certainement des freins à une possible réversibilité permanente (à développer comme une pragmatique nécessité). Est alors nécessaire une posture intellectuelle qui comprend les changements et réagit en actes.
Finalement que cela soit dans les formations de base, les scénarios d’exercice ou les réflexions, ce n’est pas uniquement un « contre-insurgé » qui est modelé. Les FORAD (FORce ADverse ou « ennemi générique pour l’entrainement et l’instruction des forces ») des centres d’entrainement sont encore régulièrement configurées avec des chars lourds, des pièces d’artillerie, etc. L’enfermement dans une voie d’unique de COIN est un danger à éviter mais certainement pas ENCORE une réalité : Action en Zone Urbaine (AZUR), défense sol-air (par des études sur la guerre des Malouines) ou opérations amphibies restent des priorités du commandement aux exécutants.
L’expérience engrangée aujourd’hui (dans toutes les fonctions : combat, commandement, etc.) par des armées endormies lors d’années de sommeil et de routine ne peut être que bénéfique pour le futur. Savoir de quoi le futur sera fait permet de s’y préparer. Mais voilà, nous n’en avons qu’une connaissance partielle et nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise. Donc prenons en acte.
Bonjour,
RépondreSupprimerConcernant la bataille de Bint Jbeil, pour le Hezbollah, les lignes de défense étaient préparées de longue date, en territoire ami. Personnellement, je doute de la défaite d'Israël car la ville a été presque rasée (et presque reconstruite la dernière fois que j'y suis passé), la population est traumatisée (elle a peur au moindre risque de guerre) et le Hezbollah, malgré des déclarations en apparence belliqueuses, est resté toutes "armes" (y compris non militaires) au pied durant le conflt de Gaza.
Je suis d'accord avec l'idée maitresse de votre billet. Nous sommes tout de même bien marqué par juin 40 et les risques d'inadaptation de notre outil militaire. C'est sain.
Cordialement
SD
Bonjour,
RépondreSupprimerPour une réponse en plusieurs points:
- Le HZB avait l'initiative du terrain et la "supériorité de la défense" clausewitzienne (réduite à sa plus simple expression) a joué face à l'initiative du déclenchement de l'offensive côté IDF.
- Pour la victoire: au "body count", succès du HZB (18 morts en un jour fin juillet pour les paras israéliens). Au "gagne-terrain" même vainqueur car Bint Jbeil même rasée n'a été que partiellement pris et même "prise, reculade puis reprise". Et pour l'opinion ( qui compte dans la notion de victoire): la population est apeurée par la confrontation, soit. La "riposte disproportionnée" (donc la peur de la prochaine réaction des IDF face à toute provocation HZB) aurait marché sur le terreau populaire du HZB?
Je ne suis convaincu pas car:
1. la pieuvre d'un mouvement social comme le HZB est réellement impressionnant (puis voir ensuite l'image en hausse du HZB dans la population: capable de remporter la majorité au Parlement pour certains analystes: méfiance face à ses dires mais comme même...).
2.Finalement, surtout aux alentours de la première ligne de défense du HZB, si les installations sont au cœur des villages, la population n'y était pas: commençant à fuir quelques kilomètres derrière où alors la discrimination devenait périlleuse. Donc l'appui de la population qui n'a pas servi longtemps de boucliers humains à l'avant serait à relativiser.
- Le Hezbollah ne cherche pas la confrontation forcément face à Israël (à propos de fin 2008) par tous les moyens. Premier résistant et défenseur du Liban (titres de gloire acquis en 2006) lui suffisent pour des vues (pour le moment) assez local (à la taille du Liban) sans doute pour le moment.
- Quant à juin 40 et l'adaptation de l'outil militaire français depuis ce moment (je ne peux remonter avant par manque de connaissances précises), patience pour un prochain billet...
- Enfin, pourriez-vous me contacter par mail: le mien est dans mon profil en haut à droite sur la page d'accueil. Merci.
F. de St V.
Modification et mise à jour :
RépondreSupprimerCe n'est pas 18 morts en un jour à Bint Jbeil mais la moitié:9. J'ai fait de la désinformation sans le vouloir...
Ensuite pour aller dans le sens de SD: aucune information sur les pertes côté HZB? Car, en plus que pour les paras israéliens, un tué hezbolli, c'est la perte d'une expérience du combat réel et des années d'entraînement au sein d'un vivier pas extensible à l'infini.