La conférence internationale sur l’Afghanistan de Londres n’a pas encore eu lieu que déjà les décisions, les grandes lignes et presque tous les détails sont connus de tous. Le mot d'ordre est plus réorientions nos efforts plutôt que changeons nos efforts.
Il faut tout d’abord rappeler que c’est seulement la « je-ne-sais-pas-combientième » conférences après Bonn en décembre 2001, Tokyo en janvier 2002, Berlin en mars 2004, Londres, en janvier 2006, Paris en juin 2008 ou encore La Haye en mars 2009. Sans compter celles que j’oublie, les réunions informelles (comme celle qui a eu lieu hier à Istanbul entre les pays voisins de l’Afghanistan) et les sommets de l’OTAN (si la FIAS agit sous un mandat onusien, c’est l’OTAN qui la commande) : Riga en novembre 2006, Bucarest en avril 2008 ou encore Strasbourg-Kehl en avril 2009.
Seront donc présents à Londres les acteurs afghans hors Taliban et autres insurgés (même si certains sont plus fréquentables depuis qu’ils ne sont plus sur la liste tenue par l’ONU depuis 1999 sanctionnant certains terroristes), les ministres des Affaires étrangères de la coalition internationale, les représentants des pays voisins (Inde, Russie, Pakistan, les autres républiques se finissant pas « stan », etc. hors l'Iran qui juge l'initiative "inutile" et l'Arabie Saoudite qui c’est déclarée « solidaire des taliban ») ainsi que des grandes organisations internationales (ONU, OTAN, UE, Banque Mondiale, etc.) et les générateurs donateurs.
Largement commentée dans les médias, la stratégie de réintégration des insurgés dans la société afghane sera sans doute ce qui distinguera cette conférence des précédentes. Plus que sur le distinguo réconciliable/irréconciliable, les débats s’orientent autour des deux raisons (seulement deux … !) qui poussent ces individus (l’analyse est souvent centrée sur les individus plus que sur les groupes…) à prendre les armes : idéologie ou précarité. Pour les deuxièmes, il est nécessaire de proposer des nouvelles perspectives sociales et financières avec la création d’un fond spécial pour favoriser des emplois réservés tout en leur offrant des primes attractives (la partie décriée de l'affaire...). C’est donc un embryon de solution politique qui se dessine tout en sachant que les élections parlementaires sont déjà repoussées de mai à septembre 2010…
L’autre sujet de discussions concerne le Transfer of Lead Security Responsibility qui démontre l’autonomie de certaines unités afghanes à assurer elle-même la sécurité. Le transfert est progressif et ne marque pas pour autant la fin du partenariat : association ANA/FIAS de la planification à l’exécution des opérations, localisation sur les même bases, interdiction de mener des opérations sans l’ANA, etc. Depuis le 28 août 2008 dans le centre de Kaboul, au Nord de la capitale depuis le 31 octobre, et à l’Ouest et au Sud depuis le 31 décembre 2008, les unités de la coalition ne sont plus qu’en troisième rideau derrière la police et l’armée nationale afghane.
Cette « transition progressive » concerne aussi les pouvoirs civils avec des administrateurs compétents mais aussi en nombre suffisant… Lourde tâche pour Mark Sedwill, nouveau Haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan malgré la hausse du personnel de sa représentation. Les débats se concentrent alors sur l’envoi ou non de civils pour un « surge civil » (raccourci stylistique sans aucun rapport avec le « surge » irakien mais dont l’emploi fait croire à certains qu’ils sont intelligents…), sur le montant des fonds débloqués et sur son utilisation : lutte contre la drogue, efforts sur l’agriculture, etc.
Au niveau franco-français, les seuls paris encore ouverts sont sur les renforts envoyés. Et là, seul le nombre reste un mystère puisque l’on connaît déjà la composition : des formateurs, même beaucoup de formateurs (sans doute gendarmes et militaires) et du génie « civilo-militaire » pour l’aide au développement. Cela tombe bien car dès août 2009 dans son rapport, le GAL Mc Crystal indiquait qu’il souhaitait disposer d’une Armée Nationale Afghane à 170 000 hommes fin 2010 (un quasi doublement par rapport aux effectifs actuels) et environ 240 000 h à l’horizon 2014-2015. Ainsi qu’une police qui passe de 90 000 à 140 000 h. sur la même période.
Un accroissement de plus de 150 000 h en un an n’est ni le moindre ni l’unique défi qui attend ceux qui se portent au chevet du malade afghan gravement atteint du cancer. Sachant que la coalition, les États-Unis en tête, sait et annonce qu’un retrait en 2011 est dès aujourd'hui beaucoup trop optimiste pour être réalisable.
En complément l'article paru sur le site de l'IRIS qui reprend certains points: Afghanistan, à la veille de la conférence de Londres.
Très intéressant sur les "motivations" des insurgés. Il faut noter que la plupart des travaux empiriques sur l'Irak ou ce type de conflits invalident complètement le fait que l'idéologie et/ou la précarité soient des motivations en soi. Notamment la première (entendons ici que les Taliban attirent par le fanatisme religieux, absolutiste et irrationnel) qui ne convainc plus grand monde dans l'univers académique. On constate plutôt que la "religion" est un facteur par lequel des acteurs individuels ou collectifs peuvent expliquer leur action, mais qu'elle ne peut être séparée d'autres facteurs. Et notamment, il faut prendre en compte les considérations politiques et les dynamiques internes (parfois locales) entre les différents acteurs. La précarité elle-même peut être un déclencheur mais n'explique rien en elle-même.
RépondreSupprimerEnfin, tu as raison de souligner que l'on ne parle que peu des groupes. Alors qu'il semble bien qu'il faille aujourd'hui s'intéresser aux organisations pour saisir les enjeux.
Bref, il y a du boulot conceptuel à faire. Mais sinon, je ne sais vraiment pas si cette "combientième" conférence donnera quoi que ce soit.
@ ST: 100% d'accord avec ta dernière remarque et celles sur la dichotomie religion/argent.
RépondreSupprimerJe ne suis pas au courant de tout mais... L'approche par les individus est vraiment celle qui prévaut. On tente d'amadouer actuellement le chef et on espère que les autres suivront: le cas pour les Taliban de la Shura de Quetta ou le HiB de "l'ami" Gulbuddin Ekmatyar. C'est sans doute une mesure dans l'affolement du moment car le temps est contraint. C'est très linéaire comme réflexion car on espéré que des pans entiers s'écrouleront en "coupant" la tête : adieu donc tout modèle systémique...
Quant aux dynamiques internes plus ou moins locales de lutte de pouvoirs et de mimétisme entre eux, c'est complètement occulté. Pour le moment, on l'espère!