Une des quatre lignes d’opérations (lignes de cohérence permettant d’atteindre directement ou indirectement les centres de gravité adverse) de la FIAS en Afghanistan est la communication stratégique. Elle est apparue en août 2009 en plus des précédentes : sécurité (ligne principale), développement et gouvernance (lignes secondaires). Pour l’opération Moshtarak, on peut dire qu’elle a fonctionné de manière particulièrement intense en amont et pendant la prise d’un des villages tenus par les Taliban dans le sud de l’Afghanistan. Pour reprendre un anglicisme « savant », un véritable buzz (sur Facebook, Twitter, les sites institutionnels, par les prises de parole de grands dirigeants, etc.) s’est construit de manière délibérée autour de cette opération.
Comme le note Olivier Kempf, la surprise aurait été réduite (c'est un choix du commandement) au profit d’autres considérations. Alors même que l’Histoire semble indiquer que c’est un des éléments constitutifs de la réussite ou non d’une opération : le Débarquement en Normandie et non dans le Nord-Pas de Calais, Pearl Harbour, l’offensive des Ardennes, les chars dans la Somme, etc. Il est possible d’aller plus loin tout en relativisant un peu.
La surprise, déclinable en plusieurs pans, est un des éléments permettant au chef de conserver sa liberté d’action. De même, en négatif, il est important de se préserver de la surprise adverse par des mesures de sûreté. Pour l’opération Moshtarak,
- il est évident que le lieu est connu de tous. Les Taliban peuvent donc se retrancher en fortifiant leurs postes de tir, piégeant en pagaille les accès et les habitations, etc.
- la date n’était pas tellement plus difficile à définir : entre les déclarations d’intention, les fuites et les préparatifs peu discrètes d’une opération à 15 000.
- la doctrine n’est pas nouvelle et doit mener à une intégration civilo-militaire, un partenariat avec les Afghans, et une conduite sensée du développement et de la gouvernance.
- la méthode employée était elle par contre beaucoup moins connue.
Concernant les civils, la gestion de la surprise (ou plutôt son absence) a des conséquences plus ambiguës. Ils sont au courant de l’imminence de l’opération et inquiets pour leur sécurité, beaucoup (environ 10 000 sur 80 000) préfèrent fuir vers la capitale régionale, Lashkar Gar. Tout le monde note alors (complètement à tort selon moi tant c’est incomparable) les similitudes avec la prise Fallujah en novembre 2004, vidée de ses habitants. L’absence de civils dans la zone de combats permet un emploi maximal et quasiment sans restriction de la puissance de feu. Or, les tracts largués, les appels à la radio et les déclarations officielles exhortent les habitants à rester chez eux. En effet, plus que la prise de Marjah, la phase la plus importante de l’opération doit se dérouler dans la foulée, au profit et surtout avec la population par la mise en place d’une shura, la réouverture du marché, les projets de développement de la culture du froment, etc.
Une autre finalité est de préparer les nations contributrices à des pertes inévitables. Ainsi, Gordon Brown en personne exhortait les Britanniques à "être forts", Robert Gates faisait de même, etc. Il faut se préparer au pire avec les IED et autres pièges : surtout que les Taliban ont refusé la Paix des Braves proposée par Hamid Karzaï et ne déposant pas les armes, indiquent qu’ils résisteront. Et si cela se passe bien ou moins mal prévu, tant mieux.
Cette stratégie de communication et l'absence relative de surprise sont donc pleinement dans la logique du général Mc Crysthal : limiter les pertes chez l’adversaire (déclarations sur la réconciliation, la réintégration, pas de body count, etc.), protéger la population en allant à son contact (1 500 policiers et militaires afghans devraient rester à Marjah), et proposer une alternative crédible et viable au projet insurgé pour un choix libre de la population en faveur du gouvernement afghan qui doit prendre en main la phase après.
Cette operation est peu surprenante mais interressante a plus d'un point de vue.
RépondreSupprimerTout d'abord, elle me rappel fortement les operations de la guerre d'Indochine decrites dans "Rue Sans Joie". Une grosse operation d'encerclement et de nettoyage village par village qui ne peut reussir pour des raisons differentes de celle dont il est question ici.
Ensuite parce que les auteurs anglo saxon sur les operation COIN n'ont eut de cesse de decrier ces operations. A ce tytre, il est tres interessant de lire ou relire guerres irregulieres de G. Chaliand qui offre un panorama de la pensee strategique sur la guerrilla, la contre insurrection et le terrorisme.
Et enfin car elle s'inscrie dans la re habilitation des guerres coloniales dans la memoire militaire tant francaise qu' americaine.
Une methode ratee peut elle porter des fruits si elle est re inventee?
Une chose est sure, les methodes de la guerre d'Algerie que l'administration Bush a tant aimee n'ont certainement pas portee les memes resultats militaires en Iraq qu'en Algerie. So wait and see...
@ Dark Vador : je me suis permis d'effacer un commentaire car le votre était paru en double... Ce n’est pas la grande censure qui a frappée!
RépondreSupprimerPour le parallèle avec l'Indochine (Plaine des Joncs, Delta, etc.), la principale limite de cette comparaison est à mon sens le temps de présence des troupes. En Indo, c'était du "je viens, je nettoie et je m'en vais". Un bref passage d'une quinzaine de jours.
Pour Moshtarak, la logique semble (je dis bien semble, nous en sommes qu'à J+15 environ) de rester plus longtemps (on parle de quatre mois) avec arrivée de l'ANCOP (Gendarmerie afghane), du gouverneur, de la myriade de structures de développement, etc.
Sur le débat réhabilitation, dénonciation, etc. En Afghanistan comme en Irak, la guerre d'Algérie est loin (quoique en dise les anciens de l'époque), même très loin, dans les tactiques, la stratégie et l'agencement des moyens au niveau du théâtre.
Est-ce un bien cette différenciation? Est-ce un mal? J'aurais plutôt tendance à répondre positivement à la première question. Les bonnes idées sont souvent celles que l’on n’a pas encore eues!
Cher F de St V
RépondreSupprimerMerci de votre transparence. Il se trouve que je suis dans un coin un peu recule du globe et donc internet reste quelque chose qui s’apparente a la magie…
Ceci dit, ne nous meprenons pas. Je ne suis pas pour la rehabilitation de la torture et des raids punitifs ou les soldats sont livres a eux meme dans un milieu hostile. Je suis dans la lignee de Robert Thomson et de son principe de respect de la legalitee. Un principe que l’administration Bush avait savamment devier en faisant passer des lois et des procedures administratives contraires a la constitution US.
Le general Mc Chrystal essaye de faire oublier cette epoque en mettant en avant la responsabilite des etat modernes de proteger (R2P) et le principe d’application strict du DIH, ce que les UN appel la protection des civils (protection of civilians), au moyen de sa strategie de Population Centric COIN.
Malheureusement le concept de Population Centric COIN est encore floue et nombre des idees nouvelles sont des recreations des principes de Thomson sur la Malaysie et le Viet Nam saupoudrer des conseils de Kilcullen et des l’experience du Surge. Cf : les hameaux securitses/securisation des centres urbains, implantation dans la duree (?, 4 mois c’est court), mise en avant des forces afghanes…
L’histoire demontre aussi que la question des insurrections ou rebellions est une vieille histoire que toutes les formes d’autoritees ont connues et combattues. Reste maintenant a voir si cette approche nouvelle va crediter le concept de l’Etat Moderne post weberien et sa responsabilite de proteger. Plus que le principe d’Etat moderne tel que nous le connaissons, qui est une necessitee pour les puissances (avoir un interlocuteur qui vous ressemble) ou le model militaire de la contre insurrection, c’est le concept d’Etat protecteur qui sera, ou non, valide durant cette operation.
Il n’en reste pas moins vrai que l’effort est louable et qu’il faut lui donner le temps de donner des resultats, bon ou mauvais.
Croisons les doigts pour que le resultat soit probant.
Si on s'élève un peu du brouillard du champ de bataille, faire appel à la notion d'État post-weberien/post-national/post-moderne et j'en passe, est assez intéressant pour problématiser l'opération Moshtarak, caractériser le succès ou l'échec.
RépondreSupprimerQuant au concept smithien de "guerre au sein des populations" et de l'ensemble des conflits asymétriques/irréguliers, insurrectionnels/etc., il est vrai que leur caractère nouveau est loin d'être évident...
Par rapport aux fondements éthiques et légaux de l'approche McCrystal, je suis (hélas) assez peu au fait. Il est vrai que la recherche de la protection de la population avant celle des soldats, s'apparente à une mise en avant particulièrement poussée du DIH. Encore faut-il, étudier avec acuité la réalité des faits après les discours!
Quant à votre souhait que la situation s'améliore :
1. je crois sincèrement que c'est possible et souhaitable;
2. j'ose espérer que c'est déjà localement le cas.
Cordialement