BRICET des VALLONS Georges-Henri, Irak, terre mercenaire. Les armées privées remplacent les troupes américaines, Favre, Paris, 2010.
Cet ouvrage a pour premier mérite, et ce n’est pas le moindre, de dépasser les caricatures et les problématiques juridiques ou éthiques souvent employées pour étudier les sociétés militaires privées (SMP). Devenus incontournables, ces acteurs non-étatiques sont généralement connus du public par les bavures qui émaillent fréquemment leurs actions. Pourtant depuis 2003 et pour plusieurs années, l’Irak est le champ expérimental de nouvelles pratiques lourdes de conséquences, dépassant les seules retombées politiques des scandales de certains de leurs employés.
Inscrite dans un long processus, « la civilianisation » des campagnes militaires américaines atteint depuis une vingtaine d’années un niveau jamais égalé. Engagée fortement sous Clinton, elle est décuplée sous Bush fils et poursuivie par Obama. Tout ce qui peut l’être est externalisé et même plus : de l’ingénierie au combat en passant par le renseignement, le transport, etc. Et aujourd’hui, il y a plus de civils sous contrat que de soldats réguliers en Irak. Faisant un effort salutaire de définition, l’auteur rappelle que si les effectifs des civils sous contrat atteignent les chiffres pléthoriques et approximatifs de 200 000 début 2009, seuls 20% d’entre eux assurent des missions de sécurité, comblant les lacunes de « la sous-occupation » d’un Irak non-sécurisé et en pleine reconstruction.
Voulue à ses débuts, l’action du privé dépasse ensuite les donneurs d’ordres dont les décisions maladroites, ou l’absence de décisions, facilitent cette perte de contrôle. Les incidents se multiplient et l’anarchie se développe, rien ne semblant l’arrêter : ni le système d’enregistrement et de recensement, ni les tentatives de contrôle sur le terrain, ni la contrainte des textes législatifs. La situation devient même kafkaïenne, une société privée gérant le projet Matrix chargée de suivre ses consœurs. N’évoluant plus à la marge l’une de l’autre, l’auteur met en avant l’hybridation des forces entre le privé et le public. Leurs liens dépassent la coopération pour atteindre l’interopérabilité et même la sur-dépendance du public vis-à-vis du privé. Les forces américaines ne seraient-elles par devenues les auxiliaires des SMP ?
Enfin, les connaissances en économie et en sociologie politique de l’auteur sont particulièrement appréciables pour saisir les problématiques inhérentes à ce marché de la sécurité, inscrit plus globalement dans celui de l’externalisation et de l’idéologie libérale. Ainsi, les SMP ne sont pas, contrairement à ce qui est généralement expliqué, la solution permettant de réaliser les économies d’échelle idoines à l’heure d’une réduction des ressources des États. Surtout, l’impact des SMP est à chercher ailleurs : « soldier drain » des militaires professionnels rejoignant le privé, sous-traitance en cascades obscurcissant les liens entre l’État contractant et celui qui agit, etc.
L’explosion de ce néo-mercenariat est un sujet lourd de conséquences autant pour le modèle occidental de la guerre, celui des rapports économiques débridés ou de la gouvernance des États. Le possible passage du modèle d’État-nation à celui d’État-stratège n’en est qu’un pan. Pour résumer l’état de la Défense américaine, l’auteur note que « le squelette et l’armature restent aux forces armées, leur chaire et leurs muscles sont constituées d’entités privées ». Alors que la France accuse du retard dans la prise en compte d’un phénomène qui ne semble pas s’essouffler, cet ouvrage de référence, qui plus est en français, explicite des pistes de réflexion applicables à de nombreuses situations. Plus proche de nous, on pense évidemment tous à l’Afghanistan…
Inscrite dans un long processus, « la civilianisation » des campagnes militaires américaines atteint depuis une vingtaine d’années un niveau jamais égalé. Engagée fortement sous Clinton, elle est décuplée sous Bush fils et poursuivie par Obama. Tout ce qui peut l’être est externalisé et même plus : de l’ingénierie au combat en passant par le renseignement, le transport, etc. Et aujourd’hui, il y a plus de civils sous contrat que de soldats réguliers en Irak. Faisant un effort salutaire de définition, l’auteur rappelle que si les effectifs des civils sous contrat atteignent les chiffres pléthoriques et approximatifs de 200 000 début 2009, seuls 20% d’entre eux assurent des missions de sécurité, comblant les lacunes de « la sous-occupation » d’un Irak non-sécurisé et en pleine reconstruction.
Voulue à ses débuts, l’action du privé dépasse ensuite les donneurs d’ordres dont les décisions maladroites, ou l’absence de décisions, facilitent cette perte de contrôle. Les incidents se multiplient et l’anarchie se développe, rien ne semblant l’arrêter : ni le système d’enregistrement et de recensement, ni les tentatives de contrôle sur le terrain, ni la contrainte des textes législatifs. La situation devient même kafkaïenne, une société privée gérant le projet Matrix chargée de suivre ses consœurs. N’évoluant plus à la marge l’une de l’autre, l’auteur met en avant l’hybridation des forces entre le privé et le public. Leurs liens dépassent la coopération pour atteindre l’interopérabilité et même la sur-dépendance du public vis-à-vis du privé. Les forces américaines ne seraient-elles par devenues les auxiliaires des SMP ?
Enfin, les connaissances en économie et en sociologie politique de l’auteur sont particulièrement appréciables pour saisir les problématiques inhérentes à ce marché de la sécurité, inscrit plus globalement dans celui de l’externalisation et de l’idéologie libérale. Ainsi, les SMP ne sont pas, contrairement à ce qui est généralement expliqué, la solution permettant de réaliser les économies d’échelle idoines à l’heure d’une réduction des ressources des États. Surtout, l’impact des SMP est à chercher ailleurs : « soldier drain » des militaires professionnels rejoignant le privé, sous-traitance en cascades obscurcissant les liens entre l’État contractant et celui qui agit, etc.
L’explosion de ce néo-mercenariat est un sujet lourd de conséquences autant pour le modèle occidental de la guerre, celui des rapports économiques débridés ou de la gouvernance des États. Le possible passage du modèle d’État-nation à celui d’État-stratège n’en est qu’un pan. Pour résumer l’état de la Défense américaine, l’auteur note que « le squelette et l’armature restent aux forces armées, leur chaire et leurs muscles sont constituées d’entités privées ». Alors que la France accuse du retard dans la prise en compte d’un phénomène qui ne semble pas s’essouffler, cet ouvrage de référence, qui plus est en français, explicite des pistes de réflexion applicables à de nombreuses situations. Plus proche de nous, on pense évidemment tous à l’Afghanistan…
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