Alors que depuis le XIXème siècle, la Chine est principalement tournée vers sa frange littorale, elle porte depuis l’effondrement de l’URSS un intérêt marqué à sa destinée continentale. Cette aspiration vers l’Ouest pour le déploiement de sa puissance est un élément de son actuelle approche économique et politique.
Le real-business chinois
La Chine profite de sa relation géographique privilégiée avec les pays d’Asie Centrale ex-soviétique pour entretenir des relations non dénuées d’intérêts économiques avec ces marges. En effet, la province du Xinjiang possède des frontières communes avec le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Spectateur de l’affrontement historique entre les États-Unis et la Russie, la Chine en reçoit aujourd’hui les dividendes en se positionnant sur un autre échiquier. En effet, et contrairement aux deux autres puissances, l’allégeance à la politique de Pékin n’est pas la condition sine qua none pour la signature de contrats.
Les deux parties en présence trouvent alors chacun des intérêts. Les entreprises chinoises ont accès à de nouveaux marchés pour écouler leurs produits bas de gamme et peuvent exploiter les richesses du sous-sol. Quant aux entreprises locales et aux états hôtes, ils participent par des joint-ventures à l’extraction des ressources touchant une rente énergétique et parallèlement bénéficient des infrastructures généralement comprises dans les contrats. En effet, se faire bien voir en construisant, par exemple, des voies de communications peut se révéler utile pour les entrepreneurs chinois afin de remporter les futurs appels d’offre.
Capter les énergies vitales
Ayant élevé l’indépendance énergétique au rang de priorité stratégique, Pékin agit en conséquence. Face aux possibles ruptures des voies maritimes (instabilité dans le détroit de Malacca et au Moyen-Orient ou blocus maritime par les flottes américaines), la Chine diversifie ses approvisionnements[1]. En plus d’être un relatif réservoir à énergies, l’Asie Centrale est surtout un lieu de passage pour l’acheminement de ces denrées indispensables pour maintenir le bond en avant économique chinois. Ainsi, Pékin établit un réseau de gazoducs et d’oléoducs débutant ou passant par l’Asie Centrale avant de rejoindre sa façade maritime.
Des projets d’envergure sont opérationnels ou vont l’être prochainement. Fin 2009, un gazoduc reliant les champs gaziers du Turkménistan à la Chine est inauguré, œuvre de la China National Petroleum Corporation (CNPC). Au Kazakhstan, la Chine détient à la fois les champs pétrolifères et les tubes. Cette mainmise illustre la part prépondérante du Kazakhstan (plus de 60%) dans le commerce sino-centre-asiatique. Pékin tente aussi de s’accaparer l’énergie hydroélectrique en construisant des centrales sur les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, moyen de ne pas subir sa position de pays situé en aval et donc dépendant des pays en amont.
Un mariage pas si serein
Le caractère inédit de cette approche douce est cependant à relativiser. La Chine ne rechigne pas à se placer sur un échiquier d’affrontement plus traditionnel et moins consensuel que les implantations d’Institut Confucius en Ouzbékistan ou au Kazakhstan[2]. Ainsi, elle renforce aussi sa présence militaire en prenant part à des manœuvres sous la bannière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) et en renouvelant certains équipements obsolètes des armées centre-asiatiques. Se faisant, elle n’hésite pas à se définir comme une alternative à l’hégémonie américaine et donc à être en faveur, comme la Russie, d’un monde multipolaire.
L’activisme des islamiques locaux resserre aussi les liens entre Moscou et Pékin qui ne souhaitent pas un embrasement de leurs marges. Ce risque peut s’étendre en trouvant un écho favorable chez les indépendantistes ouïghours. L’instabilité politique est aussi un frein au développement des affaires. Lors de la crise au Kirghizstan en avril 2010, Moscou et Washington ont mené le jeu, laissant Pékin subir la succession de Kurmanbek BAKIYEV. Cet exemple est symptomatique de tensions pouvant contaminées la région et que Pékin ne peut guère influencer. L’approche apolitique, évitant de se mêler des affaires intérieures, trouve ses limites.
[1] Marlène LARUELLE et Sébastien PEYROUSE, L’Asie Centrale à l’aune de la mondialisation: Une approche géoéconomique, Coll. Enjeux stratégiques, Paris, 2010.
[2] Cette stratégie de long terme a pour premier effet d’accroître massivement le nombre d’étudiants issus de ses pays au sein des grandes universités chinoises.
Site complémentaire : Chroniques méso-asiennes (Alexandre GUERIN)
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