Difficile de ne pas tomber dans la pure récupération politique pour tel ou tel parti en commentant les propos du maire de Sevran et les réactions qui en découlent, mais je vais néanmoins tenter cet exercice délicat avec quelques modestes remarques.
Cinglant constat d'échec que dresse Stéphane Gatignon, maire de cette commune frappée par les batailles (et non la guerre) entre groupes rivaux sur fond de trafic de drogue. Par ces affiliations politiques personnelles, il semble difficile de le condamner comme défenseur de thèses politiques jouant sur la peur des gens. C'est une triste réalité qu'il décrit et à laquelle il faut répondre : la souveraineté de l'Etat s'applique partiellement sur certains territoires.
On assiste à une montée aux extrêmes (en partie, par les moyens employés : armes de guerre, etc.) dont le point haut n'est certainement pas encore atteint. La hausse du niveau de violence est en effet engendrée à la fois par des dynamiques créées par l'opposition entre forces de police et groupes criminelles mais aussi par l'opposition entre groupes criminels. Cette dernière, par son intensité, semble être aujourd'hui celle qui donne le tempo des événements.
Face à un problème donné, la solution proposée est prioritairement à "plus de" plutôt que "autrement". Le maintien de l'ordre ne déroge pas à cette règle. Ce dernier pourrait être défini, selon une inspiration toute weberienne, comme un type de violence exercé par l'Etat pour se préserver impliquant un ordre préétabli troublé par des événements qu'il faut rétablir ou préserver
L'armée à Epernay en 1911 lors de la révolte des vignerons, crise débutée dans le Languedoc puis qui touche aussi la Champagne.
Déjà des forces armées participent au maintien de l'ordre. Ce sont les forces de 1ère ou 2ème catégorie : gendarmerie départementale et garde républicaine ou gendarmerie mobile. Dans une moindre mesure car seulement pour des mesures préventives, des forces de 3ème catégorie dans le cadre, entre autres du plan Vigipirate, participent elles aussi à ce maintien de l'ordre. L'instruction interministérielle 500 du 9 mai 1995 régit cela.
Cet appel à une force d'interposition de "casques bleus" est une formule storytellée (Casques Bleus - ONU - Paix) qui exprime en fait une demande pour que des forces de 3ème catégorie agissent dans le cadre de mesures d'intervention (ou "opérations de force"). Ce serait donc, toujours selon cette instruction, dans un cadre nécessitant des mesures de sûreté exceptionnelles et, toujours sur réquisition de l'autorité civile.
Dans le temps long, cet acte symboliserait l'échec d'un long processus arrivé à maturité en 1950. En 1921, les gendarmes mobiles sont créés, date qui marque le début de la professionnalisation du maintien de l'ordre. Ils sont rejoints en 1948, par les Compagnies Républicaines de Sécurité. Dès lors, ce qui était monnaie courante (l'action de l'armée dans le cas de troubles internes) devient anecdotique.
Ce qui renforce d'ailleurs d'autant plus la double portée symbolique d'une telle décision. A la fois, sur le plan micro alors que les militaires, symbole de la force, devraient jouer sur place un rôle dissuasif pour faire descendre le niveau de violence. Mais aussi sur un plan plus large, avec un appel à des militaires rappelant évidemment "les événements" en Algérie : ce "passé qui ne passe pas" en France. Symbole pouvant frapper les consciences et non assumé en 2005.
Pour conclure, ce sont des symboles qui par leurs impacts mémoriels et leurs conséquences (sous-entendant un Etat en crise) qui méritent d'être réfléchis plus sereinement et plus profondément qu'à travers des déclarations rapides chargées pour certain(e)s de sous-entendus médiatiques et politiques. De la politique de bisbilles interpersonnelles non celle de la nature profonde de ce genre d'actions.
Bonsoir.
RépondreSupprimerJ'aurai une question et quelques remarques sur votre article.
1. N'étant pas juriste, pourriez-vous me préciser ce que vous entendez exactement par "souveraineté de l'Etat" ?
2. Les CRS sont, il me semble, les descendantes des GMR créées par le régime de Vichy. D'ailleurs, on peut se demander si la création des CRS est une militarisation de la police ou l'établissement d'une force intermédiaire entre la police de base et la force militaire de la gendarmerie mobile.
3. Le désordre régnant à Sevran étant le résultat de multiples facteurs, l'envoi d'une force de maintien de l'ordre, ou plutôt de rétablissement de l'ordre, ne pourra aboutir qu'à un échec stratégique malgré des succès tactiques du fait de l'absence d'une grande stratégie faisant intervenir ici urbanisme, création d'emploi, intégration de la population... Toute ressemblance avec certains TOE n'est pas fortuite.
Cordialement.
Merci pour vos questions.
RépondreSupprimer1/ Je suis moi même non juriste et donc peut être est-ce une définition éronnée si j'annonce que "la souveraineté de l'Etat" est pour moi le fait d'avoir le droit et la capacité d'appliquer une autorité sur un territoire.
Elle est donc pour moi aujourd'hui en concurrence (pour ne pas dire battue par endroits) par certains groupes y déployant leur propre autorité.
2/ En effet, pour la filiation historique des CRS qui sont créées juste après-guerre suite à la dissolution des GMR. Ils sont dissouts ensuite en 47 du fait d'accointances trop nombreuses avec des manifestants communistes. Pour contrebalancer l'esprit GMR, le recrutement avait laissé une large place (trop large place?) aux syndicalistes. Pour être enfin recréés l'année suivante.
Ils sont pour moi dans un premier temps une entité distincte par rapport aux gendarmes mobiles. Les deux (CRS et GM) devant être étudiés dans leur milieu propre (Police ou Gendarmerie) avant d'être étudiés l'un envers l'autre. Donc comme des unités ++ pour des missions différentes par rapport aux unités "de base".
3. Que dire de plus ;-)
Je ne puis que renchérir sur le point n°3 (l'importance de doubler l'action en coercition par ce qu'on pourrait appeler sinon "action psychologique" - le vilain mot que voilà - du moins "action socio-économique")
RépondreSupprimerPoint intéressant (et à simple titre comparatif), en France il est prévu que des unités militaires puissent participer au maintien de l'ordre(toujours sur ordre du pouvoir civil, et donc on peut légitimement espérer dans des conditions d'encadrement adéquat).
En Russie, le MVD (Ministère de l'intérieur) dispose à la fois d'une police (jusqu'à récemment appelée "milice") ainsi que d'unités disposant de moyens militaires (blindés, armes lourdes, troupes de choc...)
Le Ministère de l'Intérieur a récemment récupéré la Gendarmerie (il me semble), serait-il alors concevable qu'elle use des moyens "durs" à sa disposition pour faire face à une telle situation?
Autrement, pour faire face au durcissement des opérations d'ordre public, serait-il concevable ou même souhaitable que les Ministère de l'Intérieur dispose de moyens militarisés qui soient en adéquation avec la situation à traiter?
Autant de questions qui peuvent rapidement nous entaîner sur un sol glissant, surtout si près des échéances électorales...
Bonsoir,
RépondreSupprimerUne petite remarque en passant sur la question CRS VS Gendarmerie. Si ma mémoire est bonne, l'un de mes anciens professeur (Jean Chélini, qui me dispensa durant un semestre le cours "histoire politique et sociale de la France depuis 1945") nous avait expliqué que c'était un choix politique de De Gaulle de créer un second corps de métier destiné au maintien de l'ordre (les CRS) par méfiance vis à vis des militaires. Une sorte de "diviser pour mieux régner" en quelque sorte. Bien sûr, il faut remettre cela dans le contexte de l'époque...