De juin à novembre 2012, le colonel Gilles Haberey était en Afghanistan à la tête du groupement Oies sauvages, constitué autour du 92ème régiment d'Infanterie (Clermont-Ferrand). Il y conduit la délicate phase de retrait de certains des derniers postes français tenus en-dehors de la capitale afghane et de leur transfert aux militaires afghans.
Dans un ouvrage tout juste publié, "Combats asymétriques en Afghanistan" (chez Nuvis), il revient sur les différentes phases de cette mission, mettant très concrètement l'humain (le chef face aux responsabilités, le combattant face à la mort, le militaire afghan face à ses choix, etc.) au cœur de cette expérience. Il a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions.
1/ Tout d'abord, mon colonel, pourquoi avoir écrit un tel ouvrage ?
J’ai souhaité
rédiger cet ouvrage principalement pour mettre à l’honneur les hommes que j’ai
commandé et qui m’ont suivi, officiers, sous-officiers et soldats, dans le
cadre d’une mission complexe d’où le danger physique n’était pas absent.
Ensuite, après avoir longuement échangé avec des amis, j’ai été encouragé à
partager par écrit ce vécu et les réflexions qui furent les miennes, afin que
l’expérience ne disparaisse pas avec le temps et puisse servir, au moins en
partie, à d’autres.
2/ A la
lecture, nous sommes frappés par le degré de planification du déroulement du
mandat sur les 6 mois. Comment jongler entre ce cadre préalable et son
application au jour le jour ?
A mon avis, la planification est consubstantielle au métier de soldat. Par
méconnaissance, parfois par paresse, souvent par goût de la conduite en
réaction, nous goûtons peu l’art de "l’encadrement" du futur.
Essayer de réfléchir l’avenir, c’est chercher à être préactif comme un assureur
ou proactif comme un manœuvrier plutôt que réactif comme un pompier ou, pire,
passif comme une victime soumise à l’événement. Bien évidemment, la réalité est
toujours légèrement différente de ce qu’on avait anticipé, mais elle l’est
d’autant moins que nous avons fait l’effort d’analyser les éléments d’ores et
déjà à notre disposition.
Concernant cette mission, le travail d’anticipation fut réalisé en équipe en intégrant toutes les expertises et en analysant quel pouvait être le plan "idéal", et comme il pouvait être perturbé. Je crois profondément qu’avec un plan, on ne va pas forcément exactement là où on voulait ; mais sans plan, il est évident qu’on ne va nulle part ! Au cours de cette opération, grâce aux talents de mon équipe de commandement et de mes subordonnés, la ligne a pu être tenue malgré les tentatives de l’ennemi pour la perturber.
3/ Notamment, comment la déclinaison du contexte stratégique oriente certains
choix au niveau tactique, du chef jusqu'aux derniers des combattants ?
Le contexte
stratégique - mais aussi politique - est majeur dans la manière de conduire
l’action, jusqu’aux plus bas échelons : en effet, le soldat sur le terrain
ne conduit pas la guerre qu’il veut, mais bien la guerre qu’il doit conduire
pour atteindre des objectifs de niveau stratégique.
Ainsi, en 2012, il ne
s’agissait pas pour nous d’aller combattre les insurgés dans les fonds de
vallées - nous l’aurions fait sans problèmes, nous nous y étions parfaitement
préparé - , mais bien à laisser les Afghans prendre leurs responsabilités.
Cette posture nous a amené, par exemple, très concrètement, à éviter les terrains d’engagement au contact direct de l’ennemi, mais à nous placer dans un dispositif de nature à intervenir au mieux par les feux ou la manœuvre au profit de nos camarades afghans - ce que nous avons fait plusieurs fois.
4/ Au-delà de
la préparation technique ou physique plus souvent évoquée dans d'autres
ouvrages, vous insistez sur l'importance de la préparation morale et
intellectuelle à un tel déploiement et au danger. Pourquoi une telle mise en
avant ?
La préparation
et la conduite des opérations me semble reposer sur quatre pieds distincts et
intimement complémentaires :
- Tout d’abord, il convient d’être un véritable expert des capacités tactiques placées entre ses mains, chef comme soldat, afin de pouvoir les utiliser au mieux de l’effet attendu. Leur maîtrise garantit une vraie efficacité tactique, mais aussi l’assurance d’agir rapidement avec l’outil le plus adapté.
- La capacité physique avec, pour corollaire, l’aptitude à conserver sang-froid et recul malgré la fatigue ou la pression sur les corps, vise à conférer au soldat une supériorité inaltéré dans l’action.
- La préparation intellectuelle, quant à elle, est indispensable à la compréhension des codes comportementaux de l’ennemi, de ses alliés ou de la population : sans cela, une partie des clés de fonctionnement de l’environnement nous échappe et l’action peut s’exprimer à contre temps.
- Enfin, la préparation morale est fondamentale pour amener ses hommes à former un ensemble uni, prêt à subir le choc généré par la violence des combats, la blessure, la mort, tout en étant capable de repartir de l’avant : mais celle-ci n’a de valeur que si elle est concrètement vécue dans les liens quotidiens qui se tissent avec ses hommes. Elle n’a de sens que dans l’assurance du danger partagé physiquement, sur le même morceau de terrain, du colonel au soldat.
5/ Après plus de 12 années en Afghanistan, notamment auprès de partenaires afghans qui dans l'ouvrage ont le grand mérite de ne pas être désincarnés mais bien personnifiés, avec leurs caractères et leurs intérêts, quels seraient le point à retenir ?
Je crois
intimement que nos partenaires afghans, sans tomber dans la caricature, sont à
l’image de leur société : ils sont courageux, intelligents, parfois,
insaisissables, mais ils comprennent mieux que quiconque les enjeux de leur
combat car l’avenir de ce pays est le leur. En dépit des informations
parcellaires - toujours catastrophistes et hypertrophiées - qui nous
parviennent aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’Afghanistan a fait un bond en
avant phénoménal en une petite dizaine d’années. Dans la lecture toujours
pressée de l’histoire par les occidentaux, les évolutions sont minimes ou trop
lentes. Les menaces sécuritaires existent toujours et l’économie afghane est
toujours peu ou prou sous perfusion. Mais, je crois que l’avenir de ce pays
n’est définitivement plus celui des Talibans ni des islamistes : en ce
sens, je crois que ces 12 années ont été un beau succès.
MAJ 1 : en complément d'un tel ouvrage, ne manquez pas "Le temps de l'action - Un épisode de l'Histoire du 92ème régiment d'Infanterie", rétrospective photographique sur ces opérations autour des hommes et femmes du régiment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour faciliter les réponses et le suivi, merci d'utiliser, au moins, un pseudo récurrent.