La chasse aux experts en XXX (ajouter le qualificatif de votre choix : terrorisme - sécurité - renseignement - zones à risques - questions de défense - autres champs complexes nécessitant des savoirs et/ou des connaissances pour donner du sens - comprendre - agir - réagir - j’en passe) est bien ouverte. Elle serait même tendance, au point que les experts en experts pourraient apparaître.
De manière quasi schizophrénique, il s’agit, tout en dénonçant le peu de sérénité dans le débat public français et les crispations, réelles ou supposées, de notre société, de lancer des anathèmes, souvent définitifs, en classifiant, selon des critères généralement obscurs, les "bons" et les "mauvais" experts. Quand il n’y a pas de globalisation, sans prise en compte de la diversité des parcours, sur le thème "les experts sont tous mauvais (mais, par contre, moi j'ai la lumière…)".
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Il s’agit alors de s’attaquer à la titraille (dont ces experts sont flanqués et dont ils ne sont, d'ailleurs, pas toujours responsables, car désignés d'office... #vismavie), de manière souvent superficielle, fouiller les parcours des intéressés, souligner leur sur-représentation médiatique, mais, hélas, plus rarement, de s’intéresser au contenu délivré (relever leurs erreurs, en les contextualisant...) ou s’intéresser au pourquoi de leur existence. A titre d’illustration, un éditorial de Libération est symptomatique avec plusieurs paragraphes de digressions sur le phénomène quand le point plus important, à nos yeux, tient en 3 lignes, qui plus est en note de bas de page : l’existence d’autres experts, moins connus que ceux mis plus ou moins justement au pilori, qu'il serait pertinent de convoquer. Point.
Heureusement, certaines analyses commencent à se pencher plus en profondeur sur le sujet (cf. ici et ici, et ailleurs...), analysant de quoi ces experts sont les symptômes, comment se préserver de certaines erreurs, tout en ne baissant pas les bras pour à la fois pointer les erreurs (parfois nombreuses) et engager le débat de fond. D’une certaine façon, il s’agit pour ces analyses d’éviter de plonger à leur tour dans les travers dénoncés : la superficialité de la forme sans aborder en profondeur le fond. En quelque sorte : ne pas préférer la facilité des anathèmes à l’exigeant débat d’idées…
Heureusement, certaines analyses commencent à se pencher plus en profondeur sur le sujet (cf. ici et ici, et ailleurs...), analysant de quoi ces experts sont les symptômes, comment se préserver de certaines erreurs, tout en ne baissant pas les bras pour à la fois pointer les erreurs (parfois nombreuses) et engager le débat de fond. D’une certaine façon, il s’agit pour ces analyses d’éviter de plonger à leur tour dans les travers dénoncés : la superficialité de la forme sans aborder en profondeur le fond. En quelque sorte : ne pas préférer la facilité des anathèmes à l’exigeant débat d’idées…
Critiquer (avec la manière), et ensuite ?
Jusqu’à présent, l’approche suivie se résumait donc trop souvent à une critique, peu constructive, sans prendre en compte le fait qu’uniquement critiquer (dans ce cas précis, mais plus généralement sur les problématiques étudiées ici) est bien peu utile. Ce n'est en effet que le début d’un processus, d’évolution et d’adaptation, non une fin (dès lors qu'il y a une volonté réelle de ne pas rester à la situation qui est critiquée). Et si c’est une fin, pour de bonnes (vrais escrocs à dénoncer ou sincère humilité pour ne pas aller au-delà), mais plus souvent pour de mauvaises raisons (paresse ou incapacité intellectuelle), c’est en grande partie inutile à des fins d’action ou du moins bien incomplet comme démarche, en restant loin de la critique réellement constructive.
En somme, ne pas oublier qu’ "empêcher de faire" est un début, mais ne peut être réellement efficace sans l’attitude pro-active (offensive diront d'autres) du "faire", voir du "faire faire" (selon une approche indirecte, plus discrète, qui peut convenir à certains profils discrets). C’est ne pas saisir que l’approche pro-active est indispensable pour ne pas laisser libre, ou, plus souvent, mal rempli, l’espace occupé par ces dits-experts sur ce marché des idées et des informations. Comment comprendre autrement que comme une réponse à ces préoccupations la nomination, à suivre, d'une porte-parole
de la Gendarmerie nationale intervenant (contrairement à son homologue du ministère de la Défense par exemple) sur des plateaux TV ? Ainsi, non sans une certaine justesse, un adage (tiré d'Alexandre Dumas ?) indique que "les idées ne meurent pas d'elles-mêmes, elles sont remplacées par d’autres idées, portées avec plus de convictions".
Qui plus est, cette critique préalable, potentiellement utile comme première étape, est trop souvent faite avec sarcasme, si facile aujourd’hui notamment à travers les courtes phrases chocs propres aux médias sociaux. Un usage qui renforce la tendance à dénigrer de base le motif et la manière de toute action, allant dans bien des cas jusqu’au refus, affirmé ou non, de toute action quelle qu’elle soit.
Et pourtant, une relative humilité ne devrait-elle pas être de mise dès lors qu’aucune contre-proposition (acte généralement plus exigeant) n’est défendue ? Une relative lucidité ne devrait elle pas rendre conscient que toutes activités humaines au sein de systèmes complexes (sociétés, administrations, etc.) conduiront à de "bonnes" mais aussi à de "mauvaises" répercussions (ou des "mauvaises" mais aussi des "bonnes"...) ? Que ces dernières sont à peser et prendre en compte au mieux, mais qu'elles ne peuvent pas servir de cautions permettant de scléroser définitivement toutes initiatives ? Des initiatives (certaines initiatives de "déradicalisation" ou de "contre-discours", par exemple) à évaluer une fois testées et mises en place, pour alors être adaptées ou abandonnées (cf. l'exemple illustratif de la transformation de l'armée française en 1916). Ce qu'un anonyme, bien peu pessimiste, résumait en "Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient".
Mais c’est politique tout ça ! Mais c'est exigeant ! Et alors ?
Au delà de la nécessaire constructivité de toutes critiques et de la nécessité de dépasser ce stade, les voix sont trop rares pour évoquer la responsabilité, certains disent sociale, il pourrait même être question de responsabilité politique (vu la teneur des sujets traités), de ceux qui auraient à participer à ce débat d'idées mais qui se réfugient derrière l'indépendance politique et la neutralité axiologique, attitudes censées habiter le chercheur, mais dans bien des cas poussées à leur paroxysme.
Le fait de proposer ou tenter de se projeter serait-il tant que cela plus socialement et politiquement engageant que le fait de simplement constater ou critiquer ? Ne serait-ce pas une vision biaisée de la chose politique ? Si cette dernière peut révulser à juste titre, elle est également en partie ce que nous décidons d’en faire, ni bonne, ni mauvaise en elle-même.
En étant potentiellement partie prenante active, le "c’est aux politique de répondre" ne peut donc être pleinement satisfaisant comme limite d'un débat. Cette pirouette rhétorique parfois utilisée sur les thématiques stratégiques est trop souvent l'excuse facile pour en rester là, sans avoir à plonger dans la complexité du pas d’après, où il faut soit s’engager (donc risquer de "prendre des coups", aujourd'hui potentiellement violents…), soit reconnaître avec humilité ne pas avoir mieux à proposer, ne pas savoir, ne pas avoir tous les termes du problème (ou de la solution), etc.
L’usage systématiquement dépolitisé de certaines pratiques et savoirs, et la généralisation de la critique sans proposition (au travers d’articles, papers, interviews, études, etc., manquant encore trop souvent cruellement de propositions, même au stade de l'ébauche), est à ce titre particulièrement problématique. Qu'ils émanent d’universitaires, chercheurs, experts, analystes, spécialistes, journalistes, think-tankers, écrivains, intellectuels au sens large, etc.
Profiter des accès facilités
Pour favoriser ce nécessaire renouvellement du débat dans ses acteurs, ses termes, ses méthodes, il est à relever qu’il est de plus en plus possible, avec une certaine patience, une méthode (en somme, une stratégie), de "court-circuiter" certains canaux traditionnels de diffusion.
Grâce à des outils (sites, blogs, réseaux sociaux, certaines émissions ciblées, etc.), le passage TV, si souvent critiqué ces derniers jours, n’est pas l’alpha et l’omega de l’influence, bien que sans doute étant encore le plus "efficace". Il peut être néanmoins en grande partie contourné pour ceux refusant, parfois légitimement, les modalités pratiques d'intervention sur ce canal d'information.
Cela s’inscrit plus globalement dans cette "révolution des compétences" des individus (développée par James Roseneau), où des outils accessibles à moindres coûts (et pas seulement financiers) et des modes d’organisation nouveaux permettent d’abaisser la barrière d'entrée dans le discours public, de casser des monopoles établis et d’offrir des caisses de résonance supplémentaires.
Cela permet de répondre différemment aux exigences inchangées de visibilité, lisibilité et crédibilité, pour ceux qui décident de ne pas déconsidérer dans leurs usages professionnels (ou non) les médias, aussi divers soient-ils. Osant ainsi s'y confronter, quitte à tenter alors d'en faire évoluer les usages.
Enrichir le débat et non le crisper
Enfin, ces salves de critiques peuvent par bien des aspects s'insérer dans le relatif anti-intellectualisme qui peut poindre aujourd'hui (caractérisé, par exemple, par des déclarations intempestives sur "les pseudo-experts auto-proclamés", le "expliquer c’est déjà vouloir un peu justifier", le dénigrant "ceux-là qui aiment les phrases ne prendront jamais place dans les colonnes d'assaut", etc.). Refuser le débat d'idées, ne pas le favoriser, c’est courir le risque de renforcer ses certitudes parfois dépassées et/ou ses ignorances, toutes deux mortifères, ainsi que la distance entre différentes parties, dotées chacune de compétences, qui gagneraient donc à mieux se connaître. C'est saisir que, comme le résume Foch : "Il n’y a pas d’hommes
cultivés, mais que des hommes qui se cultivent", et que cela ne vise
qu'à permettre d’"Agir en homme de pensée et penser en homme d'action"
(selon la citation attribuée à Bergson). En évitant de bâtir de nouvelles tours d’ivoire, il s'agit in fine
d'adapter en partie l’offre intellectuelle à la demande de la prise de
décision (cette dernière devant moduler ses attentes entre le court et
le long terme...).
Cela passe donc par la multiplication des surfaces d’échanges entre les "praticiens" et les "théoriciens" (distinguo peu satisfaisant) (cf. ici sur la recherche stratégique française). Que les uns et les autres aient l’ouverture d’esprit et la curiosité permettant, avec une réelle modestie, de s’imprégner des compétences des uns et des autres et saisir les capacités qu’ils peuvent soit attendre soit apporter. Une exigence chronophage mais indispensable pour la légitimité, la justesse et l’utilité des critiques et des propositions. C’est réellement renforcer les tuyaux de diffusion, comme le fait d'une certaine façon The Conversation, les initiatives en cours de la Revue Défense Nationale entre militaires, universitaires, etc., via des formats adaptés au public visé (une tribune ne s’écrit pas comme un article universitaire...). C’est ne pas rester bloquer sur la seule légitimité des diplômes (ou de l’absence de diplômes), qui peuvent n’être pas pleinement représentatifs des compétences de certains (les journalistes, bien que non thésards, ne sont pas pour autant tous des ignares...).
Ainsi loin de se satisfaire de cette chasse aux sorcières, il s'agit plus globalement de dépasser pleinement la première étape où il s’agit de comprendre, de critiquer et d’expliquer, pour tenter ensuite de prévoir, de proposer, d’agir. C'est une des conditions qui permettra une réelle dynamique d’ajustement rapide, bien souvent à partir de "petites cellules" indépendantes qui, mises en réseau, donneront une masse critique. Cela passera par la capacité de répondre aux propositions de bonnes volontés, via des cadres souples de mobilisation et de consultation, étatiques ou non, afin de canaliser et consolider les initiatives émergentes, aptes à faire face aux remises en cause actuelles et futures de nos socles traditionnels."Laisser les voisins aider leurs voisins ; et aidez-les à aider leurs voisins", disait un responsable américain lors de l’ouragan Katrina (rapporté par Patrick Lagadec). La meilleure résilience de nos sociétés passera sans doute plus par là, que par le contentement de désigner à la vindicte, de manière justifiée ou non, certains.
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