mercredi 21 février 2018

Armées / Innovation - Faciliter la vie des hommes innovants (5/5)

Suite et fin d'une série en 5 volets sur l'innovation dans les armées, après les propos introductifs, la nécessité d'une politique ambitieuse d'expérimentations, les évolutions possibles de la définition du besoin à la production, et la nécessaire mise en œuvre de processus innovants. Une fin peut-être que temporaire… 

Comme il a été tenté de l'illustrer dans les volets précédents, il ne s’agit pas de jeter le bébé innovant avec l’eau du bain, ou de prétendre orgueilleusement qu’absolument tout est à changer et rien n'est fait. Les armées peuvent s’appuyer sur d'actuelles richesses, notamment humaines, qu’il s’agit de mieux exploiter. L’essentiel est de tout faire pour faciliter cette exploitation possible, en poursuivant l’émergence institutionnelle de conditions rendant possibles cette innovation, plus qu'en la décrétant (par décret ou non). Ainsi, pas d’approche binaire entre du tout blanc ou du tout noir, mais bien souvent de nouveaux équilibres à trouver, pour miser sur l’élément central relevé dans les propos introductifs : le volet humain, réfléchissant et agissant, au cœur de cette activité guerrière, encore pour un temps, fondamentalement humaine. 

Entre concentration et saine dispersion des efforts 

Ainsi, les efforts développés précédemment sont parfois déjà pensés, expérimentés, engagés, combinés avec d’autres, etc. par un ensemble d’acteurs extrêmement disparates (sans connotation négative de fait), engagés dans cette promotion de l’innovation : unités, états-majors, organismes divers, laboratoires, centres de recherches, incubateurs, initiatives transverses d’expérimentations, laboratoires tactiques, entreprises de tailles diverses, structures de financement, structures ad hoc, etc. Avec des inconvénients et des avantages, entre une extrême diversité devant faciliter le fait que le plus grand nombre de projets et d’idées trouvent son ou ses porteur(s)s, parfois un manque de lisibilité du fait de la diversité potentiellement rebutante (en plus d’un manque d’informations sur certains acteurs), une dispersion des efforts empêchant parfois d'atteindre un effet de levier assez fort, etc. Entre innovation opérationnelle (EMA-DGA notamment), simplification administrative (SGA-DGA notamment), innovation dans les programmes d’armement (DGA-EMA notamment), etc.
 
  
Une histoire de couple entre besoin opérationnel et veille technologique - Mini-drone Black Hornet et quad Polaris (crédits : 2ème régiment de Hussards)
 
Ainsi, au sein de certaines structures et écosystèmes, quels apports pourraient avoir un commandement ou un réseau d'animation de l’innovation et du futur ? A la fois interface pour la mémoire opérationnelle, la doctrine, le retour d'expérience, l'aiguillon du changement ("Fou du Roi" et "Red Team" qui challenge) et pool de conseillers/d'accompagnateurs ? Permettant de séparer, au juste niveau (pour ne pas nuire au partage d'informations), la partie "Exécution" de celle "Innovation" (en charge de générer les hypothèses, expérimenter, etc.), et éviter en partie de faire porter les mêmes risques par tous (notamment en cas d’insuccès, bien que ces derniers soient toujours porteurs d’enseignements, à rentabiliser quoiqu’il en soit).
 

vendredi 16 février 2018

Armées / Innovation - Des processus innovants face au temps et aux risques (4/5)

Suite d'une série en 5 volets sur l'innovation dans les armées, après les propos introductifs, la nécessité d'une politique ambitieuse d'expérimentations, et les évolutions possibles de la définition du besoin à la production. La première version a été plus que largement remaniée et augmentée, notamment suite à plusieurs échanges et commentaires.
 
Le rapport annexé publié en même temps que le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 revient sur quelques enjeux de la poursuite de la transformation du ministère des Armées, notamment dans l’approche capacitaire : "Cette réforme [ndlr : de la gestion des programmes d’équipements] concernera tous les stades du cycle de vie des équipements et impliquera l’ensemble des acteurs concernés (armées, DGA, industrie). Elle portera en particulier sur les champs fonctionnels suivants : la gouvernance et l’organisation, les méthodes, les normes, les processus qualité et les outils techniques mis en œuvre, les relations entre l’Etat et l’industrie, les financements et le partage des risques. Trois leviers clé de performance seront utilisés :
  • Le travail collaboratif et le décloisonnement des acteurs (équipes et plateau projet) à tous les stades ;
  • L’utilisation des outils numériques et notamment l’ingénierie systèmes, la simulation, le Big Data, l’intelligence artificielle ;
  • Le renforcement des compétences.
Cette réforme des processus de conduite des projets tirera partie des meilleures pratiques appliquées dans le domaine civil et chez nos partenaires internationaux. Elle sera appliquée pour les programmes nouveaux lancés au cours de la période et, chaque fois que possible, sur des programmes d’ores et déjà engagés".
 
 
Simplifier la complexité des opérations d'armement - vecteur nautique d'infiltration du 13è régiment de Dragons parachutistes (RDP)

Force doit rester à la Loi… qui n’est par contre en rien figée
 
Au-delà du niveau de dépenses et de leur structuration, il s’agit également de trouver des marges d’agilité dans les processus qui conduisent à leur employabilité. Et cela, face à certains freins notamment législatifs. Du texte chapeau, l’instruction générale 125-1516 relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement de 2010, aux instructions de déclinaisons particulières (comité ministériel des investissements, comité de capacités, etc.). Le tome 1 de cette dite instruction donnant le cadre (principes, stades, attendus, jalons, etc.) et le tome 2, les plans types de documents livrables. Le processus d’une opération d’armement qui en découle peut sembler, à première vue, conduire à se prémunir avant des risques (financiers, techniques, retards, etc.), sans d’ailleurs réellement préciser les mesures à prendre en cas de survenance, que de répondre aux besoins opérationnels, dans les temps et dans les coûts.

lundi 12 février 2018

Armées / Innovation - Une réflexion à mener sur toute la déclinaison de la stratégie des moyens (3/5)

Suite d'une série en 5 volets (normalement...) sur l'innovation dans les armées, après les propos introductifs et la nécessité d'une politique ambitieuse d'expérimentations, dont la première version a été plus que largement remaniée et augmentée, notamment suite à plusieurs échanges...
 
Afin que la réflexion et l’action ne se limite pas à un seul des pieds de la stratégie générale militaire, celle liée aux voies de l’action militaire (la stratégie dite "opérationnelle"), il s’agit d’amplifier les efforts d’adaptation de l’autre pied, celui de la stratégie dite "des moyens", comme définit dans sa structuration politico-militaire par le général Lucien Poirier (dans l’ouvrage Stratégie théorique II) ; C’est à dire celle s’intéressant à la création qualitative et quantitative, et la mise à disposition, de ressources militaires (hommes, équipements, etc.), notamment sa partie appelée "stratégie génétique" pour le développement de ces ressources. Et dans une moindre mesure, à la "stratégie logistique" pour leur acheminement au bon endroit et au bon moment (dans une approche de mise à disposition dépassant la manœuvre tactique logistique de flux). Cela conduit à s’intéresser à la fois aux processus, aux interactions entre organisations, aux budgets, aux modes de production, etc. Afin d’atteindre les objectifs de cette stratégie, la mise à disposition des ressources pour répondre au mieux aux besoins, de manière pérenne, il s’agit d’amplifier certains mouvements, dans lancer d’autres, de rééquilibrer certains usages, etc.
 
 
Sans doute pas une innovation de rupture, mais...
VAB version parasol (opération Barkhane - Sahel - août 2014)

Juste besoin des choix capacitaires, vous avez dit…

Dès la définition de l’architecture des forces, l’effort doit être fait pour rendre le modèle pérenne dans le temps, notamment par les choix technologiques retenus, tout en rendant possible l’accélération du rythme de l’adaptation, face aux adversaires présents ou futurs. Ainsi, il s’agit de ne pas toujours tenter d’atteindre une perfection absolue (en termes de spécificités, de coûts, etc.), difficilement atteignable techniquement, coûteuse sur tout le cycle de vie de l’équipement considéré (en possession et non juste en acquisition), et plus globalement en coût du cycle de vie de la capacité, en plus d’être chronophage dans la phase de développement. Cette quête, sans recherche au plus tôt d’un juste compromis assumé, conduit généralement à réduire les quantités du fait de la hausse des coûts unitaires. Or la polyvalence suppose le nombre (via une série homogène longue). Il s’agit potentiellement de rendre les opérations d’armement, et l’architecture globale, plus sécable (logique de batchs ? d’innovation progressive ? de frugalité technologique ?). Au-delà du fait que cela pourrait les faire basculer (notamment pur des questions de volumes) de la catégorie administrative "opérations d’armement" à "autres opérations d’armement" (AOA), généralement plus flexible en conduite. Notamment pour rendre plus raisonnable certains risques d’investissements du fait des montants en jeux, les conséquences d’éventuels échecs, les engagements sur des durées très (trop) longues pour garantir une rentabilisation, etc.

Ainsi, certains dogmes fondamentaux ne peuvent-ils pas être remis en partie en question ? Les équipements majeurs (avions, bateaux, blindés, etc.) doivent-ils être tous pensés pour avoir une durée de vie longue ? Comme les durées de vie escomptées, qui pèsent sur les risques de déclassement, des Tigre, Rafale et VBCI autour de 30 ans, missile MDCN ou FTI autour de 25 ans, etc. Ne peuvent-ils pas se contenter de répondre à des besoins plus réduits, notamment à des menaces émergentes et/ou changeantes, sur des périodes données ? Pour une opération donnée ? Pour une dizaine d’années ou sur la durée du marché de soutien initial ? Avec des coûts de possession potentiellement réduits si leur utilisation est prévue pour ne pas aller pour tous jusqu’à des grandes visites de maintenance, car l’engagement contractuel pris du maintien des spécificités attendues des équipements coûte de plus en plus cher avec le temps, du fait des risques et incertitudes reposant sur la garantie des performances. Avant que ces équipements, pour une rentabilisation financière partielle, ne partent sur un marché de l’occasion, aujourd’hui à fortement développer en termes de ressources humaines dédiées, de campagnes de prospection, de facilités contractuelles, de réintégration au budget des armées des crédits budgétaires réunis par les cessions, etc. D’autant plus que les équipements aujourd’hui à proposer par les armées sont généralement tellement usés, qu’ils ne sont pas toujours souhaités (ni souhaitables) pour nos partenaires…