Spécialiste des relations armées-société dans une perspective historique, Bénédicte Chéron a publié "Le soldat méconnu - Les Français et leurs armées : état des lieux" chez Armand Colin. Ayant eu le privilège d'être un des modestes relecteurs du manuscrit, je ne vais pas avoir la prétention de donner mon avis, et je vais laisser l'auteur présenter sa thèse à travers ces quelques questions.
1/ Tout d'abord, pourquoi ce titre de "méconnu" et non de "inconnu" pour les soldats français ?
Le soldat inconnu renvoie évidemment dans notre imaginaire collectif à celui de la Grande Guerre, dont la dépouille a acquis un statut particulier lorsqu’elle a trouvé place sous l’Arc de Triomphe à Paris. L’identité de ce soldat n’était pas connue, mais ce qu’avait vécu ce soldat, et avec lui tous ceux qui ont porté les armes pour leur pays entre 1914 et 1918, ne souffrait d’aucune ignorance de la part de l’ensemble des Français, hélas. Cent ans plus tard, le lien entre les Français et leurs armées a considérablement évolué et presque changé de nature : le lien charnel est devenu un lien intellectuel et culturel. Les Français connaissent leurs soldats mais ils sont les héritiers de tous les malentendus accumulés au fil des représentations médiatiques et culturels des conflits d’un XXe siècle inauguré par le traumatisme collectif de la Grande Guerre. La défaite de 1940, la guerre d’Algérie sont autant de moments douloureux; les récits de l’engagement pour le service de la nation par les armes en ressortent marqués durablement. Le soldat français, appelé ou engagé volontaire, n’est plus considéré que comme une victime ou un bourreau; les ressorts propres de l’exercice de la liberté et de l’intelligence au combat sont effacés de l’imaginaire collectif français. La professionnalisation n’est pas venue clarifier cette identité des armées aux yeux des Français, au contraire. Le sens de l’engagement militaire n’a pas été réaffirmé par ceux, civils ou militaires, qui ont œuvré aux réformes profondes qui ont marqué les armées des années 1990 au début des années 2000. Il a achevé d’être dilué par bien des représentations, dont les campagnes de recrutement ont probablement été un des signes les plus visibles. Et les coupes budgétaires drastiques ont fini par transformer les armées en une entité qui inspire beaucoup de pitié et de compassion.
Le soldat inconnu renvoie évidemment dans notre imaginaire collectif à celui de la Grande Guerre, dont la dépouille a acquis un statut particulier lorsqu’elle a trouvé place sous l’Arc de Triomphe à Paris. L’identité de ce soldat n’était pas connue, mais ce qu’avait vécu ce soldat, et avec lui tous ceux qui ont porté les armes pour leur pays entre 1914 et 1918, ne souffrait d’aucune ignorance de la part de l’ensemble des Français, hélas. Cent ans plus tard, le lien entre les Français et leurs armées a considérablement évolué et presque changé de nature : le lien charnel est devenu un lien intellectuel et culturel. Les Français connaissent leurs soldats mais ils sont les héritiers de tous les malentendus accumulés au fil des représentations médiatiques et culturels des conflits d’un XXe siècle inauguré par le traumatisme collectif de la Grande Guerre. La défaite de 1940, la guerre d’Algérie sont autant de moments douloureux; les récits de l’engagement pour le service de la nation par les armes en ressortent marqués durablement. Le soldat français, appelé ou engagé volontaire, n’est plus considéré que comme une victime ou un bourreau; les ressorts propres de l’exercice de la liberté et de l’intelligence au combat sont effacés de l’imaginaire collectif français. La professionnalisation n’est pas venue clarifier cette identité des armées aux yeux des Français, au contraire. Le sens de l’engagement militaire n’a pas été réaffirmé par ceux, civils ou militaires, qui ont œuvré aux réformes profondes qui ont marqué les armées des années 1990 au début des années 2000. Il a achevé d’être dilué par bien des représentations, dont les campagnes de recrutement ont probablement été un des signes les plus visibles. Et les coupes budgétaires drastiques ont fini par transformer les armées en une entité qui inspire beaucoup de pitié et de compassion.
2/ Après des années de valses, l'Afghanistan post 2008 ou encore le Mali, et l'emphase actuelle mise à la fois sur "la singularité positive" militaire par le CEMA ou "l'esprit guerrier" par le CEMAT, ne marquent-ils pas une tentative de solidification de la raison d'être des militaires ?
Il y a une volonté très nette du réaffirmer le sens de l’engagement militaire, dans un moment où il n’y a guère de doute sur le fait que cette clarification ne virera pas à une exaltation belliciste ou à une esthétisation malsaine de l’acte combattant pour lui-même. Cette clarification s’impose aussi dans un moment où la préoccupation de la manière dont les militaires perçoivent leur propre place au sein de la société est l’objet d’une attention accrue en raison des défis du recrutement et de la fidélisation. Ces chefs militaires n’opèrent pas réellement une révolution : au sein des armées, certains de leurs prédécesseurs des vingt dernières années faisaient déjà le constat d’une nécessité de clarifier aux yeux de leurs concitoyens quelle pouvait être l’identité des armées mais ils œuvraient dans un contexte différent; l’actuel contexte rend évidemment ces initiatives plus audibles. Par ailleurs, il faut avoir conscience des évolutions lentes qui ont aussi permis que la parole des chefs militaires, dans le respect strict de leurs prérogatives, puisse avoir une place plus importante dans l’espace public. Malgré l’épisode emblématique de la démission du général de Villiers, signe que des crispations demeurent, on constate dans la durée que cette parole publique a acquis, à force de petits pas, une place mieux admise. Il ne faudrait pas cependant que les clarifications sémantiques très nettes que font les chefs militaires actuels virent au refrain "hors sol" et sonnent creux aux yeux de beaucoup de Français voire éveillent des sentiments indignés. C’est un risque à prendre en compte alors que ces mots sont en grand décalage par rapport aux représentations collectives du fait militaire qui se sont élaborées pendant plusieurs décennies.
3/ Vous vous attardez sur la place de la culture sur la connaissance par la société française de ses / ces militaires. Y voyez-vous une évolution similaire aux timides changements perçus au niveau politique d'armées pleinement redécouvertes quant à leur singularité ?
Se développe depuis quelques années chez des producteurs, réalisateurs, éditeurs, notamment, une curiosité sans a priori idéologique (ce qui ne signifie pas sans esprit critique) qui est intéressante car elle permet qu’émergent des récits qui se renouvellent ; il est sain, notamment, d’échapper à une dialectique peu fructueuse entre récits antimilitaristes très politisés et mises en scène à sensations fortes d’aficionados qui occupent un terrain laissé vacant. La difficulté en revanche vient des distorsions entre ce qu’est la vie militaire, en particulier lorsque survient l’épreuve du feu, et ce qu’en comprennent beaucoup de nos concitoyens, et avec eux ceux qui œuvrent à la création culturelle et médiatique. En ce sens, le travail de la Mission Cinéma du ministère qui a donné plus d’ampleur aux structures déjà existantes au sein du ministère des Armées, si elle œuvre à mieux faire connaître un monde militaire qui apparaît encore aux yeux de beaucoup comme très mystérieux et réservé aux initiés, a tout sa valeur. Encore faut-il que tous ceux qui peuvent œuvrer à une meilleure connaissance réciproque, sans idéalisme ni naïveté, permettent que la rencontre se produise en profondeur et durablement.
4/ Enfin, comme présent et avenir de la société, également bassin de recrutement des armées, la jeunesse française, dans toute sa diversité, est au cœur de ses relations armées / société. Quels sont les tenants de ses relations, positives mais souvent superficielles ?
Les relations entre les jeunes Français et leurs armées sont, quant à elles, absolument débarrassées d’a priori idéologiques sauf dans quelques milieux militants circonscrits. En outre, quand il existe encore un antimilitarisme, il a en fait fortement évolué par rapport à ce qu’il était pour les jeunes Français des années 1970 : on peut s’opposer à l’idée du règlement des tensions internationales par la force armée ou à l’arme nucléaire sans être hostile au principe même de l’existence d’une armée. Pour tous les autres, les militaires font partie de leur paysage ordinaire. Pour autant, ils les connaissent mal. Héritiers des représentations collectives françaises évoqués plus haut, ils sont aussi très exposés, comme leurs aînés, à celles véhiculées par le cinéma américain. Leur relation avec ce qu’exige la vie militaire est très contrastée : beaucoup d’enquêtes rendent compte d’une aspiration à un cadre exigeant et à une autorité bien comprise, mais les contraintes qui découlent inéluctablement d’un engagement en ce sens ne sont pas toujours bien supportées. Des processus longs d’individualisation des valeurs, notamment, viennent apporter des explications à ces rapports contrastés. Une hypothèse peut cependant être dégagée des enquêtes existantes sur le fait que ceux qui finalement franchissent le pas, quelles que soient leurs motivations de départ, attendent que le sens de leur engagement soit pleinement reconnu dans ses aspects prosaïques, mais aussi dans sa gravité.
Annonce :
Conférence avec l'auteur le 11 octobre à l'Ecole militaire (Paris).
Inscriptions et modalités pratiques ici :
https://docs.google.com/forms/d/14QlwpW3qD1PSAIIR5Cqc9FavtoPyJmZt2KJFjZ67qk4/viewform?edit_requested=true
Pourquoi pas le soldat "nnéconnu" ... ( arraitons d'avoir peur des mots ). #Consigne #Irrégularisme
RépondreSupprimer???
RépondreSupprimerLe seul "nain connu" passait le balai dans une base aérienne et quand il devenu président de la république, les armées françaises l'ont senti passé...
RépondreSupprimerCependant, cela a été une politique suivie par tous nos dirigeants quelque soit la couleur politique. Se préoccuper de l'extérieur pour faire semblant d'être occupé ailleurs que par les problèmes internes au pays:
https://youtu.be/gwl2iibdlLM
Le problème se pose en tant que société et résilience de celle-ci.
https://www.les-crises.fr/qui-est-pret-a-se-battre-pour-son-pays/
Quelles sont nos valeurs et qui va les défendre:
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/le-programme-scorpion-pour-une-guerre-robotisee_6043165_3210.html
https://lavoiedelepee.blogspot.com/2020/06/quel-modele-darmee-pour-la-france.html
Allons-nous nous en accorder les moyens et pour quelle politique ?
https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/france-pourra-t-elle-conserver-modele-d-armee-216725
https://theatrum-belli.com/covid-19-reserves-mystique-de-la-levee-en-masse-et-impreparation-des-elites-plaidoyer-pour-lorganisation-de-reserves-civiles-et-militaires-face-aux-crises-a-venir/
Car une civilisation qui ne voit pas l'utilité de défendre ses valeurs s'écroule:
https://www.polemos.fr/2011/05/smp-guerre-et-societe-le-cas-de-byzance/
De tout temps et sur tous les continents.
Pourquoi utiliser des termes péjoratifs ? (qui nuisent à l'envie de lire le reste... avis perso)
RépondreSupprimerDésolé, c'était un jour sans...
RépondreSupprimerDonc des armées, oui... mais pourquoi faire (pour le grand public):
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/renaud-girard-nos-armees-pour-quoi-faire-20200713