samedi 26 mars 2022

Exercice HEMEX ORION 2023 - Réussir à faire les choses en grand et le faire savoir (+MAJ 20/04/2022)

Durant les premiers mois de 2023 devrait se dérouler en France l’exercice ORION, grand exercice de niveau division, qui doit faire la démonstration des capacités françaises dans le domaine, et donnera l’occasion d’un nouvel état des lieux et d’un point d’avancement sur certains chantiers de régénération et de modernisation, notamment, des forces terrestres. ORION étant l'acronyme pour "Opération d’envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers la haute intensité, et novatrices". #passionacronyme Dans la continuité de précédents jalons récents, comme l'exercice Warfighter 21-4 mené l'année dernière aux États-Unis.


Cet exercice, complexe, s’inscrit dans une actuelle hausse de l'effort de préparation opérationnelle, afin que les forces terrestres soient mieux préparer. Et qu'elles se préparent à des opérations relativement différentes dans la forme de celles connues au cours des dernières années. Avec des engagements plus durs, des changements d’échelles, et dans différents champs. D’où le renforcement nécessaire des moyens consacrés à la préparation opérationnelle, avec un changement d’échelle des exercices, en rehaussant les difficultés (une durée des exercices s’allongeant, une coordination nécessaire de diverses capacités, des forces adverses renforcées, etc.) et l’ampleur : "La haute intensité, ce n'est pas que le nombre de chars. C'est la saturation dans tous les domaines : flux logistiques, nombre de blessés, flux électromagnétiques… C'est le retour de la masse : il faut pouvoir s'entraîner avec de plus gros volumes de forces", expliquait le général Vincent Guionie, commandant des forces terrestres françaises.
 
Comme le précise un rapport parlementaire, reprenant l'idée de manoeuvre générale de l'armée de Terre à propos de la prépération opérationelle : "Certains domaines comme la cyberdéfense, la lutte anti-drones, la navigation terrestre ou la prise en compte des effets dans les champs immatériels sont désormais associés à tous les niveaux de la programmation opérationnelle et intégrés systématiquement dans l’élaboration des exercices interarmées ou interalliés. En outre dans le cadre de la Haute Intensité, l’armée de Terre opère un durcissement de l’entraînement des forces terrestres. Elle augmente la complexité de ses entraînements par la constitution d’une force d’opposition à niveau égal, apte à la défier dans tous les domaines du combat mais aussi par la réalisation de grands exercices du niveau divisionnaire, dont la première occurrence, ORION, se tiendra en 2023. Par ailleurs, elle adapte les conditions intellectuelles et matérielles de sa préparation opérationnelle, en mettant en œuvre de nouvelles méthodes de formation et d’entraînement fondées sur la maîtrise de la technologie, la résilience face à sa disparition, l’initiative et l’endurance".

D'un déroulé longue durée

L’exercice HEMEX-ORION (HEMEX pour Hypothèse d'engagement majeur - Exercice) est prévu en plusieurs temps, entre février et mai 2023, avec quatre séquences principales :
  • La phase O1 consistant en une période de planification opérationnelle ;
  • L’activité O2 comprenant la projection et l’intervention d’une force équivalente à l’Échelon national d’urgence (ENU), récemment modernisé, qui garantit une capacité de réaction autonome aux crises ;
  • La phase O3 prenant la forme d’un séminaire interarmées et interministériel, permettant d’étudier l’adaptation de la posture opérationnelle de défense en cas d’affrontement majeur (s'appuyant potentiellement sur des moyens de Wargaming) ;
  • La phase O4, à partir d'avril, qui verra l’engagement en coercition, à terre, d’une division multinationale après une campagne aérienne censé permettre la conquête de la supériorité aérienne et son maintien.
Il s’agira, sous la houlette de la 3è division, de remettre à la fois la brigade au cœur du déploiement (niveau rarement vu ces dernières années en entier), la division comme intégrateur des effets interarmes-interarmées sur les lignes de fronts comme sur les arrières, et, globalement, de faire effort important sur les soutiens. Plus que de se concentrer sur une période plus ou moins longue, il est prévu de l’inscrire dans un temps long, représentatif d’une montée des tensions, et d’un passage de la phase de contestation à celle de l’affrontement, selon le triptyque cher à l’actuel chef d’état-major des armées. Comme le résume en interview le commandant des forces terrestres, le général Guionie : "L’exercice Orion sera un rendez-vous majeur qui, durant quatre mois, va nous permettre de retranscrire tout l’enchaînement d’une crise. La séquence majeure pour l’armée de Terre étant la dernière, à savoir celle qui se déroulera au mois d’avril. Cette phase verra le déploiement d’une division dont l’objectif sera de figer une situation et d’empêcher un adversaire de mettre en œuvre une politique du fait accompli".

mercredi 16 mars 2022

Retours et perspectives - Un an après l’exercice Warfighter 21-4 et quasi un an avant l'exercice HEMEX Orion 2023 (+ MAJ)

« L'armée française n'est pas prête pour un combat de haute intensité », « Pourquoi l’armée française ne serait pas préparée pour une guerre contre l’Ukraine », ou encore, de manière plus prudente, sous la forme interrogative, « L'armée française est-elle prête pour les conflits de haute intensité ? ». Les titres d’article et les développements associés ont fleuri ces dernières semaines sur le sujet, suivis de commentaires plus ou moins définitifs. Il serait possible d’apporter de la mesure et de la nuance en évoquant notamment le fait que si le cas se présentait, la question ne serait plus vraiment rhétorique, mais que, puisqu’il aura été décidé d’y aller, cela serait fait, avec ce qu’il y a. Et que les développements observés pourraient apporter des réponses bien surprenantes par rapport aux avis précédemment émis. Du fait même de l’aspect caméléon de la guerre ou de la difficulté à la positiver : la non quantifiable friction, les forces morales, les relations dans l’étonnante trinité peuple/armée/gouvernement, l’apprentissage et l’innovation sous contraintes, etc. En espérant ne pas avoir à connaître, si possible, ce révélateur de l’affrontement des volontés, il est toujours possible de s’en approcher par des voies détournées, bien que parcellaires.


Du cadre général

Il y a quasi un an, du 6 au 15 avril 2021, s’est tenu l’exercice Warfighter (l’édition dite 21.4), durant 10 jours et 9 nuits, menée, notamment pour la partie française, à Fort Hood au Texas (USA), sous la direction de l'US Army’s III Corps (US). La 1st Armored Division (US), la 3rd Division (UK) et la 3è division (FR) ont mené un exercice de simulation multi-sites de postes de commandement, sans troupes déployées. Exercice représentant un effort majeur pour l’armée de Terre française, alors qu’un effort particulier était fait depuis peu pour remettre un pied vers l’exigence de « la haute intensité ». Comprise comme « un affrontement soutenu entre masses de manœuvre agressives se contestant jusque dans la profondeur et dans différents milieux l’ensemble des champs de conflictualité (physique et immatériel) et dont l’objectif est de vaincre la puissance de l’adversaire ». Cet exercice s’intégrait en particulier dans le Strategic Vision Statement (SVS) signé entre les chefs d’état-major de l’armée de Terre et de l’US Army en 2015, donnant une feuille de route pour développer l’interopérabilité. Si l’armée de Terre britannique était à sa 4è participation à ce genre d’exercice, dans le cadre d’une vision stratégique similaire, il s’agissait d’une première pour l’armée de Terre française.

Environ 1.000 militaires français étaient engagés, soit 550 joueurs et 450 pour l’environnement de soutien et de transmissions. Un chiffre et un ratio soutenus/soutenants intéressants en soit quant à la taille d’un PC de division, cf. ci-dessous, qui, en temps normal, compte environ 300 personnels, et fût renforcé, et étayé pour l’occasion pour représenter un environnement représentatif des unités placées sous son commandement. Avec un PC pensé pour commander l’équivalent de 25.000 militaires (échelon de commandement intégré, troupes de manœuvre et soutien national associé). La division française, qui combattait côte à côte avec les divisions américaine et britannique, comptait dans ses rangs une brigade américaine (la 2/4 ID), soit 800 hommes, représentés par leur PC, en plus de la 2è Brigade blindée et de la 11è Brigade parachutiste côté français.

Il s’agissait d’un exercice non mené à un tel niveau par l’armée de Terre depuis de longues années. Les plus anciens se rappelant les ambitieuses manœuvres comme "Moineau Hardi" (Kecker Spatz), "Damoclès", ou "Fartel" dans les années 80/90. Ou plus récemment (et encore), de Joint Sword en 2006, mené en Allemagne (sur le camp de Wilflecken, avec l'Etat-Major de Forces (EMF) n°4 sous commandement d'un corps d'armée néerlandais. Un exercice Warfighter 21-4 qui a demandé 2 ans de préparation côté français, avec 8 mois d’entraînement intensif au niveau division, avec des préexercices notamment en Allemagne, avant l’échéance. Et un exercice qui n’avait pas été joué avec un tel volume de forces (réel et simulé) depuis 35 ans côté américain. Il s’agissait d’un exercice de type Command Post eXercise/Computer Assisted eXercise (CPX/CAX) programmé par l’US Army Forces Command (FORSCOM) et conduit par le Mission Command Training Program (MCTP) pour entraîner, évaluer et certifier des états-majors de corps et de divisions. Avec un scénario s’appuyant sur capacités de simulation, cf. ci-dessous, en plus de l’environnement humain composé d’arbitres et de conseillers, pour opérer face à un adversaire réaliste et à parité : celui-ci détient plus de drones que les forces amies, il maitrise les cyber-attaques, il possède une artillerie nombreuse et avec une très forte allonge, ses blindés sont supérieurs en qualité et en quantité aux blindés amis, la désinformation est permanente, etc. Le scénario choisi visait à réagir suite à un Etat qui avait occupé illégalement une large partie de l’Est de l’Europe, qui souhaitait tenir le terrain, les forces amies devant le reprendre, et le tenir jusqu’à ce que des forces amies simulées viennent relever et/ou renforcer les forces joueuses.

lundi 7 mars 2022

Du Génie dans les opérations en Ukraine (en cours - 07/03/2022)

Réserves introductives d’usage évidemment : avec le brouillard de la guerre obscurcissant des pans entiers des opérations, un manque de recul surtout sur les aspects micro-tactiques des opérations (et une meilleure visibilité – toute relative - sur le niveau opératif et stratégique), de nombreux biais possibles d’analyse, une situation dynamique et évolutive, des courbes d’apprentissage en cours des deux côtés...

Le Génie est une arme servant, "en gros", à garantir la liberté d’action des forces amies et à réduire la capacité de manœuvre adverse. Elle peut, en théorie, mettre à disposition de la force, en phase offensive comme en phase de stabilisation, une boite à outils de capacités extrêmement variées.

Intégrant les composantes "combat" et "infrastructures" (qui sont séparées en France), l’arme du Génie dans les forces armées russes est une subdivision propre, qui a, comme d’autres composantes, connue une modernisation relative au cours des dernières années (en quantité - en partie, et en qualité), notamment matérielle (nouveaux robots de déminage, ponts modernisés, blindés de bréchage…).

 Crédits : Oryx.

Protection sommaire sur un moyen de franchissement du Génie de l'armée russe.

Les unités russes du Génie, au déclenchement de la nouvelle phase d’invasion de l’Ukraine en février, bénéficient, en théorie, du retour d’expérience des opérations menées en Ukraine depuis quelques années (avec un fort focus sur la partie protection de la force) et en Syrie (avec un fort focus sur la partie déminage / dépollution).

Alors que les moyens du Génie étaient bien observés (notamment via le renseignement d’origine image des satellites) dans la phase de montée en puissance/pré-positionnement/entraînements pré-déclenchement des opérations, il y a, à ce jour, une très faible observation depuis de l’engagement de moyens Génie : rares ponts mobiles (sur camions ou blindés, type TMM-3 ou PMP) - peu ou pas utilisés, peu ou pas de blindés de déminage/bréchage, peu de moyens d’aménagement du terrain type tracteurs, bulldozers, etc. (des KamAZ, ou BAT-2), peu de moyens de déminage portatifs, quelques matériels de génie d'assaut, etc. Que cela soit dans les images/vidéos des pertes sur le terrain, des convois circulant en territoire ukrainien, des images de la communication opérationnelle russe (plus nombreuses depuis quelques jours pour reprendre l'offensive aussi dans ce domaine), etc.