Comment concilier la représentation de la pâte humaine qui est au cœur du sujet "forces spéciales" et le matériel qui est lui aussi omniprésent ? L'Histoire et le Temps (quasi) présent ? La discrétion inhérente au sujet et le pari de faire voir au grand public ?
Ce ne sont pas les moindres des défis relevés ces 2 dernières années (oui, 2 ans de préparation) par les équipes du Musée de l'Armée en lien étroit avec le Commandement des Opérations Spéciales (COS) pour proposer cette exposition sur les Forces Spéciales. Exposition qui coïncide avec les 30 ans de la création de ce commandement, tirant notamment les enseignements des opérations de la 'Guerre du Golfe'. Soit plonger dans l'histoire profondément humaine de ces hommes et femmes, notamment par la vidéo. Donner à découvrir par les yeux un peu de leurs objets, parfois très rarement vus, du quotidien.
Au-delà des chiffres (3 grandes salles, quelques 250 objets exposés, choisis après des visites dans chacune des 16 unités, plus de 6H d'entretiens présentés sur de nombreux dispositifs multimédias - qui seront disponibles à la fin de l'exposition dans le domaine public - sur les 80H d'entretiens menés, etc.), il faut retenir l'agencement des éléments dans une muséographie (très) travaillée : en horizontal comme en vertical, entre ombres et lumières, entre dépouillement - avec un touchant, très simple, In Memoriam pour les 28 membres des forces spéciales morts en opérations depuis 1992 - et reconstitution plus fouillée (d'un poste de commandement d'une Task Force, d'une salle de groupe avec des casiers d'équipements, d'un poste avancé médical, etc.).
Même les sièges à disposition sont de "couleur locale".
Avec des banquettes de C-160 Transall, appareils récemment retirés su service.
De 1942 à nos jours, les pièces d'intérêts, au-delà de pièces parfois beaucoup plus communes, ne manquent pas : entre les prêts des unités - plus de 70% des objets présentés, celles de collectionneurs ou industriels partenaires, et même 3 pièces en provenance de proches partenaires en opérations - Grande-Bretagne et États-Unis, avec notamment une tenue d'un des opérateurs de la SEAL Team 6 portée lors de l'opération Neptune Spear qui conduira à la mort d'Oussama Ben Laden en mai 2011.
Pour le clin d’œil amusé qu'ils déclenchent ou pour les émotions qu'ils procurent, il sera possible de citer une tenue de SAS britannique, unité particulièrement discrète, lors de l'opération Nimrod à l'ambassade d'Iran à Londres en 1980 avec le sac de sport "civil" dans lequel les équipiers SAS camouflaient leur tenue et armement. Les casques impactés par des munitions ou des éclats de 3 opérateurs, issus des 3 armées, symboles bien concrets de l'engagement maximal auquel sont prêts ces militaires. L'un des 3 étant celui d'un opérateur du 1er RPIMa qui aura la vie sauve grâce à son casque touché lors de l'opération de libération d'otages à l’hôtel Radisson Blue de Bamako au Mali en novembre 2015. Ou encore le chèche et le pacol (coiffure traditionnelle afghane en laine brune) porté par le caporal Murat du 1er RPIMa en Afghanistan, premier des 90 militaires français morts en Afghanistan. Les œuvres (aquarelle et pastel) réalisées par un ancien membre du 13ème régiment de dragons parachutistes (RDP) sur ces temps morts en opérations pour graver, sur papier, plus définitivement ces moments vécus en Afghanistan ou en Bosnie. Ou encore les souvenirs d'opérations et "trophées" : la plaque de signalisation l'aéroport de Gao prise lors de sa reprise en 2013 au début de l'opération Serval, les drapeaux pris au Sahel et ailleurs à l'organisation Etat Islamique, etc. Ou enfin la salle des "vecteurs", moyens de déplacements, avec un bel effort en termes de tracteurs sous-marins anciens ou plus récents mis à disposition de la part du Commando d'action sous-marine (CASM) Hubert, engins qu'il est rare d'approcher.
Ayant eu l'opportunité de visiter cette exposition avec quelques anciens membres des forces spéciales, il était particulier de les voir réagir, avec des sentiments mêlés, à ces objets, vidéos et images. Sourires et excitation en se rappelant des bons moments connus par ces passionnés faisant un métier extra-ordinaire au sens premier du terme. Descriptions saccadées, incomplètes, des moments d'une intensité sans doute difficilement pleinement descriptibles pour ceux ne l'ayant pas vécus. Mines graves aussi à l'évocation, qui ne manquait jamais d'arriver, d'un camarade disparu à cette occasion, d'un camarade encore aujourd'hui blessé suite à tel ou tel opération, dans sa chair ou de manière plus invisible. Ou encore les évocations attristées des difficultés rencontrées ensuite par soi ou par ses camarades. Au retour d'opération. Lors du départ de ces unités. Et de ce que cela implique pour les proches. Avec, à noter, une juste évocation dans l'exposition du vécu et du ressenti des parents, des épouses, conjointes, qui ne sont pas oubliés dans les entretiens vidéos.
Moto Yamaha du 13è RDP
Un parcours pour les enfants est également prévu (avec un joli clin d’œil en reprenant le (célèbre) patch du Commandement des Opérations Normales), permettant de découvrir très simplement et de manière ludique certains aspects et objets. Sans être définitif là-dessus, s'attendre néanmoins à une attention soutenue à tout suivre à partir de la tranche 8-10 ans plutôt qu'avant.
Avec la richesse des objets, les cartels décrivant les objets, ou les vidéos, ne pas s'attendre à passer moins de 2 à 3H pour pleinement découvrir cette exposition.
Une exposition qui, en filigrane, interroge notre rapport au temps et à l'Histoire la plus immédiate. Des opérations menées d'aujourd'hui, parfois encore bien peu abordées pour des questions légitimes de "sécurité opérationnelle", que retiendrons nous demain ? Qu'est ce qui sera conservé pour transmettre, comprendre et expliquer ? Les objets, certains avec une très forte charge historique et "sentimentale", les plus récents sont finalement issus généralement des unités elles-mêmes, sortis pour l’occasion des salles de tradition. Quelle conservation, plus large, demain ? Quelle histoire des opérations ? Par qui ? Avec quels matériaux ?
Autant de questions dont le Musée de l'Armée, dans le cadre de son développement comme musée de référence, moderne, de l'histoire militaire et du fait guerrier en France et dans le monde, se saisit et souhaite apporter des réponses. Une ambition, traduite notamment par le projet dit Minerve qui se concrétisera d'ici 2024 avec de nouveaux parcours plus contemporains sur les forces armées en général. Un développement où l'approche scientifique est prévue d'être en rien absente, permettant de garantir ce regard critique qui doit absolument perdurer.
PS : Merci au Musée de l'Armée et aux équipes (extrêmement disponibles) pour l'invitation privilégiée à découvrir cette définitivement superbe exposition. Un beau moment.
Même les bibelots sont touchés par l'épicerie...
RépondreSupprimerhttps://www.forcesoperations.com/reduction-partielle-de-voilure-pour-le-programme-vfs/