La technologie et l’usage des drones évoluent, les histoires d’hommes les utilisant resteront lorsqu’elles sont écrites, surtout quand cette mise à l'écrit est servie par une belle plume. Les mandats des groupements tactiques français Hermes, Allobroges, Bison, Richelieu et autres se sont suivis avec "ces anges gardiens" au-dessus de leurs têtes, les vallées afghanes, hier aux noms un peu évocateurs de Tagab, Alasai, Bedraou, ou Uzbeen, aujourd'hui oubliées, sont restées hermétiques à toute présence étrangère dans le temps, quel que soit l’apport de ces machines volantes, devenues le temps de quelques mois quasi des créatures bien vivantes pour ceux qui les servaient.
Sans le moindre doute l’entièreté du récit "Pilote de drone" (aux Belles Lettres) mérite d’être lu, mais il sera possible de se nourrir tout particulièrement de certains chapitres de cet ouvrage ou de réflexions transverses chargées d'humanité déroulées au fil des pages. Pierre-Yves Le Viavant, capitaine au moment des faits et jusqu’à peu chef de corps du régiment des drones de l’armée de Terre, les Diables Noirs du 61ème régiment d’Artillerie, nous plonge dans ces mois d’opérations comme chef de la section SDTI (système de drone tactique intérimaire) déployée sur une base au Nord-Est de la capitale afghane, à Tora, entre fin 2010 et début 2011.
Il sera frappant de saisir tout au long des pages la description qui est faite par l’auteur de ces drones, et sur la prise de recul bien consciente de l’auteur sur cette relation avec "l’animal" ou "l’oiseau", qui n’est pas juste "une machine complexe et capricieuse". Le lien existant avec ces drones, présentés comme dotés de leurs caractères propres, est finalement bien plus qu’un simple lien via des flux de communications ou par les cinq sens. "Les drones ne sont que des outils. Une singulière transformation mentale se produit. Les aéronefs prennent vie. Maitres théoriques de la technique, nous devenons ses esclaves", écrit l’auteur avec un rare recul sur ces mois intenses passés au contact de ces drones, n'empêchant jamais un quelconque détachement froid, ou une désensibilisation, par rapport aux actions menées, comme bien des lignes le prouvent tout au long du livre.
Chapitre après chapitre, c’est une plongée dans une certaine époque pour ces capacités pas totalement nouvelles mais pas encore totalement généralisées et servies par des explorateurs : "Nous bricolions en quelque sorte, nous sommes les Blériot du drone". Les systèmes d'alors n’ont rien à voir avec ceux connus aujourd’hui. Il fallait convaincre les chefs et les autres échelons. Et au final, apparait bien que seule demeure la capacité complète où le drone en tant que tel n’est rien sans son intégration plus large dans un ensemble de remontée d’informations de différents capteurs au commandement comme directement sur le terrain, ses capacités de soutien où les mécaniciens ne permettent pas tant "le ballet" du vol mais de rendre possible le vol, les différentes compétences au service d'un seul but, les opportunités offertes comme les contraintes techniques, aérologiques, etc. Mais toujours "au service des autres", mantra simple utilisé pour décrire la mission du détachement, avec un drone "ange gardien pour les uns et terreur pour les autres".
Difficile aussi de ne pas s’arrêter sur certaines pages intenses de description chirurgicale des missions menées, loin d’une guerre mécanique, désincarnée, avec finalement une interface par écran qui loin de déshumaniser certaines gestes au combat ne les rend que plus forts par les détails permis sur ces images vues par les caméras optiques ou infrarouges selon les moments du jour. "Ce n’est pas le drone qui a provoqué la mort, c’est nous. Nous n’avons pas douté", indique l’auteur, qui poursuit plus loin : "Je ne peux m’empêcher de lancer un juron d’horreur. Nous n’avons aucun scrupule, mais l’étonnement d’avoir assisté à une mise à mort peut se lire sur nos visages et surtout dans notre silence pesant". Tout le corps vibre, la respiration s’accélère, le silence se fait, nulle froideur ou absence de sentiments. Il termine en disant : "Ces ennemis me haïssent, je les fais tuer, mais je ne les déteste pas : pas de regrets, mais pas de contentement à l’inverse".
Il sera frappant de saisir tout au long des pages la description qui est faite par l’auteur de ces drones, et sur la prise de recul bien consciente de l’auteur sur cette relation avec "l’animal" ou "l’oiseau", qui n’est pas juste "une machine complexe et capricieuse". Le lien existant avec ces drones, présentés comme dotés de leurs caractères propres, est finalement bien plus qu’un simple lien via des flux de communications ou par les cinq sens. "Les drones ne sont que des outils. Une singulière transformation mentale se produit. Les aéronefs prennent vie. Maitres théoriques de la technique, nous devenons ses esclaves", écrit l’auteur avec un rare recul sur ces mois intenses passés au contact de ces drones, n'empêchant jamais un quelconque détachement froid, ou une désensibilisation, par rapport aux actions menées, comme bien des lignes le prouvent tout au long du livre.
Chapitre après chapitre, c’est une plongée dans une certaine époque pour ces capacités pas totalement nouvelles mais pas encore totalement généralisées et servies par des explorateurs : "Nous bricolions en quelque sorte, nous sommes les Blériot du drone". Les systèmes d'alors n’ont rien à voir avec ceux connus aujourd’hui. Il fallait convaincre les chefs et les autres échelons. Et au final, apparait bien que seule demeure la capacité complète où le drone en tant que tel n’est rien sans son intégration plus large dans un ensemble de remontée d’informations de différents capteurs au commandement comme directement sur le terrain, ses capacités de soutien où les mécaniciens ne permettent pas tant "le ballet" du vol mais de rendre possible le vol, les différentes compétences au service d'un seul but, les opportunités offertes comme les contraintes techniques, aérologiques, etc. Mais toujours "au service des autres", mantra simple utilisé pour décrire la mission du détachement, avec un drone "ange gardien pour les uns et terreur pour les autres".
Difficile aussi de ne pas s’arrêter sur certaines pages intenses de description chirurgicale des missions menées, loin d’une guerre mécanique, désincarnée, avec finalement une interface par écran qui loin de déshumaniser certaines gestes au combat ne les rend que plus forts par les détails permis sur ces images vues par les caméras optiques ou infrarouges selon les moments du jour. "Ce n’est pas le drone qui a provoqué la mort, c’est nous. Nous n’avons pas douté", indique l’auteur, qui poursuit plus loin : "Je ne peux m’empêcher de lancer un juron d’horreur. Nous n’avons aucun scrupule, mais l’étonnement d’avoir assisté à une mise à mort peut se lire sur nos visages et surtout dans notre silence pesant". Tout le corps vibre, la respiration s’accélère, le silence se fait, nulle froideur ou absence de sentiments. Il termine en disant : "Ces ennemis me haïssent, je les fais tuer, mais je ne les déteste pas : pas de regrets, mais pas de contentement à l’inverse".
Car au-delà de ces opérations plus ou moins bien huilées, il y a ces militaires français morts au combat, avec notamment un premier mort cinq jours après l’arrivée du détachement SDTI en Afghanistan, avec la mort de l’Infirmier de classe supérieure Thibault Miloche, en octobre 2010 : "C’est une immersion dans l’eau noire et profonde d’une réalité : nous sommes devenus des cibles". Ces combats de vallées, dans des zones de quelques dizaines de km2, pour conquérir et tenir Tagab face au chef Essanulah, ne seront pas sans pertes, dans de violents combats perçus entre vue d’ensemble et vue de près : "les détails apparaissent et nous découvrons avec sidération une véritable scène de guerre", comme l’indique l’auteur lors des échanges particulièrement violents connus par les forces spéciales françaises, conduisant à la mort du Maître Jonathan Lefort en vallée de Bedraou, tombé au cœur d'un guêpier ennemi. Et l’impuissance de l'auteur de n’avoir pas pu, de n’avoir pas vu "sur ce territoire interdit où nous sommes des cosmonautes", ne pouvant se déplacer sans toutes ces carapaces technologiques. Car, comme le dit l’auteur après une séquence de tirs fratricides visant un détachement de spécialistes en recherche humaine, qui se termine miraculeusement sans perte : "il me vient à l’idée que tous nos artifices électroniques et autres technologies les plus modernes n’empêcheront jamais les hasards de la guerre, les tirs manqués ou les faillites techniques". Dont la mort au combat.
Au final ce sont ces effets de zoom, entre petite et moyenne histoire, entre détails techniques et réflexions remplies d’humanité, entre ce groupe de dronistes et la grande machinerie otanienne, entre ces machines et ces personnalités, ces histoires vécues fondamentalement humaines, qui font que cet ouvrage mérite d'être lu. "Nous partons d’autres arrivent", d’autres servent ces machines depuis et aujourd'hui, et finalement il ne s’agit pas, via ce récit, de passer totalement à autre chose. Et c'est heureux. "Ce n’est déjà plus mon histoire" écrit l'auteur quand à la fermeture, en partie, de sa séquence afghane, mais c’est sans doute aussi par de tel récit que se fait l’Histoire.
Cette expérience afghane n'a pas suffit à faire évoluer les tenants de nos doctrines datant des années 90 et ce jusqu'à la fin du Haut Karabagh pour les arméniens: là, l'utilisation des drones est apparue comme un game-changer même aux plus obtus.
RépondreSupprimerhttps://theatrum-belli.com/emploi-de-la-puissance-aerienne-au-haut-karabagh-etude-du-cesa/
Depuis quelques années, les américains ou les israéliens ne sont plus les seuls à les utiliser et doivent aussi trouver des solutions pour contrer les attaques des petits drones contre eux ou leurs intérêts.
Depuis, nous observons les conflits actuels partout il y a des drones, même dans des pays bien plus pauvres (soit turcs ou chinois).
Dans les zones où l'ennemi n'a pas de défense anti-aérienne, les gros drones peuvent toujours évoluer dans le ciel à la demande.
Le RETEX ukrainien est encore plus complexe: la zone est défendue, il faut tenir loin les drones MALE chers et vulnérables. Ce sont de plus humbles engins qui font peser une épée de Damocles sur les troupes au sol, la guerre électronique a une place primordiale plus visible que d'habitude.
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/04/06/en-ukraine-la-guerre-des-ondes-contre-les-drones-tueurs_6226227_3210.html
L'estimation publique est de 10 000 petits drones pas chers sont perdus par mois juste par les ukrainiens qui produisent de plus en plus les leurs. Sans doute la même proportion par les russes, d'où leurs achats de drones iraniens.
Les vidéos de morts de soldats ou de véhicules explosés sont tellement nombreuses que cela devient un volet à part entière de la propagande de guerre.
Quant aux taux des pertes humaines d'une guerre en Europe, ils nous semblent inédits pour nous, qui sommes habitués qu'aux OPEX et à nos combats asymétriques depuis 1963...
L'accélération des technologies et les usages observés ont bouleversé bien des paradigmes: les petits drones redonnant de la masse et donc multipliant les possibilités de mener des conflits.
https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=566&cidcahier=1316
Le paysage économique des acteurs industriels de la filière drone en France est "un éclaté", mais certains de leurs produits se distinguent malgré la concurrence féroce.
Il ne manque plus qu'à les intégrer dans l'ordre de bataille français, pour transformer l'essai.
Bilbon, le SDTI alias "la tondeuse à gazon".