mardi 19 octobre 2010

Le Power Point, c'est du cinéma!

Dans la poursuite des réflexions menées sur l'utilisation de certains outils (ici ou ), je recommande vivement la lecture de ce long entretien paru dans l'hebdomadaire Le Monde Magazine du 16/10/10.

Il développe les propos de Franck Frommer, ex-journaliste et spécialiste de la communication, auteur récemment d'un ouvrage intitulé "La pensée PowerPoint. Enquête sur ce logiciel qui rend stupide".


Oui, l'outil n'est rien sans l'utilisation raisonnée que l'on en fait. Oui, l'information n'est rien sans la capacité à la représenter. Par contre, l'énergie consommée pour réaliser sa représentation ne doit pas faire négliger la valeur de l'information en elle-même (le fond vs. la forme). La recherche de la simplicité communicatrice ne doit pas conduire au néfaste simplisme avilissant.
Aux États-Unis, une critique de PowerPoint a émergé il y a quelques années déjà. De qui émanait-elle ?

En 2001, le New Yorker a consacré un article ("Comment un logiciel édicte nos pensées") à l'omniprésence de Ppt dans des secteurs comme l'école ou l'armée, racontant que certains patrons préfèrent en interdire l'usage. "PowerPoint, y lisait-on, est étrangement habile à dissimuler la fragilité d'une proposition, la vacuité d'un business plan, devant un public toujours respectueux ; grâce à la distraction visuelle, l'orateur peut rapidement occulter toutes les failles ridicules de son argumentation."

Pourquoi PowerPoint rendrait-il stupide ?

Pour faire entrer ce que l'on veut dire dans le cadre très contraignant de la dizaine de maquettes proposées, il faut couper, recouper les phrases, éliminer tous les liens logiques. (...) Bref, à être sur la forme, en superficie, davantage que sur le fond. A mobiliser un système de connaissances tout à fait différent de celui qu'ils mobiliseraient pour rédiger une note.
Paradoxalement, le prétendu support privilégié de la nouvelle idéologie de la créativité dans l'entreprise produit des formes très directives et appauvrissantes d'organisation de la pensée. Il faut aller à l'essentiel, afficher des points forts, valoriser des concepts-clés, promouvoir l'action.
Le syndrome PowerPoint touchant de nombreuses organisations (civiles ou militaires, publiques ou privées), cette diatribe (entièrement à charge) se révèle instructive et assez universelle.

3 commentaires:

  1. Malheureusement, PowerPoint me semble n'être qu'un symptôme, une conséquence d'un mouvement de fond dans nos sociétés. Le discours politique présente des caractéristiques très similaires: très travaillé sur la forme, visant davantage l'émotion plutôt que la raison des auditeurs, il se concentre sur ce que l'on appelle de façon barbare des "idées-forces". Celles-ci tendent à vouloir expliquer ou résoudre un problème en agissant sur un unique paramètre, afin de le simplifier suffisamment pour que chacun pense avoir compris le problème et sa solution.
    Il en va de même dans les médias de masse, regardez le journal de 20h.
    Une seule cause, un seul effet, un seul responsable, une seule idée: il faut tout simplifier, pour atteindre un objectif: communiquer au plus grand nombre.
    C'est peut-être une conséquence de la démocratie telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui: pour obtenkr une adhésion maximale, il est plus aisé et plus rapide de persuader que de convaincre. Plutôt qu'éduquer les auditeurs pour qu'ils puissent comprendre les idées, les enjeux, les interactions, la complexité, on préfère simplifier la démonstration pour que chacun pense avoir compris.
    Pendant longtemps, l'élitisme a prévalu et les décisions prises ne requéraient pas l'adhésion du plus grand nombre. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. On a donc deux solutions: soit on augmente le niveau d'éducation de l'ensemble de la population, soit on simplifie les problèmes.
    Simplifier les problèmes, en plus d'être plus facile, plus rapide et moins coûteux, permet d'orienter la décision du public par le choix de la représentation simplificatrice qui lui est présentée.
    Ceci se retrouve dans la sphère économique avec la façon dont les produits sont présentés par la publicité: simplification, omission, appel à l'émotion. La recette est aujourd'hui généralisée: politique, entreprise, partout on choisit de persuader plutôt que convaincre.

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  2. Jean-Pierre Gambotti10 novembre 2010 à 17:33

    Le Monde Magazine du 16.10.2010 Extraits
    …« L'avenir de l'Afghanistan est un schéma illisible, une sorte de plat de spaghettis dont le New York Times s'est moqué. "Quand nous aurons compris cette slide, nous aurons gagné la guerre !", s'est écrié celui qui dirigeait les forces américaines en Afghanistan, le général McChrystal, qui a même accusé Ppt d'être devenu le principal ennemi de l'armée des Etats-Unis. »

    En lisant ces réflexions j’ai pris une nouvelle fois conscience, pour antiphraser Musset, que je suis venu trop tard dans un monde trop jeune!
    D’abord le Power-point. Comment cette magnifique génération de responsables, celle de la noosphère et de l’infosphère, peut-elle confondre l’outil avec l’idée et s’obstiner « à regarder le doigt quand le sage montre la lune ? » Pour toutes les « petites mains » des centres d’opérations qui ont pratiqué le rhodoïd, le crayon gras et le rétroprojecteur, le Ppt est une véritable révolution platonicienne, c’est l’intelligible qui prime : l’image sur l’écran est de la pensée. Encore faut-il savoir « penser la guerre. »
    Ensuite « le plat de spaghettis », selon la suffisante saillie journalistique. Ce diagramme est justement l’antinomie de la slide de type « bullets points » raillée par ces éloignés du travail d’état-major qui devraient se garder de dénoncer tout et son contraire. De surcroît, au risque d’apparaître comme un minus habens prétentieux eu égard aux sommités citées dans cet article, je voudrais dire que cette représentation de la complexité de la guerre m’a beaucoup séduit. Parce que cet entrelacs coloré figure sommairement les combinaisons relationnelles des principales parties au conflit - acteurs, organismes, institutions…, j’inciterais tout candidat à la compréhension de la situation afghane à commencer son étude par ce que l’on pourrait nommer un sociogramme de théâtre. Il constaterait que les techniciens de ce conflit, s’ils n’en maitrisent pas toutes les difficultés opérationnelles, ont une connaissance affinée de la biologie et de la sociologie de ce système qu’est le théâtre d’opérations afghan. Mais cette juste et intelligente appréhension de nos opérationnels n’est peut-être pas partagée.
    Cordialement
    Jean-Pierre Gambotti

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  3. @ Cadfannan:

    Ne faut-il pas en effet adapter le discours (parole, image, etc.) à l'interlocuteur? Il est bien vrai, en tout cas, que les us et les coutumes de ce monde dans le discours n'en sont que le reflet.

    @ J-P Gambotti:

    Merci tout d'abord pour vos commentaires toujours aussi riches car présentant généralement une pensée en dehors des sentiers battus et rebattus.

    En effet chapeau que de trouver dans cette jungle de relations un motif de satisfaction et d'apprécier cette représentation de la réelle complexité de l'objet "guerre".

    Et si vous aviez en partie raison?

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