vendredi 16 septembre 2011

[HUMOUR] Comment devenir un expert de l'Afghanistan?

Voici une traduction libre (et personnelle) d'un texte en Anglais caricaturant "les experts" auto-proclamés (ou non) d'un domaine. Dans ce cas précis, il s'agit de l'Afghanistan, mais d'autres domaines d'expertise pourraient recevoir le même traitement humoristique.
Bien que ce texte décrive surtout le monde des experts américains, de nombreux défauts énoncés sont aussi visibles de ce côté de l'Atlantique. Cela peut donc piquer l'ego, à commencer par celui du tenancier de ses lieux, mais cela sonne juste.

1. Citez votre dernier voyage dans la région où vous avez vu - de vos propres yeux, et non à travers le prisme déformant des médias - des progrès incontestables. Ajoutez un point si vous avez eu la confirmation de vos observations grâce aux conversations que vous avez eu avec des Afghans rencontrés au tabac. [...]

2. Annoncez que si seulement la majorité des gens était aussi chanceuse que vous, et qu'elle pouvait avoir accès à du renseignement de première main, elle reconnaîtrait aussitôt la véracité de nos progrès sur place. Ajoutez un point si vous avez eu l’intuition de ceci vous-même et que vous ne l’avez pas trouvé sur Wikileaks.

3. Visitez un bazar. Discutez avec de sympathiques commerçants. Distribuez un paquet de salaams et de salutations avec la main droite sur le cœur. [...] Remarquez – avec insistance - que ce bazar était fermé jusqu'à ce que les forces de l'ISAF arrivent. Ajouter un point si vous pouvez arriver à ce bazar par la route et non en hélicoptère. Ajoutez un double point si vous réussissez à y porter un casque lourd ou un gilet pare-éclats sans ressembler à un touriste obèse en visite sur un théâtre d'opérations.

4. Soyez proche d’un think-tank « centriste ». Si vous vous écartez trop de cette ligne politique d'un côté ou de l'autre, vous ne serez plus alors en mesure d'être reconnu pour fournir des analyses « objectives », et vos revenus en souffriraient aussitôt (voir point n°5).

5. Minimiser le fait que vous avez été payé 1.000€ par jour pour conseiller les militaires et nier que possible conflits d’intérêts existent à ce que, une fois revenu en France, vous écriviez des propos flatteurs (cf. restez objectif : point n°4) à propos de nos progrès réalisés en Afghanistan.


Source : Matt Borrs.

6. Gardez toujours la possibilité d'être modéré et de parler d’un verre à moitié plein à propos de la situation lorsque vous êtes contacté par un journaliste. Ajoutez un point si vous pouvez publier votre éditorial dans Le Monde et Le Figaro. Ajoutez un double point si cet édito est par la suite critiqué sur un blog, ce qui vous permettra d'ailleurs de ne pas être accusé « d’agent du Pentagone » ou de « vilain petit canard d'un quelconque think-tank ».

7. Quoique vous fassiez, évitez de passer trop de temps en Afghanistan. En plus d'acquérir des compétences linguistiques et dans une certaine mesure une plus fine compréhension du contexte culturel, vous risquez de devenir cynique et peut-être même désespérant à propos de nos chances de l’emporter.

8. Adoptez une approche kamikaze à la mode Star Wars : « These aren’t the droids you’re looking for ». Malgré les preuves accablantes qui prouvent le contraire et malgré les protestations des autres spécialistes qui ont passé des années sur place (cf. les cyniques : point n°7), soutenez que par la seule force de la volonté et qu’avec l’aide d’un ou deux trucs de Jedi, nous vaincrons. Ajoutez un point si vous pouvez contredire les autres experts qui refusent de s'accrocher à ces minces preuves pouvant être vues comme des signes de progrès. Ajoutez un double point si vous êtes le premier à tweeter quelque chose sur le sujet.

9. Si vous êtes acculé sur la question de la détérioration de la situation sur place, sortez une expression toute faite comme « après la pluie, le beau temps » et reliez cela à une explication bancale selon laquelle la hausse de la violence est un signe d’exaspération des insurgés et donc un signe du succès de la contre-insurrection. Ajoutez un point si vous pouvez rester impassible tout en citant l’amélioration globale des « kill ratios ». Retirez un point si votre analyse est comparée à une discussion de comptoir à la sauce ISAF.

10. Ecrivez de nombreux rapports avec pour titre des expressions comme « The Way Forward» ou « Comment gagner en Afghanistan ». Personne, pas même l’un de vos collègues de think-tank, les lira, mais ils seront cités comme des lectures complémentaires utiles pour offrir une vision précise de l’Afghanistan. [...]

11. Le nec plus ultra de l'expert : être l’auteur d'un pamphlet contredisant "la sainte trinité" de la contre-insurrection (Petraeus, Nagl et Kilcullen). D’ailleurs, si vous dénoncez l'échec apparent de la COIN en Afghanistan, citez quelques insurrections méconnues – l’opération « Urgence en Malaisie » est un bon choix - et relevez le nombre d'années nécessaire que cela a pris pour parvenir à quelque chose.

12. Dans le cas où vous écrivez un livre et que vous avez besoin d’une illustration de couverture, prenez une de vos photos avec une barbe de plusieurs jours, tout portant un pakool (coiffe locale) et un dastmaal. Retirez un point si vous vous obstinez à conserver cette tenue une fois revenu à Paris.


Et maintenant qui se lance pour un texte similaire à propos de la Libye ou de l'Afrique ?

3 commentaires:

  1. Excellent, et parfaitement vu. Le paragraphe consacré à ceux qui critiquent d'un air supérieur la COIN est en particulier un véritable délice !

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  2. Excellent article, en fait c'est exactement ce que l'on entend dans nos popotes.

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  3. @Abou Djaffar : dès que l'on parle d'experts, une petite pensée pour les quelques costards que vous avez taillé sur votre blog à certains experts du CT...

    @Opinions : apparemment, les mêmes discours existent donc des deux côtés de la frontière. Sachant qu'il faut mieux comprendre en premier pourquoi ils sont énoncés (je ne suis pas le dernier à les proclamer) avant de trop les moquer

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