jeudi 16 février 2012

Au défi des ESSD (kesako ?) : mythes, réalité et Raison (+MAJ 1, 2 et 3)

Ce sont des députés bien au fait des questions de défense (cf. leurs interventions ici ou ici), Christian Ménard (UMP et Finistère) et Jean-Claude Viollet (PS et Charente), qui ont été en charge de se pencher (une nouvelle fois) sur la question des "Sociétés militaires privées"

Comme il est dorénavant de coutume pour de nombreux rapports rendus à la commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée Nationale, celui rendu le 14 février est bipartisan (une saine volonté d'ailleurs que cette approche).

Le landerneau stratégique s'agite à l'évocation de ce rapport car les députés préconisent la création et l'encadrement d'entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD, nouvel acronyme qui rejoint la déjà longue famille des acronymes à ce sujet : SMP, SSI, SPER, etc.).

Serait-ce seulement un xième rapport qui restera au rang de pavés utiles pour caler les armoires sans pied comme les travaux précédents de l'EMA, du SGDSN, du CICDE et j'en passe ? Une nouvelle étape ? Le début de la fin d'un monde ? Un nouvel acte d'asservissement à un modèle américain que l'on déteste mais que l'on copie ?

Dépasser la loi de 2003 réprimant l'activité de mercenaire
mais sans en oublier les principes politiques...

Proposition et projet de loi n'ont pas force de loi

Minute, car rien n'est encore fait. Le rapport est déposé, les députés ont (ou seront) auditionnés, et il sera alors rendu public. Les conjonctures actuelles pourront venir s'étayer sur les conclusions du rapport et non sur certains biais cognitifs s'appuyant sur l'imaginaire mythique, en particulier du "monde mercenaire à la papa" ou des SMP de cowboys en Irak.

En effet, si les députés ont formulé une proposition de loi, que cette dernière passe à l'état de projet de loi (rédigé et validé par différents organismes), elle ne semble pas encore avoir été déposée. Et encore moins débattue à l'Assemblée Nationale, voté, transmis au Sénat, corrigé, etc. Rien de définitif au moins d'ici les élections, avec la fin de la 13ème législature.

De plus, et bien que le rapport soit bipartisan, et qu'il pourrait laisser croire à une certaine entente entre les partis, il n'y a aucune certitude sur le rapport de forces politique autour de cette question des ESSD. Cette question peut-elle être dite de droite ou de gauche ? A mon avis, pas vraiment...

Qu'est ce qu'une ESSD française ?

Ensuite, il faut noter l'extrême diversité des réalités (et je parle ici de réalités et non de constructions basées sur des exemples étrangers) que couvre l'appellation d'ESSD. Certaines, n'ayant donc pas encore ce dénominatif, existent et pourraient le recevoir : Amarante, Galice Security, Anticip, Epee, Risk & Co, Geos, Risksgroup, Strike Global Services (et j'en oublie).

Surtout, je n'aborde pas l'activité de certaines branches de grandes multinationales qui participe à ce processus d'externalisation de certaines fonctions non-combattantes des forces armées : Sodexo par exemple, les entreprises de gardiennage (en France mais aussi à l'étranger), etc.

Une première ligne de fracture peut être faite entre les activités à destination des entités privées ou celles exécutées au profit d'entités publiques, pour des entreprises et/ou des particuliers ou alors pour l' État. Il y a une différence (non pas pratique mais politique) entre assurer la sécurité à l'étranger de multinationales et assurer celle des bâtiments d'ambassades.

Une seconde ligne de fracture existe entre des activités qui complètent celles étant du domaine régalien et des activités qui se substituent à celles de l'État. En gros, entre des activités que l'État ne peut plus assurer (pour des raisons bien réelles de coûts politiques ou budgétaires) et celles que l'État n'a pas (n'a plus, si nous nous inscrivons dans la durée) à assurer.

Une troisième ligne de fracture consiste à différencier la nature précise de leurs activités, et non les clients ou les raisons. Comme noté ici, est-ce que la formation, le soutien (logistique, infrastructure, maintenance, etc.) sont inclus ? En gros, les premiers pas de l'externalisation existante (des partenariats public-privé comme Helidax) sont-ils concernés ?


La France n'est pas le Far West ! Et ne doit pas le devenir

Si Le Monde illustre un article sur la question avec un des célèbres "Little Bird" (hélicoptères de poche) de la non moins fameuse (et funeste) société Blackwater d'alors, la question en France ne peut être abordée sous le prisme américain ou anglo-saxon. Les deux marchés, les deux systèmes para-étatique ne sont pas comparables.

Avec des chiffres d'affaires, pour les plus grosses entités, aux alentours de 30 (et non 10 comme initialement indiqué) millions d'€, les entreprises françaises ne pèsent rien par rapport à des entités anglo-saxonnes ayant des CA de plusieurs milliards de $. Ainsi, des véhicules blindés à plus de 100.000 € ne sont clairement pas des matériels que des ESSD françaises peuvent, actuellement, détenir en masse.

Néanmoins, dans le projet de loi, il semble bien que la détention d'armes devrait pouvoir se faire, évidemment sous certaines conditions, suite à une labellisation des entités et des personnes. Le point d'importance étant la nature, la composition et les prérogatives de l'autorité de régulation et de contrôle en charge de l'application de cette loi.

Si ces articles de Loi réduisent la distorsion de moyens avec certaines majeures anglo-saxonnes, nous sommes encore loin de ce modèle. Le défi étant de savoir si le "plus d'externalisation" permis mène automatiquement à un cycle infernal et au système ubuesque américain (où, par exemple, des sociétés privées contrôlent d'autres sociétés privées).

Au final, un sacré défi à relever par tous

C'est donc bien un sacré défi qui semble attendre les différents protagonistes afin de pouvoir faire émerger un modèle français responsable et où chacun puisse y trouver un intérêt (Etat, société, opinion). Ce modèle particulier semble viable, mais il est de la responsabilité de chacun de respecter leur "argumentaire marketing" qui à première vue est cohérent.

Ainsi, oui, les membres de ces ESSR sont souvent d'anciens militaires qui du jour au lendemain ne deviennent pas des "bad guys" irresponsables. Oui, ils peuvent apporter des services utiles. Mais, oui, aussi, l'Etat se doit de toujours avoir en tête les lignes rouges à ne pas franchir en aucun cas pour ne pas faire de jurisprudences.

Pour l'Etat, il s'agit alors de développer son expertise sur la question (il n'est plus possible de se voiler les yeux sur l'existence et l'intérêt de ces entités) et de garder sa volonté politique pour ne pas choisir par dépit des solutions de facilité. Pour les ESSR, il s'agit de de montrer leur respectabilité, en partie via une association professionnelle représentative du secteur .

Ainsi, les ESSR ne seront pas le palliatif à la déliquescence d'un Etat-Providence plus tenable politiquement et financièrement. L'Etat-stratége gardera la main sur l'ensemble para-étatique que représente ces sociétés au service de la projection de puissance géopolitique et géoéconomique. Le monde post-étatique ne peut pas et ne doit pas venir. Du moins, je l'espère.

MAJ 1 : pour mettre en perspective cette question, la lecture de ce point de vue par Philippe Chapleau est utile : Nicolas Sarkozy et la Défense : le monde militaire, d'une société à une famille professionnelle.

MAJ 2 : pour avoir des faits, voici le compte rendu de l'audition des deux députés (analyse à venir)

MAJ 3 : et pour le rapport complet, il est disponible ici Les sociétés militaires privées.

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