vendredi 18 octobre 2013

Opération Serval au Mali : l'homme, instrument premier du combat...

A la suite du reportage d'Envoyé Spécial (France 2 - cf. ici pour le revoir en Replay), retour sur un article publié en mars 2013 sur l'Alliance Géostratégique qui tentait d'apporter quelques clés de compréhension sur des images alors fournis par le ministère de la Défense sans commentaires.
 
Il a été principalement rédigé par le colonel Michel Goya (La voie de l'épée), votre serviteur ne se contenant d'apporter que quelques compléments plus généraux de contexte. Vous noterez que les images commentées ci-dessous ont d'ailleurs été reprises dans le reportage de France 2.
 

"Alors que l’opération Serval au Mali est en cours, la communication du Ministère de la Défense et les moyens de capture vidéos et de transmissions modernes permettent au public d’avoir accès très rapidement à des informations provenant directement du terrain. Par exemple, notre allié Abou Djaffar usait d’une telle vidéo dans un article, par ailleurs passionnant, pour appuyer ses propos.
 
Deux autres alliés, Cidris et Electrosphère, profitant de cette prose sage mais parfois si délicieusement acide, en profitèrent pour visionner la vidéo. S’ensuivit un débat autour d’une question commune : Que voit-on ? Que se passe-t-il ? En effet, comme vous le savez bien, Cidris et Electrosphère développent leurs meilleurs qualités bien au chaud dans un bon fauteuil, clavier et souris à la main devant leur Linux préféré mais pas nécessairement le FAMAS à la main dans les zones désertiques du Mali.
 
Nous gageons que cette ignorance vaut également pour une bonne partie du public qui, n’étant pas militaire, ou peu familier avec les méthodes et les spécificités du combat d’infanterie, peut ignorer l’action et n’y voir qu’un groupe de soldats « tirant sur tout ce qui bouge ». Ce type de commentaire, qui semble ignorer la notion même de mise en perspective, n’est pas rare sur les sites de vidéos.
 
Fort heureusement, AGS est une somme de connaissances inexploitées et l’auteur de la Voie de l’Epée a bien voulu nous donner les clés des actions et évènements observés, et répondre à nos questions :
  • Comment les militaires savent-ils où tirer ?
  • Comment repèrent-ils les ennemis ?
  • Comment se protègent-ils ? Comment opèrent-ils ?
  • Comment le chef du groupe de combat définit-il les mouvements et déplacements qu’il explique dans le véhicule ?

Le combat d’infanterie

Inhérent à la guerre et à son fameux « brouillard », ce type d’affrontements d’infanterie génère toujours une forte incertitude. On peut toutefois, sauf embuscade, le décomposer en deux principaux temps.

Dans le premier temps, les deux groupes ennemis s’efforcent de faire pression réciproquement pour essayer de faire fuir l’adversaire ou inversement de se dégager en situation d’infériorité mais surtout pour le fixer. Ce n’est généralement que dans un deuxième temps qu’intervient la destruction, par le combat rapproché quand on n’a pas le choix, mais si possible par d’autres moyens : hélicoptères d’attaque, artillerie (mortier de 120 mm, canon de 155 Caesar), éventuellement par frappes aériennes mais celles-ci, généralement plus longues à venir, sont plutôt réservés aux emplacements fixes.

Des deux côtés, en général on ne voit pas grand-chose d’un ennemi qui utilise au maximum les possibilités du terrain pour échapper aux coups. Le chef donne des ordres en fonction de ses impressions et de comptes rendus de ses subordonnées, eux-mêmes partiels et sous stress. Les tirs, qui présentent aussi l’avantage de réduire le stress, sont rarement effectués sur des cibles clairement identifiées mais plutôt sur des zones. Le plus souvent n’est que lorsque l’ennemi est vraiment fixé, c’est-à-dire qu’il ne peut plus bouger, qu’il subit les plus lourdes pertes. Tout cela peut paraître un peu confus à l’écran, c’est normal, un combat d’infanterie l’est toujours plus ou moins.

 

Organisation

Il s’agit ici d’une mission d’appui dans le cadre d’une reconnaissance offensive. Le cadre général est celui d’une compagnie d’infanterie (a priori de marine) blindée sur VAB, (véhicule de l’avant blindé, pouvant transporter sous un blindage une dizaine d’hommes, soit un groupe de combat) issue du GTIA 3 (Groupement Tactique Interarmes, unité de circonstance regroupant une composante de combat à plusieurs compagnies, d’infanterie ou de cavalerie, ainsi que l’ensemble de « ses appuis » : artillerie, génie, transmissions, etc.).

La compagne est une entité de manœuvre composée d’au moins trois sections associées à des renforts probables (non visibles sur la vidéo). Chaque section comprend trois groupes de combat et éventuellement – mais peu probable pour cette opération – un groupe missiles Eryx ainsi que 2 tireurs de précision. Le tout est motorisé sur 4 VAB.

Le chef de section dispose de 4 ou 5 entités qu’il peut mobiliser pour son action : les véhicules de combat (souvent laissés au commandement de l’adjoint) servant de base d’appui-feu en étant  équipés de mitrailleuses de 12,7 mm, les trois groupes de combat à pied avec les deux équipes 300 (pour 300 m suivant leur distance de tir correspondant à leur équipement, le  FAMAS) et le groupe 600 (avec lance-grenade individuel – LGI – et mitrailleuse « Minimi » – en 5,56 ou 7,62 mm – pour une précision jusqu’à 600 mètres) ou encore le groupe « Missiles » si celui-ci est disponible. Un élément important est formé par les deux tireurs de précision (fusil FRF2), directement à la main du chef de section, et qui font généralement le plus gros du bilan.

Durant l’opération visible sur la vidéo

On voit plus précisément dans le film l’action d’un groupe de combat (deux équipes de 3, un « 300″, un »600″ avec un tireur LGI et un tireur Minimi, et enfin un VAB et son équipage de 2 – le pilote + le tireur) commandé par un sergent. Il a reçu pour mission – avec le reste de la section très probablement -  de participer à la neutralisation d’un groupe de rebelles déjà décelés, et sans doute déjà fixés, à partir d’une ligne de crête à quelques centaines de mètres d’eux pendant que des VAB tirent à vue à la 12,7 mm (avec une distance d’efficacité jusqu’à environ 900/1.000 mètres). 

Le film ne permet pas de savoir comment le groupe a été repéré. De même, on ne voit pas la section initiale qui aurait pu « fixer » les individus.

Le sergent a reçu sa mission en cours de route à la radio, il prépare un « camembert » (en fait un morceau de camembert façon Trivial Pursuit). C’est-à-dire un déploiement sur 90°. Une fois débarqué, il se déplace vers la ligne de crête avec son équipe 600 en tête, preuve qu’il ne craint pas un contact (sinon il aurait, entre autres, mis l’équipe 300 en tête plus apte au combat rapproché), et que l’ennemi est loin et déjà « fixé ».

Commandant à la voix malgré le vacarme (bien plus qu’à la radio qui le relie plutôt avec son supérieur qu’avec ses subordonnées), il fait tirer ses armes à longue portée (600 m) : Minimi, grenades à fusil en tir direct depuis un FAMAS et LGI. Le chef d’équipe donne les distances estimées, guide les militaires sous son commandement, les encourage, corrige les positions, etc.

On voit également un tireur de précision qui lui a été affecté. On peut estimer la distance de l’ennemi à 400-500 m, hors de portée de l’AK-47 Kalachnikov – la 7,62 x 39, peu puissante, est peu précise au-delà de 250 m. Cela peut expliquer le calme des soldats -fruit d’un entrainement, d’une maitrise du feu et de l’expérience, le fait que les tireurs Minimi tirent debout et que les FAMAS ne tirent pas en raison d’une distance supérieure à leur portée.

 
Le terrain

Le terrain est lunaire et ne se prête guère à la manœuvre (manque de grands espaces), ce qui nous avantage plutôt. On peut y fixer assez facilement un groupe ennemi, mais c’est beaucoup plus délicat d’aller le chercher (de monter à l’assaut) pour le détruire.

Le relief est composé de sable et de cailloux (favorables aux éclats et aux ricochets) avec des pentes (pas forcément très hautes) et des éboulis. Le lot quotidien des militaires est alors de monter, descendre et marcher pour rejoindre leurs véhicules. Cela depuis plusieurs jours déjà, afin de maintenir un tempo élevé des opérations ne permettant pas à l’adversaire de se réorganiser. Du fait du terrain, même si cette fois-ci on voit sur la vidéo les VAB, ces véhicules ne peuvent suivre partout les hommes à pied et sont parfois éloignés des combattants débarqués.

Ainsi, il faut porter, et porter lourd, dans sa musette de patrouille : de l’eau (au minimum 5 litres d’eau par jour et par homme, et vu les efforts physiques, c’est un minimum pour éviter les coups de chaleur) et des unités de feu (des chargeurs, des grenades, des fumigènes, etc.). D’autant plus si les VAB – qui servent de base d’appui feu mais aussi de mule logistique – sont loin. En effet, en quelques minutes de combat, il est possible de vider un certain nombre de ses chargeurs, d’où la nécessité d’en porter un certain nombre pour ne pas se retrouver à vide.

A la musette et au matériel radio, vous ajoutez le gilet pare-éclats, fruit du retour d’expérience en  Afghanistan, et beaucoup plus léger que les anciennes versions. En contrepartie, il protège seulement le buste et non plus le cou ou les épaules. La mobilité permise par une diminution de la charge portée est en soit gage d’une meilleure protection.

En conclusion, l’action vue sur le film a assez peu de chances d’avoir infligé des pertes mais elle a pu peut-être fixer suffisamment les ennemis en face pour les livrer aux tireurs de précision (efficaces presque uniquement contre des cibles fixes) et surtout au tir des hélicoptères Tigre, l’arme fatale sur ce type de terrain. On notera au passage les panneaux rouge et orange sur les VAB et les sacs individuels permettant d’être identifiés depuis le ciel. 

En réalité, il semble que la confusion soit limitée dans cette action particulière. L’expérience des soldats et la distance de la menace leur permet de se comporter plus calmement. On ne peut qu’imaginer la tension résultant d’une situation plus complexe.

Il va de soi que la compréhension des actions et leur exposé ici n’exposent pas de secrets particuliers ou quoi que ce soit que les adversaires des soldats français ne sachent déjà. En revanche, cela permet peut-être à nos concitoyens de mesurer la difficulté de la mission et de mieux comprendre le quotidien de nos militaires".

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