Sous l’impulsion du général Mc Crystal, les forces en Afghanistan ne doivent plus se concentrer sur le gain, souvent passager et incomplet, de portions de territoire ou sur la destruction des insurgés, génératrice de pertes civiles. Aujourd’hui, les mots d’ordre sont « l’objectif : gagner le soutien de la population ; la mission : la protéger ». L’expression des besoins en informations a dû être réorientée pour améliorer la compréhension du terrain humain d’opérations. En plus de la connaissance de l’ennemi qui avait l’exclusivité (avec plus ou moins de succès comme le démontre l'attentat du 30 décembre à Khost).
La part de l’Humain Terrain System (HTS) est donc appelée à augmenter. C’est pour améliorer l’efficacité des opérations que l’Army développe depuis 2006 ce programme. Il se caractérise aujourd'hui par le déploiement d’une trentaine d’Human Terrain Teams (ou HTT) en Irak et en Afghanistan. La première HTT arrivant en Afghanistan en février 2007. Pour résumer, les HTT sont composées de cinq à six personnes, insérées au sein des EM des brigades et étant ethnologues, sociologues, géographes, anthropologues, linguistes, etc. Leur mission consiste à soutenir l’action des unités par la mise à disposition de connaissances socio-culturelles : la composition ethnique de la population, la nature des liens unissant différents groupes, le fonctionnement des institutions informelles, les systèmes économiques locaux, les traditions locales, etc.
Pour un colonel commandant une brigade de la 82ème Airborne en Afghanistan (alors pour la deuxième fois en Afghanistan et qui aujourd’hui a pris un troisième tour dans le RC-East tout en envoyant 1 000 hommes en Haiti…), le nombre d’opérations cinétiques a chuté de 60% sur une période de huit mois grâce à la présence d’une HTT. Dans des conflits où la solution n’est ni exclusivement militaire ni technologique, le programme HTS permet d’améliorer la réponse sociale apportée face à la déstructuration d’une société.
Dans ce sens, un intéressant rapport concernant les tribus pashtounes d’Afghanistan a été rendu public. Le titre fait écho à une caricature que j’avais ressortie : My Cousin’s Enemy is My Friend : A Study of Pashtun « Tribes » in Afghanistan. Un exemple local permet de saisir les principales problématiques dont l'absence actuelle d'institutions de gouvernance et de régulation des conflits au niveau tribal (contrairement à l'Irak).
La conclusion du rapport est encore plus instructive sur le danger et l’impossibilité de calquer la stratégie du « réveil » des sunnites avec les Pachtouns (les plus nombreux en Afghanistan mais sans être majoritaires) :
“Military officers and policymakers, in their search for solutions to problems in Afghanistan, have considered empowering « the tribes » as one possible way to reduce rates of violence. In this report, the HTS Afghanistan RCC warns that the desire for “tribal engagement” in Afghanistan, executed along he lines of the recent “Surge” strategy in Iraq, is based on an erroneous understanding of the human terrain. “Tribes” in Afghanistan do not act as unified groups […]. Pashtun’s motivations for choosing how to identify and organize politically – including whether or not to support the Afghan government or the insurgency – are flexible and pragmatic”.
Trouver pour la force des Key Leaders Engagement ou KLE (chefs locaux, religieux, vétérans, techniciens, etc.) comme intermédiaires avec la population est alors d’autant plus complexe, mais toujours aussi nécessaire. Pour plagier l’expression « caporal stratégique », il est courant de parler en Afghanistan de la « vallée stratégique » pour montrer les spécificités locales. Le zoom doit en fait être encore plus précis et descendre en dessous du niveau tribal…
Pour aller plus loin, les articles sur En Verité à propos du "réveil" à Anbar et des HTT en Irak :
- Les milices sunnites
- Une vision alternative du mouvement du "réveil"
- Cartographier le terrain humain
En complément:
- un reportage sur un Béret vert US, "nouveau Lawrence d'Afghanistan", qui milite pour l'emploi de milices pachtounes bien encadrées par des FS afin d'assurer la sécurité dans les zones reculées;
- son étude préalable basée sur son expérience en 2003 et ses propositions;
- une critique acerbe de l'étude qui oublie quelques données sociologiques ainsi que sur la fascination opérée par cette idée (apparemment trop simpliste) sur Petraeus et Mc Crystal.
Hello cher ami. Excellent billet qui résume bien le problème. Effectivement, l'identité tribale en Afghanistan est moins une "évidence" qu'en Irak, les personnes et les communautés ayant l'habitude de jouer entre de multiples "pôles" non-unitaires. Sans conclure à l'anarchie non plus, il faut arrêter de projeter sur l'Afghanistan nos catégories de Sciences Politiques.
RépondreSupprimerC'est bien que tu cites la critique de Christian BLEUER (de Ghosts of Alexander), même si elle est un peu longue à lire, il faut s'y plonger pour mesurer l'erreur provoquée par la fascination excessive pour cette solution simpliste: utiliser les tribus. A cette fascination, je donne deux causes principales, à savoir la culture stratégique de l'Army prompte à sauter sur toute solution miracle "positiviste", et l'impasse stratégique dans laquelle nous sommes plus ou moins confrontée et qui demanderait d'avantage d'humilité et de prudence (au sens thomiste du terme).
Sur la protection de la population, il y aurait beaucoup à dire, mais j'invite les lecteurs à décortiquer les articles du prochain numéro de Sécurité Globale.
En effet, la critique sur Ghosts of Alexander est longue mais très éclairante. Ne pas hésiter à aussi lire les commentaires.
RépondreSupprimerDeux causes, une seule raison: malgré l'actuelle campagne de communication sur les frémissements de succès, cela ne doit pas cacher que la situation ne s'améliore lentement et par petites touches.
Pour y faire face, les nouvelles solutions sont extrêmement rares. Donc on prend TOUT ce qui semble un peu nouveau et on teste dangereusement sur le terrain.
Bien reçu pour le prochain numéro de Sécurité globale sans aucun doute de haute valeur.
Voir ce blog qui raconte sans fard la réalité du terrain, au jour le jour parmi la population, et explique les jugements des habitants sur les solutions occidentales souvent déconnectées du quotidien:
RépondreSupprimerCaptain Cat's Diaries
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