Comme le note Olivier Kempf, la surprise aurait été réduite (c'est un choix du commandement) au profit d’autres considérations. Alors même que l’Histoire semble indiquer que c’est un des éléments constitutifs de la réussite ou non d’une opération : le Débarquement en Normandie et non dans le Nord-Pas de Calais, Pearl Harbour, l’offensive des Ardennes, les chars dans la Somme, etc. Il est possible d’aller plus loin tout en relativisant un peu.
La surprise, déclinable en plusieurs pans, est un des éléments permettant au chef de conserver sa liberté d’action. De même, en négatif, il est important de se préserver de la surprise adverse par des mesures de sûreté. Pour l’opération Moshtarak,
- il est évident que le lieu est connu de tous. Les Taliban peuvent donc se retrancher en fortifiant leurs postes de tir, piégeant en pagaille les accès et les habitations, etc.
- la date n’était pas tellement plus difficile à définir : entre les déclarations d’intention, les fuites et les préparatifs peu discrètes d’une opération à 15 000.
- la doctrine n’est pas nouvelle et doit mener à une intégration civilo-militaire, un partenariat avec les Afghans, et une conduite sensée du développement et de la gouvernance.
- la méthode employée était elle par contre beaucoup moins connue.
Concernant les civils, la gestion de la surprise (ou plutôt son absence) a des conséquences plus ambiguës. Ils sont au courant de l’imminence de l’opération et inquiets pour leur sécurité, beaucoup (environ 10 000 sur 80 000) préfèrent fuir vers la capitale régionale, Lashkar Gar. Tout le monde note alors (complètement à tort selon moi tant c’est incomparable) les similitudes avec la prise Fallujah en novembre 2004, vidée de ses habitants. L’absence de civils dans la zone de combats permet un emploi maximal et quasiment sans restriction de la puissance de feu. Or, les tracts largués, les appels à la radio et les déclarations officielles exhortent les habitants à rester chez eux. En effet, plus que la prise de Marjah, la phase la plus importante de l’opération doit se dérouler dans la foulée, au profit et surtout avec la population par la mise en place d’une shura, la réouverture du marché, les projets de développement de la culture du froment, etc.
Une autre finalité est de préparer les nations contributrices à des pertes inévitables. Ainsi, Gordon Brown en personne exhortait les Britanniques à "être forts", Robert Gates faisait de même, etc. Il faut se préparer au pire avec les IED et autres pièges : surtout que les Taliban ont refusé la Paix des Braves proposée par Hamid Karzaï et ne déposant pas les armes, indiquent qu’ils résisteront. Et si cela se passe bien ou moins mal prévu, tant mieux.
Cette stratégie de communication et l'absence relative de surprise sont donc pleinement dans la logique du général Mc Crysthal : limiter les pertes chez l’adversaire (déclarations sur la réconciliation, la réintégration, pas de body count, etc.), protéger la population en allant à son contact (1 500 policiers et militaires afghans devraient rester à Marjah), et proposer une alternative crédible et viable au projet insurgé pour un choix libre de la population en faveur du gouvernement afghan qui doit prendre en main la phase après.