mercredi 28 mars 2012

Entretien - « Replacer l’armée dans la Nation » avec le CBA Hugues Esquerre

« Il est plus que nécessaire de rapprocher les armées de la Nation, pour l’intérêt des armées, mais aussi pour celui de la Nation ». Voici en quelques mots la thèse défendue par le chef de bataillon Hugues Esquerre (breveté de l’École de Guerre), auteur d’un essai récemment paru chez Economica (disponible ici sur le tout récent site de ces éditions). Pour comprendre le pourquoi et le comment de cette question qui touche civils et militaires, Mars Attaque l’a rencontré. Nous le remercions.

Est-ce si évident aujourd’hui que l’armée de la Nation soit aussi l’armée dans la Nation ? Est-ce nécessaire ? Non à la première question et oui à la seconde répondrait l’auteur qui en une centaine de pages dresse un constat (et explique comment nous en sommes arrivés là), appelle à un changement et propose des pistes de réflexion et d’action « non niaises » pouvant être facilement mises en place.

Car aujourd’hui, « l’a-militarisme de la société française », qui mêle à la fois distance, sympathie mais ignorance, ne peut cacher l’indispensable urgence pour tous à ce que les Français retrouvent leur armée. Le défi n’est pas des moindres et il est exposé en ses termes : «pour que les armées conservent leur utilité, qui passe par leurs capacités à se projeter à l’extérieur et non à rester sur une ligne Maginot au plus prêt des frontières, il est nécessaire de mettre en avant les missions menées auprès des Français. C’est à dire celles conduites sur le territoire national, au plus près de leur préoccupations, afin de pouvoir ensuite justifier à leurs yeux le cœur de l’action – la projection extérieure –, en particulier en garantissant les budgets ». D’ailleurs, un récent sondage de l’IFOP, qui ne reste qu’un sondage mais tout de même, relève cette urgence (ou du moins cette nécessité) : 37% des sondés indiquent que le secteur de « la défense, l’armée » devrait faire l’objet de restrictions budgétaires en cas de réductions des dépenses. Il est ainsi placé en tête parmi les autres secteurs possibles.

C’est donc rebattre les cartes du débat visibilité vs utilité et c’est « se pencher sur les centres d’intérêt prioritaires des Français que les armées doivent pouvoir, en partie, satisfaire ». Or, celui de la défense est loin d’être la première préoccupation des Français. En exemple, l’auteur cite le fait que « les armées doivent réinvestir le champ social, préoccupation plus partagée, comme celui de l’insertion professionnelle via des dispositifs adéquats de formation (comme le développement en métropole du Service Militaire Adapté ou SMA), ou encore en mettant en avant les passerelles possibles permettant une véritable promotion sociale par l’ascension des différents échelons de la chaine hiérarchique ».

Pour cela, il faut que les armées « rééquilibrent l’attention portée à l’extérieur et celle portée au territoire national ». Il est à la fois nécessaire « de convaincre, d’expliquer et de s’intéresser à cela ». Si les armées ne sont pas les forces à tout faire des autorités préfectorales, et ne doivent pas le devenir, « elles peuvent tout de même faire un véritable effort dans l’amélioration de la crédibilité de la chaine de commandement territorial, aujourd’hui vue avec circonspection ». Valoriser le choix des délégués militaires départementaux et des autres éléments de l’OTIAD (Organisation territoriale interarmées de défense) est une des pistes mises en avant pour que « les armées ne restent pas, parmi les diverses institution de l’État, seulement un corps dont l’image est globalement bonne, mais que l’on n’écoute pas ».

Pour relever ce défi de la réintégration des armées au sein de la Nation, plusieurs actions peuvent être menées (à effectifs et budgets contraints). L’auteur cite en exemple la nécessité «du retour des militaires à un rôle moins passif dans les décisions en réintégrant les cercles décisionnels, tout en étant des conseillers et donc plus que de simples techniciens de leur domaine. Les militaires se doivent de rencontrer, d’aller à la rencontre des décideurs à tous les niveaux. Ils doivent réinvestir les grandes écoles en améliorant les liens avec elles, en intégrant, par exemple, une place dans le jury de l’ENA au poste tournant attribué à tour de rôle à tous les grands corps de l’État ». Aujourd’hui en mobilité externe au sein du ministère du Budget, l’auteur parle de son expérience pour ces postes à ne pas sous-estimer afin de créer des ponts. Que dire ensuite de « la politique des réserves, éternelle question, où, typiquement, lors de la journée nationale des réservistes, les réservistes parisiens sont tous réunis dans un amphi à l’École Militaire, entre eux. Ils pourraient plutôt être envoyés au contact de la population, de manière visible, en étant sur leur lieu de travail en uniforme ».

Enfin, vaste débat que celui de « la libération de la parole des militaires, dont le degré d’expression est généralement un bon indicateur de la santé des armées et de la Nation ». On relèvera avec intérêt que « la jurisprudence de la justice administrative s’avérant plutôt protectrice pour les militaires, un des principaux blocages à la prise de parole est bien l’autolimitation des militaires eux-mêmes ». Car sans sous-estimer les blocages indéniables qui peuvent se situer au niveau politique ou à celui de la haute hiérarchie militaire, il y a « une marge de manœuvre à saisir, parfois non saisie par les militaires ».

Or, « pour tout cela, il ne faut rien attendre des civils ». C’est donc aux militaires d’en être convaincu (1ère étape) et ensuite de convaincre et d’agir (2nde étape). Ainsi, si l’ouvrage s’adresse aux civils comme aux militaires (on saluera pour cela le style très clair et didactique), force est de constater qu’il y a de sacrés appels du pied aux camarades militaires de l’auteur. Ainsi, prochainement, et de manière symbolique, « le député Yves Fromion, qui préface l’ouvrage, ne sera peut-être plus le seul représentant de la Nation à l’Assemblée Nationale a avoir connu une première vie sous l’uniforme, au sein de l’armée de Terre ». C’est du moins ce que l’on pourrait souhaiter.

Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.

3 commentaires:

  1. Je souscris totalement à l'idée de replacer l'armée dans la nation et remercie l'auteur mais pourquoi une vision aussi étriquée de la réserve et un exemple caricatural et erroné pour la discréditer. La place des réservistes au sein des armées ne cesse de s'accroître, au point qu'ils deviennnet indispensables pour remplir le contrat opérationnel. Ils sont le meileur relais vers la société civile et un tremplin merveilleux pour que nous y trouvions la place revendiquée par l'auteur ... un peu de cohérence et de volontarisme pour la réserve militaire seraient une premièreréponse satisfaisante à sa requête.

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  2. @Anonyme : sans me faire le porte parole de l'auteur, lors de notre entretien, il a indiqué avoir un immense respect pour les réservistes notant qu'il n'était pas certain d'avoir lui-même le même engagement que ces réservistes qui prennent sur leur WE et leurs congés pour faire leurs jours.
    Ainsi, par sa remarque (qui illustre maladroitement et seulement en partie les propos développés à ce sujet dans son ouvrage), il visait sans doute plus la vision de la réserve par les militaires d'active plus que l'engagement remarquable et remarqué des réservistes.

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  3. une analyse pertinente à une exception près, le port de l'uniforme sur le lieu de travail. Inutile. En revanche des conventions collectives pour permettre l'emploi de réservistes sur les ops sans que cela pénalise l'entreprise: oui, mille fois oui. Le lien armée nation est dans le recrutement, la formation, l'emploi et la valorisation de la réserve, ce dernier point devant être avant tout travaillé par l'armée.

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