Delphine RESTEIGNE, Le Militaire en Opérations Multinationales. Regards Croisés en Afghanistan, en Bosnie, au Liban, Bruylant, RMES, Bruxelles, 2012.
Du fait de différents facteurs (géopolitiques, économiques, technologiques, socio-culturels, etc.), l’action des forces armées a, ces dernières années, de plus en plus tendance à s’inscrire dans un cadre multi acteurs. Il est caractérisé à la fois par la présence en un même lieu de contingents de différentes nationalités ainsi que par la présence à un niveau élevé d’acteurs civils (population, experts, etc.). Ces caractéristiques ne sont pas sans conséquences pour l’action des militaires. Elles influencent au quotidien sur le plan organisationnel et culturel leur mission.
S’appuyant pour son étude sur le cas des militaires belges, Delphine Resteigne décrypte ces rapports entre acteurs et propose une modélisation de la coopération militaire pour aider à comprendre les pratiques observées et les interactions. Pour cette enseignante en sociologie à l’École Royale Militaire belge, ce travail est l’aboutissement d’un doctorat qui s‘appuie sur une importante enquête de terrain. Les entretiens, les observations et les questionnaires ayant été menés auprès de militaires belges, en garnison et en opérations, principalement au Liban, en Bosnie et en Afghanistan.
À première vue, la première partie de l’ouvrage qui fait un état de l’art très complet de la sociologie militaire (une sociologie d’ailleurs typiquement militaire, et non une sociologie des organisations plaquée au fait militaire) peut sembler ardue. Au contraire, notons que cette partie est extrêmement didactique et lisible, même pour un néophyte comme je le suis. Les grilles de lecture théoriques d’organisations comme celles que sont des forces armées en opérations ne sont pas dénuées d’intérêts. Elles permettent de mieux saisir le jeu des facteurs culturels et des évolutions (internes ou externes) sur les configurations organisationnelles de tels ensembles et sur les pratiques mises en œuvre.
Dans une seconde partie, l’auteur dissèque la culture militaire, en particulier l’emboîtement de différents groupes d’appartenance de chacun des militaires qui se confrontent dès lors qu’il s’agit d’opérer ensemble. Les différentes valeurs, croyances et normes (conscientes ou inconscientes) de chacun des militaires sont en effet variables : culture nationale, linguistique, différenciation nationale, appartenance à une unité parachutiste ou à d’autres unités, etc. Mais toutes jouent avec plus ou moins de force sur les interactions entre individus, sur les contacts, sur les dialogues, sur les aprioris, etc. Là encore, les modèles possibles sont expliqués de manière compréhensible.
Peut-être un peu vague jusque là, l’intérêt d’une telle dissection sera plus clair lorsque l’auteur se penchera sur les études de cas menés, comme indiqué précédemment, au Liban, en Bosnie et en Afghanistan durant la période 2005 - 2008. Être dans un camp multinational comme peuvent l’être de nombreuses bases actuelles n’est pas sans conséquence pour gérer cette diversité à la fois interne à l’armée belge (francophones et néerlandophones, homme ou femme, air / terre / médicale, années d’ancienneté, etc.) mais aussi externe : contexte multinational, rapport avec les civils (au sein de PRT par exemple), avec les populations, etc.
Qu’en retire l’auteur ? Au final, prime l’adaptation et la flexibilité face aux contraintes de ces opérations multinationales, et cela, malgré le fait qu’une certaine culture militaire transnationale tendrait à émerger après des années d’expériences en commun. Pour le « modèle managérial » dominant de l’officier d’aujourd’hui, différents facteurs sont à noter comme conduisant à une meilleure coopération : la composition du personnel extrêmement hétérogène qui oblige à s’ouvrir, une différence culturelle moyenne (facilités pour les pays de la zone America, Britain, Canada and Australia, ou des pays très otanisés), le degré de cohésion des détachements (difficultés avec des détachements individuels ou de circonstance), des activités plus technologiques qui rapprochent (le cas des aviateurs ou des démineurs par exemple), le degré d’affiliation à certaines organisations (une cohésion plus forte semble exister au sein de l’OTAN par rapport à l’UE), la maîtrise des langues (point d’importance plusieurs fois soulevé), etc.
Rien d’automatique et de systématique dans ces analyses et ces conclusions, évidemment. La pensée se veut globale mais non totale. Pour l’auteur, découle donc un modèle (critiquable, du fait même que c’est un modèle…) de coopération militaire multinationale liant facteurs structurels et culturels, facteurs de coopération et pratiques professionnelles + interactions. Il s’apparente à une clé de lecture pertinente de nombre de pratiques qui peuvent être rencontrées au sein des armées belges mais aussi, à un degré non négligeable, au sein des armées françaises.
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