Les guerres de demain, dans Politique étrangère (3/2013)

Politique étrangère, la plus ancienne revue française de débats et d'analyses sur les grandes questions internationales (depuis 1936 tout de même...) confirme son aptitude à rester jeune en regardant vers l'avenir via un  important dossier central sur la guerre de demain, et notamment les drones, dans sa dernière livraison.

 

 

Les premières contributions reviennent sur l'avenir de la guerre, notamment via une approche statistique poussée où se conjuguent chiffres et constats pour conclure que les conflits armés entre États sont globalement en baisse, mais que la violence n'a pas pour autant disparu et sera notre présent (Dominique David), la guerre changeant de visage et se "désétatisant" (Charles-Philippe David). Les constats offrent des perspectives sur un certain nombre de points : le modèle de l'Etat, la paix à atteindre, etc.

 

Ces constats sur le "désordre mondial" sont-ils néanmoins convenablement repris (Jean-Jacques Roche) ? Des développements sur l'illusion réaliste, libérale et altermondialiste permettent de pénétrer dans le champ de nos perceptions de ce sujet (et font réfléchir sur nos propres perceptions...).

Enfin, une excellente présentation de l'avenir des casques bleus et du maintien de la paix (Michel Liégois) dresse un bilan du premier acteur militaire du 21ème siècle : l'ONU et son bras armé casqué de bleu. Les (passionnants) développements sur les limites et les difficultés que connaissent les Casques bleus, loin de nous conduire au fatalisme, doivent plutôt nous interroger sur le "que fait-on".

 

Le second lot de contributions aborde la question des drones dans la guerre, avec une approche à la fois historique, opérationnelle, éthique, juridique et prospective. Je dois avouer que l'article de Peter W. Singer, l'un des premiers à avoir abordé cette question aussi globalement via son ouvrage "Wired for War: The Robotics revolution and Conflict in the 21st Century", ne m'a pas plus que cela passionné.

 

Par contre, en plus de l'introduction qui a le mérite de bien poser un certain nombre de termes du débat (définitions et grands enjeux), les deux autres contributions sont beaucoup plus intéressantes et méritent qu'on s'y attache. La première des deux revient, dans une approche très opérationnelle, sur les ruptures qu'apportent l'usage du drone dans l'histoire de la stratégie aérienne (Jean-Christophe Noël). Cela est notamment le cas via une occupation très aboutie de la terre par les cieux que permet ces outils.

 

 

Le second (d'ailleurs disponible gratuitement) interroge le rapport entre outil et fin, entre norme et usage à travers les questions éthiques et juridiques rapportées à cet outil (Jean-Baptiste Jeangène Vilmer), notamment l'automatisation (homme dans, sur ou or de la boucle de décision) et les choix juridiques qu'une doctrine française pourrait prendre en compte. Définitivement à lire (tout en le complétant avec ces quelques questions/réponses ou ce décryptage d'un article récemment paru).

 

En plus de ce dossier central, notons également quelques articles qui m'ont à titre personnel plus particulièrement intéressés : 

• L'un sur "Le Nigéria à l'épreuve de l'islamisme" (par Marc-Antoine Pérouse de Montclos), qui remet en perspective quelques idées reçues sur Boko Haram et la guerre civile, tout en faisant appel au temps long pour traiter de l'opposition chrétiens vs islamistes, et des tensions politiques et symboliques liées aux à la démographie des religions ;
• L'autre sur "La stratégie algérienne face à AQMI" (par Djallil Lounnas), article revenant sur l'échec de la stratégie des années 1990 dont l'actuelle approche tente de tirer les leçons, voie moyenne entre le "tout dialogue" et le "tout sécuritaire", que la France tente, avec aussi plus ou moins de succès, de répliquer d'une certaine façon au Nord-Mali.
• Et le dernier sur "Géopolitique des paradis fiscaux" (par Vincent Piolet), sur les listes de paradis fiscaux comme décisions géopolitiques permettant de dissimuler les véritables intérêts, la répartition des paradis fiscaux entre grandes puissances et les exemples comme cet immeuble de l'Etat du Delaware (USA) qui accueille 217.000 sociétés).

 

Enfin, on ne manquera pas de se reporter à la dizaine de fiches de lecture en fin de revue qui permettent de découvrir certains ouvrages récents qui ne seraient pas passés dans nos radars de veille.