A la suite du reportage d'Envoyé Spécial (France 2 - cf. ici pour le revoir en Replay), retour sur un article publié en mars 2013 sur l'Alliance Géostratégique qui tentait d'apporter quelques clés de compréhension sur des images alors fournis par le ministère de la Défense sans commentaires.
Il a été principalement rédigé par le colonel Michel Goya (La voie de l'épée), votre serviteur ne se contenant d'apporter que quelques compléments plus généraux de contexte. Vous noterez que les images commentées ci-dessous ont d'ailleurs été reprises dans le reportage de France 2.
"Alors que l’opération Serval au Mali est en cours, la communication du Ministère de la Défense et les moyens de capture vidéos et de transmissions modernes permettent au public d’avoir accès très rapidement à des informations provenant directement du terrain. Par exemple, notre allié Abou Djaffar usait d’une telle vidéo dans un article, par ailleurs passionnant, pour appuyer ses propos.
Deux autres alliés, Cidris et Electrosphère, profitant de cette prose sage mais parfois si délicieusement acide, en profitèrent pour visionner la vidéo. S’ensuivit un débat autour d’une question commune : Que voit-on ? Que se passe-t-il ? En effet, comme vous le savez bien, Cidris et Electrosphère développent leurs meilleurs qualités bien au chaud dans un bon fauteuil, clavier et souris à la main devant leur Linux préféré mais pas nécessairement le FAMAS à la main dans les zones désertiques du Mali.
Nous gageons que cette ignorance vaut également pour une bonne partie du public qui, n’étant pas militaire, ou peu familier avec les méthodes et les spécificités du combat d’infanterie, peut ignorer l’action et n’y voir qu’un groupe de soldats « tirant sur tout ce qui bouge ». Ce type de commentaire, qui semble ignorer la notion même de mise en perspective, n’est pas rare sur les sites de vidéos.
Fort heureusement, AGS est une somme de connaissances inexploitées et l’auteur de la Voie de l’Epée a bien voulu nous donner les clés des actions et évènements observés, et répondre à nos questions :
- Comment les militaires savent-ils où tirer ?
- Comment repèrent-ils les ennemis ?
- Comment se protègent-ils ? Comment opèrent-ils ?
- Comment le chef du groupe de combat définit-il les mouvements et déplacements qu’il explique dans le véhicule ?
Le combat d’infanterie
Inhérent à la guerre et à son fameux
« brouillard », ce type d’affrontements d’infanterie génère toujours
une forte incertitude. On peut toutefois, sauf embuscade, le décomposer en deux
principaux temps.
Dans le premier temps, les deux groupes ennemis s’efforcent
de faire pression réciproquement pour essayer de faire fuir l’adversaire ou
inversement de se dégager en situation d’infériorité mais surtout pour le
fixer. Ce n’est généralement que dans un deuxième temps qu’intervient la
destruction, par le combat rapproché quand on n’a pas le choix, mais si
possible par d’autres moyens : hélicoptères d’attaque, artillerie (mortier
de 120 mm, canon de 155 Caesar), éventuellement par frappes aériennes mais
celles-ci, généralement plus longues à venir, sont plutôt réservés aux
emplacements fixes.
Des deux côtés, en général on ne voit pas grand-chose d’un
ennemi qui utilise au maximum les possibilités du terrain pour échapper aux
coups. Le chef donne des ordres en fonction de ses impressions et de comptes
rendus de ses subordonnées, eux-mêmes partiels et sous stress. Les tirs, qui
présentent aussi l’avantage de réduire le stress, sont rarement effectués sur
des cibles clairement identifiées mais plutôt sur des zones. Le plus souvent
n’est que lorsque l’ennemi est vraiment fixé, c’est-à-dire qu’il ne peut plus
bouger, qu’il subit les plus lourdes pertes. Tout cela peut paraître un peu
confus à l’écran, c’est normal, un combat d’infanterie l’est toujours plus ou
moins.
Organisation
Il s’agit ici d’une mission d’appui dans le cadre d’une
reconnaissance offensive. Le cadre général est celui d’une compagnie
d’infanterie (a priori de marine) blindée sur VAB, (véhicule de l’avant blindé,
pouvant transporter sous un blindage une dizaine d’hommes, soit un groupe de
combat) issue du GTIA 3 (Groupement Tactique Interarmes, unité de circonstance
regroupant une composante de combat à plusieurs compagnies, d’infanterie ou de
cavalerie, ainsi que l’ensemble de « ses appuis » : artillerie,
génie, transmissions, etc.).
La compagne est une entité de manœuvre composée d’au moins
trois sections associées à des renforts probables (non visibles sur la vidéo).
Chaque section comprend trois groupes de combat et éventuellement – mais peu
probable pour cette opération – un groupe missiles Eryx ainsi que 2 tireurs de
précision. Le tout est motorisé sur 4 VAB.
Le chef de section dispose de 4 ou 5 entités qu’il peut
mobiliser pour son action : les véhicules de combat (souvent laissés au
commandement de l’adjoint) servant de base d’appui-feu en étant équipés
de mitrailleuses de 12,7 mm, les trois groupes de combat à pied avec les deux
équipes 300 (pour 300 m suivant leur distance de tir correspondant à leur
équipement, le FAMAS) et le groupe 600 (avec lance-grenade individuel –
LGI – et mitrailleuse « Minimi » – en 5,56 ou 7,62 mm – pour une
précision jusqu’à 600 mètres) ou encore le groupe « Missiles » si
celui-ci est disponible. Un élément important est formé par les deux tireurs de
précision (fusil FRF2), directement à la main du chef de section, et qui font
généralement le plus gros du bilan.
Durant l’opération visible sur la vidéo
On voit plus précisément dans le film l’action d’un groupe
de combat (deux équipes de 3, un « 300″, un »600″ avec un tireur LGI
et un tireur Minimi, et enfin un VAB et son équipage de 2 – le pilote + le
tireur) commandé par un sergent. Il a reçu pour mission – avec le reste de la
section très probablement - de participer à la neutralisation d’un groupe
de rebelles déjà décelés, et sans doute déjà fixés, à partir d’une ligne de
crête à quelques centaines de mètres d’eux pendant que des VAB tirent à vue à
la 12,7 mm (avec une distance d’efficacité jusqu’à environ 900/1.000
mètres).
Le film ne permet pas de savoir comment le groupe a été
repéré. De même, on ne voit pas la section initiale qui aurait pu
« fixer » les individus.
Le sergent a reçu sa mission en cours de route à la radio,
il prépare un « camembert » (en fait un morceau de camembert façon
Trivial Pursuit). C’est-à-dire un déploiement sur 90°. Une fois débarqué, il se
déplace vers la ligne de crête avec son équipe 600 en tête, preuve qu’il ne
craint pas un contact (sinon il aurait, entre autres, mis l’équipe 300 en tête
plus apte au combat rapproché), et que l’ennemi est loin et déjà
« fixé ».
Commandant à la voix malgré le vacarme (bien plus qu’à la
radio qui le relie plutôt avec son supérieur qu’avec ses subordonnées), il fait
tirer ses armes à longue portée (600 m) : Minimi, grenades à fusil en tir
direct depuis un FAMAS et LGI. Le chef d’équipe donne les distances estimées,
guide les militaires sous son commandement, les encourage, corrige les
positions, etc.
On voit également un tireur de précision qui lui a été
affecté. On peut estimer la distance de l’ennemi à 400-500 m, hors de portée de
l’AK-47 Kalachnikov – la 7,62 x 39, peu puissante, est peu précise au-delà de
250 m. Cela peut expliquer le calme des soldats -fruit d’un entrainement, d’une
maitrise du feu et de l’expérience, le fait que les tireurs Minimi tirent
debout et que les FAMAS ne tirent pas en raison d’une distance supérieure à
leur portée.
Le terrain
Le terrain est lunaire et ne se prête guère à la manœuvre
(manque de grands espaces), ce qui nous avantage plutôt. On peut y fixer assez
facilement un groupe ennemi, mais c’est beaucoup plus délicat d’aller le
chercher (de monter à l’assaut) pour le détruire.
Le relief est composé de sable et de cailloux (favorables
aux éclats et aux ricochets) avec des pentes (pas forcément très hautes) et des
éboulis. Le lot quotidien des militaires est alors de monter, descendre et
marcher pour rejoindre leurs véhicules. Cela depuis plusieurs jours déjà, afin
de maintenir un tempo élevé des opérations ne permettant pas à l’adversaire de
se réorganiser. Du fait du terrain, même si cette fois-ci on voit sur la vidéo
les VAB, ces véhicules ne peuvent suivre partout les hommes à pied et sont
parfois éloignés des combattants débarqués.
Ainsi, il faut porter, et porter lourd, dans sa musette de
patrouille : de l’eau (au minimum 5 litres d’eau par jour et par homme, et vu
les efforts physiques, c’est un minimum pour éviter les coups de chaleur) et
des unités de feu (des chargeurs, des grenades, des fumigènes, etc.). D’autant
plus si les VAB – qui servent de base d’appui feu mais aussi de mule logistique
– sont loin. En effet, en quelques minutes de combat, il est possible de vider
un certain nombre de ses chargeurs, d’où la nécessité d’en porter un certain
nombre pour ne pas se retrouver à vide.
A la musette et au matériel radio, vous ajoutez le gilet
pare-éclats, fruit du retour d’expérience en Afghanistan, et beaucoup
plus léger que les anciennes versions. En contrepartie, il protège seulement le
buste et non plus le cou ou les épaules. La mobilité permise par une diminution
de la charge portée est en soit gage d’une meilleure protection.
En conclusion, l’action vue sur le film a assez peu de
chances d’avoir infligé des pertes mais elle a pu peut-être fixer suffisamment
les ennemis en face pour les livrer aux tireurs de précision (efficaces presque
uniquement contre des cibles fixes) et surtout au tir des hélicoptères Tigre,
l’arme fatale sur ce type de terrain. On notera au passage les panneaux rouge
et orange sur les VAB et les sacs individuels permettant d’être identifiés
depuis le ciel.
En réalité, il semble que la confusion soit limitée dans
cette action particulière. L’expérience des soldats et la distance de la menace
leur permet de se comporter plus calmement. On ne peut qu’imaginer la tension
résultant d’une situation plus complexe.
Il va de soi que la compréhension des actions et leur exposé
ici n’exposent pas de secrets particuliers ou quoi que ce soit que les
adversaires des soldats français ne sachent déjà. En revanche, cela permet
peut-être à nos concitoyens de mesurer la difficulté de la mission et de mieux
comprendre le quotidien de nos militaires".
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