Alors qu’au moins jusqu’au 23 janvier, il n’était pas envisagé d’envoyer en Centrafrique de renforts militaires français, il a donc été finalement décidé 15 jours après de le faire, signe, sans doute, d’un changement, pas forcément positif, de « l’état des choses ».
Le capitaine Arno (sic), ce héros ! L'excellence tactique est souvent le paravent pratique, mais épuisant, de l'absence de réponses appropriées à certaines questions.
Gagner 1 à 2 pions pour repousser l'éventualité de l'échec
Les débats des "experts auto-proclamés" (qui se trouvent n'avoir finalement pas entièrement tort, et mériteraient, parfois, d'être écoutés, ou moins méprisés) sur la nécessité d'envoyer pour les uns 10.000 hommes, pour les autres 80.000 (qui dit mieux ?) auront au moins permis de montrer que le compte n'y était pas... 400 militaires supplémentaires viendront donc en renfort des 1.600 hommes théoriquement déjà sur place. Au passage, les forces spéciales françaises dont le déploiement à Birao, au Nord-Est du pays dans la zone dite « des trois frontières », a été annoncé par un député lors d’une audition à l’Assemblée nationale, sont-elles comptabilisées dans ce chiffre-plancher ?
Une compagnie d’infanterie (dont seuls les personnels marquent la présence de la force au sol et parmi les populations, bien plus que les passages à basse-altitude d’appareils de combat, un temps craints, aujourd'hui moqués), des moyens d’aéromobilité (indispensable avec l’arrivée redoutée de la saison des pluies rendant les axes de latérite difficilement praticables), de logistique et de commandement permettront d’améliorer la couverture de certaines zones en dehors de Bangui via la multiplication de détachements mobiles (comme cela a déjà été fait dans le passé).
Une compagnie d’infanterie (dont seuls les personnels marquent la présence de la force au sol et parmi les populations, bien plus que les passages à basse-altitude d’appareils de combat, un temps craints, aujourd'hui moqués), des moyens d’aéromobilité (indispensable avec l’arrivée redoutée de la saison des pluies rendant les axes de latérite difficilement praticables), de logistique et de commandement permettront d’améliorer la couverture de certaines zones en dehors de Bangui via la multiplication de détachements mobiles (comme cela a déjà été fait dans le passé).
Alors que certains annoncent que la France est enlisée (et proposent comme solution ce qui se fait déjà depuis le début, c'est à dire la coopération avec les militaires de la MISCA...), sur le plan tactique, il est sans doute plus juste d'indiquer que la force Sangaris était fixée sur Bangui. C'est à dire "être empêché de déplacer une partie de ses forces à partir d'un endroit donné et/ou pendant une période déterminée en le retenant ou en l'encerclant pour qu'il ne puisse pas se replier ou mener des opérations ailleurs", selon la terminologie officielle. Les événements en-dehors de Bangui étaient de plus en plus répercutés, et cette fixation ne devenait plus gérable. Ces renforts vont permettre de multiplier en partie des opérations dans ce qui est défini comme "le pays utile".
Des forces légères avec des exemplaires (2 ? 3 ? ) de la dernière génération du VAB : le VAB Ultima.
Même si l’opération Sangaris répond pleinement au principe de différenciation des forces explicité dans le dernier Livre blanc, avec des forces légères (cf. notamment l’emploi intensif de véhicules de type VBL, PVP, P4, etc.) aptes à mener des opérations de gestion de crise, les impondérables font que tout contingent est, en moyenne, composé de 40 à 50% de moyens de commandement et de logistique et de 50 à 60% (dans le meilleur des cas) d’effecteurs sur le terrain. La rusticité de cette opération (un des avantages comparatifs des Français par rapport à d’autres armées) fait que la part commandement/logisitique est taillée au plus juste. Malgré cela, sur les 1.600 militaires, seuls 800 à 900 pouvaient être réellement sur le terrain (quand ils n'étaient pas immobilisés par la garde d’emprises, l'aéroport de Bangui, l'ambassade de France, etc.).
Sans mettre en jeu la sauvegarde de ces détachements (la capacité à assurer eux-mêmes leur sécurité), il n’était pas possible de les multiplier à l’infini. Leur nombre pourra donc être légèrement augmenté, redonnant un peu de liberté de manœuvre au commandement (sur le plan militaire et médiatique).
De l’Europe, parlons-en…
L’officialisation de l’arrivée de ces renforts permettra du même coup d’envoyer un message encourageant quand ces militaires sous drapeau français passeront sous drapeau européen lors du lancement tant attendu de l’opération européenne EUFOR RCA. Leur présence déjà sur place est la garantie pour que la mission européenne ne soit pas une coquille creuse pendant les longues semaines de pré-déploiement de certains contingents. Habile.
En effet, malgré les intentions sur « un déploiement rapide », « une arrivée dès que possible » et « des procédures accélérées », les délais sont incompressibles. Pour l’opération EUFOR Tchad, le début de la génération de forces avait été fait en novembre 2007 et la pleine capacité opérationnelle avait été obtenue en septembre 2008. Si les processus se sont améliorés depuis, ils n'atteignent pas la réactivité d’une opération franco-française, là encore un des avantages comparatifs du système de Défense français. Alors que pour la Xème fois (et pas la dernière), une situation de crise, ici la RCA, est "le moment de vérité de l'Europe de la Défense", il n'est pas certain que les commentaires satisfaits des euro-pragmatiques suffisent à convaincre les sceptiques, même ceux qui le sont moyennement...
Ramasser tous les couteux, les poignards et les machettes présents en Centrafrique prendra du temps...
Plus de 500 hommes pourraient donc (peut-être, restons prudents sur le chiffre) rejoindre la Centrafrique. Au passage, le fait que pas moins de 2 généraux (cumulant 5 étoiles) seront à leur tête (soit 1 général pour commander l'équivalent d'1 à 2 compagnies de combat) ne va pas aider à ramener en France le taux d’encadrement au seuil voulu… Des signes encourageant sont néanmoins annoncés pour la génération de forces (merci aux partenaires non-européens). Les états-membres, qui cumulent 1.453.000 militaires (dont 3,4% « seulement » sont déployés selon l'AED en 2012), vont peut-être réussir à trouver le demi-millier de militaires (dont ¼ de Français).
Cela permettra d’éviter le ridicule d'une Europe encore impuissante, quand, pour la mission EUTM Mali, il manquait une section à trouver parmi plus d'1 million de militaires… Les réflexions sur la section d’infanterie comme priorité stratégique nationale étaient alors plus que d’actualité (partie 1, partie 2 et partie 3). Une section déployée vous fait rentrer dans la cours des grands... Enfin, n'oublions pas que si la présence de nombreux contingents dans une mission est, au niveau politique, un signe souvent positif (assisse d'une légitimé plus grande), au niveau militaire, cette disparité peut grandement complexifier la mission (règles d'engagement et matériels non harmonisés, etc.).
Les limites d'une boite à outils mal employée
Finalement, la centralité (un peu accentuée par les propos ci-dessous) des questions militaires dans les débats sur la Centrafrique viennent plus que jamais rappeler que la réponse à cette crise est encore une fois centrée de manière disproportionnée sur une approche principalement militaire. Cela rappelle la maigre prise en compte de décennies de retour d’expérience sur le traitement de crises complexes.
Ainsi, l’annonce de l’ambassadeur de France en RCA début février (soit plus de 2 mois après le lancement de l’opération Sangaris…) de l'envoi d'une vingtaine d’assistants techniques (dans le domaine de l’agriculture, de la santé, de l’éducation, etc.) est à saluer. Enfin. Si la coopération civile peut-être une coûteuse illusion (cf. cette excellente étude sur la province de la Kapisa en Afghanistan), avec un emploi pas exempt de biais, elle ne doit pas être, extrême inverse, le parent pauvre d’une réponse où l’envoi de compagnies de bérets rouges, verts, bleus ou noirs est trop souvent la solution évidente et simpliste à un problème complexe. La mobilisation rapide des expertises civiles (alors que la période des semis arrive et que les récoltes prochaines sont plus d'hypothétiques, les structures judiciaires sont inexistantes…) est un domaine d'effort. Des recommandations en ce sens étaient faites dans le dernier Livre blanc, les résultats concrets (les seuls valables) se font attendre. Il est vrai que la gestion interministérielle des crises relève du ministère des Affaires étrangères dont le titulaire du poste se fait volontiers porte-parole du ministre de la Défense pour révéler le bond en avant d’une section, une tâche plus simple que de batailler pour rendre enfin employable un réseau d'experts... Dès lors que la situation se complexifie, ce même titulaire passe étrangement aux abonnés absents (c'est du moins l'impression donnée)...
Le concept de "three block war" (du général USMC Charles C. Krulak ) revisité : mener en très peu de temps, et dans un espace restreint, des missions purement militaires, d'aide humanitaire et aider à un accouchement...
Le débat durant 2 mois sur l’idée simple de l’envoi de gendarmes en Centrafrique montre le chemin qu’il reste à parcourir pour réussir à utiliser, à temps, les outils de qualité dont dispose la France. Que cela soit à Marseille, Toulouse, Kidal ou Bangui, les membres des armées ne sont pas les seules réponses aux défauts (ou aux faillites) de l'Etat. Surtout lorsqu'il s'agit de faire face à une forme de criminalité (dont les acteurs sont loin de poursuivre un objectif politique), comme cela peut être le cas aujourd’hui dans une partie de la Centrafrique (via de la "gestion démocratique des foules", puisque "maintien de l'ordre" ne se dit plus, parait-il. Les images de militaires faisant face à des pillards et des manifestants soulignent bien le caractère policier d'une telle mission, pour laquelle, malgré des efforts de préparation et d'équipement (cf. la dotation d'armes à létalité réduite (ALR), comme le Cougar lance-grenades lacrymogènes), ils ne sont pas la réponse la plus adéquate. Le lancement prochain (dans des termes encore à définir, et peut-être via une mission de type EUPOL-RCA) de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) en Centrafrique pourra s'appuyer sur quelques uns de ces 90 gendarmes français (en attendant l'arrivée d'autres gendarmes européens). Cela permettra d'éviter un des biais fréquents de tels processus (où le cas du Sierra Leone fait figure d'exception), qui concentrent souvent leurs efforts sur les armées, bien plus que sur les forces de sécurité, leur donnant de fait un rôle prépondérant, facteur de risques dans l'équilibre des pouvoirs.
Hier comme aujourd'hui, la reconstruction d'un Etat, complètement inexistant dans le cas de la RCA (aucune des fonctions régaliennes "classiques" n'est assurée : lever une armée, faire la loi, battre monnaie...) est un processus chaotique. De nombreux paris subsistent, que cela soit sur le plan militaire, au niveau des bénéfices acquis via la coopération européenne proportionnellement aux efforts déployés pour les obtenir, dans la relance de certains secteurs économiques primaires, notamment marchands (du fait du départ des commerçants d'origine tchadienne)... Si la réflexion par analogie historique n'est pas exempte de tous reproches (cf. par exemple ici sur l'Iran), l'Histoire enseigne aussi ce qu'il ne faut pas faire et permet ainsi aisément de mesurer le chemin à parcourir. Il sera long.
PS : pour définir avec les mots justes ce qui se passe en RCA, quelques réflexions recommandables :
Bon topo, Florent. Je suis depuis le début sceptique sur l'opération, mais surtout sur ses objectifs politiques.
RépondreSupprimerJ'entends bien la réponse immédiate : quoi d'autre ?
Je n'ai pas la réponse. Mais au-delà du débat sur l'UE ou sur la taille des armées françaises, au préalable et même en franco-français, nous ne sommes pas clairs sur nos objectifs.
Mouais.
RépondreSupprimerTout cela est bien et bien bon et fort vrai.
Mais "combien de marins, combien de capitaines" sont intéressés par un poste d'assistant technique en RCA ? En vérité, peu, si l'on exclut d'office les bonnes volontés qui ne sont pas nécessairement soutenues par une compétence.
Exminons les moyens et les fins :
Le vernis de connaissance, la lecture globale des faits, la géopolitique, tout cela n'est pas moins nécessaire que la spécialisation en silo et la connaissance intime du tissu local, gangréné par des années de corruption et de délitement.
- L'assistance technique n'est pas un n-ième yakafôkon, les vocations ne sont pas fréquentes, et le talent pas nécessairement au rendez-vous. Allez expliquer à un expert sectoriel qu'il doit partir quelques mois, seul et sans visibilité du terme en cas de raidissement sécuritaire. S'il est jeune, a) le maintien de sa vie familiale l'en dissuadera probablement et b) il aura certainement peu de connaissance du terreau local.
S'il est plus vieux, il gagne en expérience et aura probablement arpenté ce terrain, mais il est probablement déjà bien "tropicalisé" et ne saura que difficilement se dégager des biais cognitifs de ses anciennes missions de terrain, dont les résultats médiocres d'alors ont débouché sur le pourrissement de la situation.
- Par ailleurs, le rétablissement d'une force armée/police passe par le paiement des soldes si l'on veut éviter la perfusion ad vitam aeternam de la communauté internationale. Et qui dit paiement dit régies territorialisées, assiette et levée de l'impôt, maillage administratif équilibrant prestation à la personne et prélèvement fiscal...
équation qui n'est ni à la portée d'un seul AT, ni réalisable par le stratège s'il ne dispose pas des corps spécialisés.
La RCA est un nouveau bourbier, comme l'Afgha, non pour son volet militaire, mais bien pour les moyens dévolus à ses objectifs politiques, i.e. le volet de reconstruction d'Etat que l'opération militaire vise à initier...
Bien évidemment, ces observations bien péremptoires ne doivent pas masquer mon profond respect et le vif intérêt que j'ai à vous lire./.
Colin./.
@Olivier : tu pointe LE gros défaut de mes quelques (maigres) réflexions personnelles sur la question... Ne pas réussir à trancher dans le vieux débat de "maintenant qu'on y est pour un objectif peu mesurable (un niveau de sécurité minimal), qu'est qu'on fait...". A titre perso, j'aurais voté au Parlement "oui mais à condition de se retirer d'ici 4 mois max", tout en profitant (en partie) de la cristallisation des tensions contre les militaires françaises pour assurer d'ici la date de retrait les taches les plus potentiellement dangereuses mais nécessaires : arrestation de certains leaders, etc. Comme nous partons (laissons l'UA et, en partie, l'UE fasse à leur responsabilité), autant assurer le travail, puis ensuite s'en aller.
RépondreSupprimer@Colin L'hermet : importante remarque sur la gestion et l'attractivité de certaines carrières... Le LBDSN avançait des pistes pour cela (je me suis retenu d'envoyer quelques rafales sur les diplomates plus prompts à chercher des postes reluisants qu'à mettre les deux pieds sur les pistes de latérite...)
RépondreSupprimerQuant au 2nd tiret, je ne suis pas sur en effet que nous ayons pleinement pris conscience de l'ampleur de la tache. RCA : année 0... (tant que nous confions pas à certains responsables de Louvois, la gestion des soldes centrafricaines...)
Sur votre dernière phrase, pas de chichi... Mes réflexions étaient bien partielles, et méritent d'être critiquées et complétées ;-)