samedi 3 mai 2025

Sesame Acoustics - Comment répondre par l’acoustique à l’impasse capacitaire actuelle de la couteuse et complexe fonction détection/localisation

Il est plus fréquent de mentionner la nécessité de faire autrement que de décrire concrètement comment y arriver, notamment quand il s’agit de répondre à une impasse capacitaire où les rendements sont décroissants du fait des coûts (quels qu’ils soient : financiers, humains…) qui augmentent sans apporter d’avantages tactiques décisifs.

Fondée en décembre 2022, la start-up alsacienne Sesame Acoustics apporte des réponses aux grandes questions que se posent tous combattants : Où est l’ennemi ? Depuis où cela tire ? Qui tire ? Pour y parvenir, Sesame Acoustics s’appuie sur la révolution qu’a connue ces dernières années l’acoustique, grâce à la simultanéité de « la réduction des prix des capteurs et des systèmes embarqués, l’augmentation de la puissance de calcul et d’analyse des sons, et la facilité à diffuser des alertes par la connectivité radio ». Elle concentre surtout ses efforts là où il y a le plus de valeur ajoutée, la couche logicielle, en s’appuyant sur des capteurs réellement à bas coûts, de simples téléphones portables. Ils permettent d’espérer regagner de la masse (du fait de coûts d'acquisition réduits), au service d'une plus grande efficacité de la boucle distribuée renseignement / acquisition / neutralisation.

Pour le développement de la solution MOSAIC (Moyen de Surveillance Acoustique Intelligente et Connectée), il ne fût pas question de concentrer ses efforts sur le développement du hardware, du fait du parti pris de s’appuyer sur des portables mis en réseau. Chaque combattant peut en posséder un, comme ceux portés au poignet ou sur des interfaces pectorales placées sur le gilet de combat ou le porte-plaques. Ils coûtent de l’ordre de 300€ (pour ceux de la marque Crosscall, par exemple), un investissement minimum, sont durcis pour mieux résister aux chocs, à l’humidité et aux changements de températures, et peuvent embarquer une batterie supplémentaire pour encore gagner en autonomie (jusqu'à 10 ou 15 jours). Dans l'armée de Terre, ils sont utilisés aujourd’hui comme terminaux du Système d'information unique du programme Scorpion - Débarqué (SICS-DEB). Plus globalement, de tels produits bénéficient de l’effort de R&D de plusieurs milliers d’ingénieurs de par le monde, qui fiabilisent ces objets du quotidien, notamment au niveau des microphones, de la consommation d’énergie et de la transmission de données. Il n’y a donc aucune valeur ajoutée importante atteignable rapidement via un effort de R&D. Sesame Acoustics les prends donc comme ils sont.

Par contre, plus de 20 ans de recherches scientifiques, notamment au sein de l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL), l’apport de projets RAPID (Régime d'appui à l'innovation duale) de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et des efforts de la NATO Science and Technology Organization (STO), sont mis au service du développement de la couche logicielle, notamment via une application installable sur ces terminaux. Cette suite logicielle vise à renseigner et alerter sur la situation tactique, fournir une protection à des positions (bases opérationnelles avancées, lignes de fronts, bivouacs…), notamment par la détection en temps réel et la localisation de tirs et d'autres anomalies sonores. Des algorithmes de traitement (notamment par Intelligence Artificielle) sont directement intégrés dans ces téléphones servant de capteurs déposés, fixés, largués ou embarqués, tous géolocalisés nativement. Ils diffusent des informations, qui, une fois prétraitées au niveau des capteurs, sont des paquets de seulement quelques octets. Un effort supplémentaire de triangulation et de corrélation est ensuite réalisé à un niveau supérieur, avec là aussi une couche logicielle dédiée, via une plateforme d’accès aux alertes et de gestion des capteurs. 

Ce dispositif peut s’interfacer avec les différents systèmes de commandement et de combat (actuellement détenus ou en cours de remplacement), qu’ils soient d’origine Atos, Thales, Impact, Systematic, Hexagon… Ces capteurs sont agnostiques en termes de connectivité (4G, 5G, Starlink, Eutelsat, Wifi, IOT autres, bulles dédiées, connecteurs par prises…), et peuvent ainsi notamment se fondre dans la masse de communications civiles ou hybrides, ce qui est parfois le meilleur gage de cybersécurité. La possibilité d’être en mode passif la plupart du temps permet aussi une certaine discrétion, tout comme le fait de ne pas remonter le flux acoustique complet mais seulement de l’information prétraitée, à faible valeur en tant que telle.

Les premières applications se concentraient sur le monitoring acoustique de processus industriels, et la détection d’anomalies ou d’incidents, via un suivi d’usines et d'autres sites industriels. Il était possible de détecter des pièces usées de machines entraînant des vibrations détectables acoustiquement, permettant de déterminer un lieu, une date, une cause, etc. et d’anticiper les cycles de maintenance et les interventions de manière préventive, avant l'arrêt forcé des lignes de production. Et cela, même dans des ambiances à première vue saturée phoniquement. Face aux résultats obtenus pour des applications défense/sécurité lors de différentes expérimentations (en France, au niveau de l’OTAN, etc.), une telle innovation est aujourd'hui rapidement utilisable par l'ensemble des combattants.

Il s’agit donc ici de rééquilibrer l’équation capacitaire (coûts/bénéfices) via une analyse différente de la valeur, en ne cherchant pas à sur-optimiser des systèmes complexes, mais en resimplifiant (garantie de la masse et de la résilience), et en concentrant ses efforts au juste niveau. Vus les coûts d’acquisition des smartphones, il est possible d’imaginer une massification de leur emploi, pour tenir des compartiments de terrain plus importants, permettant de concentrer les efforts des moyens-feux comptés. Avec d’autres moyens, il est possible d’avoir une situation tactique partagée enrichie, notamment via l’imagerie aujourd’hui traitée par maints algorithmes (sur des flux vidéos de drones, des caméras de blindés, des images satellites, etc.). Le combat collaboratif passe donc aussi par l’acoustique. L'actuel chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, indique régulièrement que chaque combattant est aujourd’hui doté de son fusil et de son smartphone ("Le smartphone est un outil de combat du soldat moderne, comme son fusil"), auquel il pourrait être possible sans doute de rajouter son drone et/ou son robot (ndlr). Le CEMAT souligne ainsi l’intrication des réponses à apporter dans différents milieux et champs, entre les champs physique, cognitif et cyber. A la croisée de ces espaces, et via déjà la mobilisation des messages textes, photos ou vidéos, les smartphones sont d’ores et déjà des capteurs décentralisés de renseignement.

S’y ajouterait ici l’usage de l’acoustique (finalement le cœur historique d’un téléphone pour les échanges par la voix), avec la simple installation d’une application. Cela permet de redistribuer à des échelons bas des capacités jusqu’alors comptées et concentrées à la main de spécialistes. Il s’agit de redonner de l’autonomie à ces échelons, en les intégrant dans un réseau leur permettant de bénéficier des moyens des niveaux supérieurs (qui peuvent garantir notamment l’allonge et la puissance de feu). Le militaire ne part plus avec son capteur mais devient un capteur, au sein de pions tactiques qui doivent être de plus en plus autonomes et agir en décentralisé face à l’hyper-violence et la transparence du champ de bataille. Il faut que tout ce qui bouge ou fait du bruit soit détecté, et que tout ce qui est détecté soit frappé, dans des délais de plus en plus réduits. Or, combien de radars de contre-batterie aujourd’hui au sein de l’armée de Terre ? Combien de radars de surveillance terrestre en-dehors des régiments d’artillerie ? Combien de détecteurs embarqués sur le parc de véhicules Scorpion et ceux pas encore dans cette bulle ? Combien de systèmes individuels de détection pour la lutte anti-drones ? Trop peu. Avec une approche en réseau en première ligne et éventuellement dans la profondeur du dispositif adverse, la transparence sur des portions plus importantes de terrain est possible, en étant potentiellement en retrait. Cela permet de ne pas rester dans la zone de forte mortalité, battue par les feux, qui est située sur plusieurs kilomètres de chaque côté de la ligne de front.

Sesame Acoustics cherche donc à « ubériser » le compte-rendu, en garantissant une meilleure efficacité de la boucle renseignement-feux. Plusieurs régiments des forces spéciales et conventionnelles s’y intéressent de près. Des commandements « Alpha » de l’armée de Terre se penchent sur les applications, les enjeux d’intégration, la définition des justes besoins de remontées d’informations, etc. Soutenue par différents organismes (Commandement du Combat Futur, Section Technique de l’Armée de Terre, Agence de l'Innovation de Défense, etc.) au cœur de la politique d’innovation au service des forces, la start-up a un produit aujourd’hui à TRL7, soit démontré dans un environnement opérationnel représentatif. L'AID a réalisé des essais de la solution dans le cadre du projet d'accélération d'innovation Esmeralda. L’application pourra être disponible dans les prochains mois, en étant mise à disposition dans un possible « store », au même titre que toutes les autres applications métiers envisageables pour l’écosystème Scorpion et développées par d'autres sociétés : aide au tir pour les tireurs d’élite, traduction simultanée pour faciliter les interactions en coalition ou avec les populations locales, aide pour le calcul de portance d’ouvrages d’art...

Après une approche très académique dans le développement de cette solution est venue le temps de la démarche applicative. En prenant des risques, les chercheurs-entrepreneurs sont passés de la phase de R&D à l’industrialisation. C’est bien ensuite dans les passages à l’échelle réalisés, avec intégration au sein des forces, qu’une politique d’innovation est réellement évaluée. Il y a ici un nouvel exemple de l’intérêt de cette « BITD augmentée », avec des talents cherchés en-dehors des acteurs habituels. Il faut absolument appeler de ses vœux le maintien de cette ouverture et la réussite de leur bonne prise en compte, pour ne pas générer de la frustration qui viendrait réduire le dynamisme des solutions mise à disposition des utilisateurs finaux, en se privant de ces apports non-traditionnels. Quand bien même cela irait à l’encontre de certains positons actuelles établies...

1 commentaire:

Pour faciliter les réponses et le suivi, merci d'utiliser, au moins, un pseudo récurrent.