vendredi 20 janvier 2012

Afghanistan : des idées reçues et des questions (+MAJ)

Triste journée où à des événements déjà tragiques se sont ajoutées des rumeurs, des idées reçues et des analyses vite faites...

Idée reçue n°1 : Nicolas Sarkozy a été plus rapide à se féliciter de la fermeture de Megaupload qu’à présenter ses condoléances aux familles des militaires tués

Lors d’un tel évènement, et avant que les communiqués officiels ne confirment les informations qui fuitent dans la presse, les familles des tués et des blessés sont averties par les autorités militaires. Cela a été le cas tôt ce matin et c’est bien pour cela que la confirmation officielle n’est arrivée que tardivement lors des vœux du président au corps diplomatique.

D'ailleurs, de choisir un tel moment a eu au moins un avantage : celui de rendre hommage de manière plus solennelle aux morts pour la France plutôt qu'à travers un communiqué envoyé aux rédactions ou diffusé sur les ondes. Le Premier ministre n’a pas manqué, lors d'un déplacement en province, de faire respecter une minute de silence avant de répondre aux questions de la presse.

Idée reçue n°2 : C’est un comble pour des militaires en zone de guerre, les Français tués et blessés ce matin dans la province de Kapisa n’étaient pas armés

Selon les premières informations, l’incident a eu lieu lors d’un footing matinal effectué autour de la base opérationnelle avancée de Gwan, FOB occupée conjointement par les militaires français et afghans. Alors qu’une certaine empathie doit être construite entre forces afghanes conseillées et les conseillers français, la séance physique se faisait donc sans arme (cf photo dans Sud-Ouest).

Idée reçue n°3 : Le président a décidé d’accélérer le retrait des forces françaises d’Afghanistan

Le président a décidé d’envoyer le ministre de la Défense et le chef d’Etat-major des Armées (presque comme cet été, le CEMA étant alors remplacé par le CEMAT) en Afghanistan. Ils devront rapporter les mesures envisagées par les forces armées afghanes et par les autorités civiles ou militaires pour faire cesser de tels agissements dans les rangs de l’ANA.

Selon les décisions présentées, il sera alors discuté ou non d’une accélération du retrait des forces armées françaises d’Afghanistan. A en croire les termes d’Alain Juppé, c’est seulement si les décisions ne sont pas satisfaisantes que le retrait sera plus rapide que planifié actuellement. Rien, n’est aujourd’hui (apparemment) acté.

Idée reçue n°4 : dès lors que la décision est prise, les militaires français peuvent plier bagages en quelques semaines

Les questions logistiques engendrées par un tel rapatriement (de, à l'heure actuelle, 3600 hommes) ne permettent pas un départ en quelques semaines. Il y a les annonces, et il y a aussi la réalité du terrain… Cf. les interrogations moultes fois répétées du sieur JMT sur Le Mamouth.

Il existe au moins trois bases d'importance, Tagab, Surobi (anciennement Tora) et Nijrab, ainsi que des postes plus petits comme celui de Gwan, anciennement appelé COP Hutnik. Les Afghans ne souhaitent pas forcément garder les équipements (généralement trop complexes) ni les véhicules.

(Demie) idée reçue n°6 : les décisions de Nicolas Sarkozy répondent surtout à une logique électoraliste

Argument facile employé généralement par ses adversaires politiques : argument facile qu’il serait idiot de ne pas employer (c’est un fait), mais aussi argument odieux car rabaissant la mort de militaires français au rang d’anecdotes utilisées à des fins promotionnelles (par un camp comme par l’autre, d’ailleurs).

A l’instinctivité du président qui a oublié qu’une élite politique ne peut diriger la destinée d’un pays à coups d’émotions, il est possible de juxtaposer la non-permanence de d'autres qui ont "la chance" dans de telles situations de ne pas être aux affaires (hors du débat des responsabilités entre l'aval donné par Jospin en 2001 et le renforcement décidé par Sarkozy en 2007).

En juillet 2011, le candidat François Hollande indiquait que le retrait d'Afghanistan aurait lieu en mai 2013 si il était élu en 2012. En novembre 2011, il indiquait qu’il serait effectif fin 2012/début 2013 et aujourd’hui que cela serait entièrement fait fin 2012. Belle course à l'échalote dont on ne sait plus qui sortira vainqueur.

Alors, si ces annonces (à relativiser, voir idée reçue précédente) répondent peut-être à une logique électoraliste, les détracteurs doivent au moins admettre que Nicolas Sarkozy prend les décisions qu'eux-mêmes ils auraient prises. Tout le reste n'est qu'hypocrisie et, pour le coup, réellement électoraliste.

Une question pour finir : un intérêt à maintenir des bases pour maintenir des bases?

Sur décision du président, les actions de formation et de conseil auprès de l'Armée nationale afghane sont suspendues temporairement (apparemment). Déjà que depuis cet été, l'activité opérationnelle était limitée à sa plus simple expression (réduction du nombre de sorties, présence de détachements de liaison mais fin des opérations en sous-GTIA, etc.)...

Si ce qui reste d'utilité opérationnelle à la présence de militaires sur place est suspendue (les actions en faveur de la montée en puissance des forces armées afghanes), l'intérêt de laisser des militaires sur place est nul. Le maintien de bases pour maintenir des bases n'est pas un objectif ni politique ni militaire. D'où une obligation réelle de rapatrier tout le monde, si tel est le cas.

Comme un goût amer...

MAJ 1 :

Idée reçue n°7 : si le retrait est décidé, il sera sans conséquence parce que absorbé par les forces américaines, comme pour d'autres auparavant

Les réactions de l'étranger sont à noter. Si les responsables de l'OTAN s'associent à la douleur de ses pertes, ils notent la rareté de tels actes, sans doute afin de ne pas fragiliser la solidité de la coalition. Le retrait de la France ne serait pas un précédent, les Pays-Bas, le Canada ou l'Espagne ont fait sensiblement de même avant, mais serait particulièrement symbolique.

D'autant plus, que c'est lorsque la France menace de se retirer, si des solutions ne sont pas trouvées (comme une plus grande coopération entre la DCSD en charge du screening des soldats afghans et les services afghanes), que les félicitations les plus soutenues sur l'action des militaires français se multiplient.

Cet édito en est un bon exemple lorsqu'il est rappelé que la France est un des rares pays à ne pas avoir de caveats (ces restrictions d'emploi, la plaie des coalitions), qu'elle est une des dix nations contributrices parmi plus de 50 à déployer plus de 1000 hommes sur le terrain et que son approche pour appuyer les forces armées afghanes est un modèle...

PS : dès que disponibles, les informations relatives à l'hommage que chacun pourra rendre à ces militaires tués en notre nom seront communiquées.

PS 2 : une première version publiée était bourrée de fautes d'orthographe. Je m'en excuse.

3 commentaires:

  1. Je vous propose un enseignement supplémentaire: la "civilianisation" d'un fait de guerre.
    En effet, dans les différentes interventions des hommes politiques de tout poil, on trouve les mots "assassinat", "meutre" ou encore "niveau de sécurité". Les soldats français sont des militaires qui mènent une guerre, ou pour reprendre un terme plus consensuel des actions de guerre. En tout cas, ils ne sont pas là pour implanter des services publiques dans une banlieue délaissée, où règnent l'insécurité et le crime. Ces soldats sont morts pour la France, selon l'expression consacrée, au même titre que ceux de nos camarades tombés dans des accrochages.
    Cette "civilianisation" n'est pas neutre: elle inscrit l'action militaire dans un cadre juridique qui par définition ne peut s'appliquer à une guerre. Il ne faut pas s'étonner si demain des familles de militaires tués portent plainte contre les armées, contestant des choix tactiques, comme c'est le cas dans l'affaire d'Uzbeen.
    Nous sommes là dans une dérive dûe au manque de courage politique de nos dirigeants ou de ceux qui prétendent à le devenir et qui refusent de donner un mot certes lourd de sens mais vrai à notre intervention, celui de guerre.
    Remarquez, combien d'année a-t-on nié que l'Algérie avait été une guerre?

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  2. Intérêssant, au moins parce que cette liste d'idées reçues est déclinée "à froid" (malgré la proximité de l'attaque).

    Sinon, et hors-sujet, après rapide lecture de l'édito de global spin mis en lien, une contastation annexe, mais amère : le seul commentaire... Consternant.

    Toujours et encore cette perception US méprisante et tout connement... raciste de la France - et je passe sur ce que l'on peut lire dans les commentaires des articles fox news sur la mort de nos quatre soldats.

    Question sur ces autres idées reçues : est-ce que (ou comment) les "têtes pensantes" spécialisées dans les affaires militaires et/ou stratégiques prennent(-ils) cette donne en compte?

    Je lis beaucoup la presse et les blogs anglo-saxons en ligne, et ma forte impression est que cette image rabaissée de la France (capitulards à l'absurde, faibles, lâches congénitaux, ennemis sournois mais impuissants des USA,... toujours justifié par un tu quoque exagèré) est non seulement devenue normative dans "l'image de soi" des pseudos conservateurs US (la France comme contre-modèle par défaut de tout ce que eux "vrais américains" ne sont *pas*), mais est aussi passée dans le terreau culturel, même pour les "liberals"...
    Comme vu encore récemment dans des commentaires sur des sites US de gauche, dans "South Park", sur twitter avec des "personnalités" non-politisées,...

    L'anti-américanisme français a été analysé par différents auteurs français, mais la contre-partie US, à mon sens bien plus réflexive et d'un registre différent (encore une fois, d'une nature raciste, je pèse mes mots, et bien plus organisée, ouverte et acceptée) n'a pas à ma connaissance fait l'objet d'une réflexion publique sérieuse, ni US, ni française - à part quelques sites désormais en sommeil.

    Enfin, voilà, désolé d'accaparer cette triste occasion pour ainsi détourner le sujet, mais, vous parliez d'idées reçues et de questions, et je trouve que ces pertes françaises ont été l'objet d'une poussée de fièvre francophobe.

    Je ne suis pas américanophobe (les américains sont dans mon expérience des gens très agréables humainement), mais je m'interroge grandement sur une Nation dont les profondeurs, au moins en partie, avec heureusement peu ou pas de commentateurs lambdas militaires, crachent sur les dépouilles d'alliés morts à ses côtés.

    Merci.

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  3. Tout a fait d'accord avec CBA, c'est un phénomène qui était particulièrement visible lors de l'attaque d'Uzbeen, où les soldats avaient été traités en victimes d'un drame, dans lequel il y avait forcément un fautif du point de vue juridique.
    J'avais vu dans la démarche de M. Juppé, en redonnant son nom à l'Ecole de Guerre, un début de renversement de tendance... Qui s'arrêtera là?

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