jeudi 23 octobre 2008

On en sera bientôt encore plus…

En quelques mois, des parutions d’importance sur la pensée officielle française en matière de politique étrangère et de Défense ont été rendues public permettant d’éclaircir un futur proche d’une dizaine d’années en donnant les grands axes d’efforts, d’action, d’analyse et de restructuration.

En premier lieu, venant concrétiser les efforts de développement de la réflexion doctrinale de l’armée de Terre, le manuel FT 01 fait son apparition en janvier 2007 sur l’emploi des forces terrestres: «Gagner la bataille – conduire à la paix. Les forces terrestres dans les conflits aujourd’hui et demain». Les phases d’intervention, de stabilisation (LA phase décisive) et de normalisation sont alors mises en avant pour conduire à la résolution sur le terrain des crises actuelles. Tout en prenant en compte dans un consensus réaliste à mon humble avis, les inclinations récentes des opérations (le déroulement au sein des sociétés et le besoin du travail de différents acteurs) et les caractéristiques pérenne des opérations (qui reste un affrontement de volontés où il faut contraindre l’adversaire) avec la double exigence de puissance et de maitrise de la force.

Puis ce fut la parution attendue et critiqué du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale présenté le 17 juin. Plusieurs personnes réagissant à chaud sur les épisodes marquants de l’été (Ossétie ou Afghanistan) se demandaient si le Livre Blanc quelques mois après sa parution, n’était pas déjà périmé et si une version 2.0 ne serait pas souhaitable ? Oubliant peut être que rares sont les révolutions rapides entrainant des changements radicaux. Pour rappel, « un Livre Blanc est un document de référence qui définit pour une période donnée les objectifs d’une politique publique, le cadre dans lequel elle s’exerce et donc les grands choix qu’elle appelle ». Le caractère imprévisible et l’incertitude du monde actuel, la prise en compte des risques de manière globale, la mise en avant d’une nouvelle fonction stratégique qui est « la connaissance et l’anticipation» (en plus de la prévention, la dissuasion, la protection et l’intervention), un recentrage vers un axe Méditerranée, Golfe Arabo-persique, Océan Indien, ou encore la plus grande place donnée à l’UE avec une armée restructurée développant ses capacités spatiales sont quelques unes des grandes conclusions.

Dans un cadre stratégique « inter-agences », le Livre Blanc sur la Politique étrangère et européenne de la France, très peu analysé et qui mériterait que l’on s’y attarde un peu plus (je vais m’y mettre) a été remis par Alain Juppé présidant sa rédaction au MAEE Bernard Kouchner en juillet 2008.

Enfin en septembre 2008, c’est tout d’abord le manuel du CDEF dit FT 02 de "Tactique générale" résumé par François Duran : la permanence des trois principes de la guerre que sont la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des moyens avec « les nouveautés » de la nécessité de légitimer l’intervention, de sa nécessité et de la réversibilité de l’action. Puis, pour l’armée de l’Air française, ce qui est apparemment une grande première, la parution de son concept dont j’ai noté deux faits: un document ayant vocation à être remis à jour régulièrement et l’armée de l’Air française conçoit sa participation à des missions (un spectre large de possibilités) intégrée dans une action interarmée. Il ne manque plus que la Marine nationale…

Depuis deux semaines pour finir, les spéculations d’usage (se souvenir des scénarios prévus lors des commission du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale se relavant souvent à des années lumière des décisions finalement prises) et des effets d’annonce vont bon train s’agissant de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2009-2014 qui donne aux volontés affichées les moyens de se concrétiser. Dans un cercle idéalement vertueux, on part d’un instant T avec des moyens, on décide de ce que l’on veut faire et on traduit cela par des besoins que la LPM doit pouvoir assurer. Les auditions de différents acteurs (Ministres ou Chefs d’État-major) devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale permettent en lisant entre les lignes, d’avoir quelques idées sur les investissements, les formats, les achats…

Mais attendons encore avant sa parution officielle et publique surtout que les « si » et les coupes sèches sont toujours possible que cela soit sous l’effet des crises politiques ou financières, des alternances ou des cohabitations politiques ou des changements du contexte stratégique.

8 commentaires:

  1. Je me suis effectivment interrogé sur la justesse du LIvre Blanc. Certes, il a vocation à durer plusieurs années. Mais si en juin il interrogeait plus qu'il ne répondait, en août, on se demande s'il ne faut pas se saisir de la possibilité d'en redicuter. D'autant que l'affaire Surcouf a empêche que le débat ait lieu.
    Pour le LB de la politique étrnagère, je l'avais signalé à sa sortie et confesse n'avoir pas eu le temps de m'en occuper : si ovus vous y mettiez, la communuaté ovus en saurai gré.
    Merci
    OK

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  2. Oui, un LB version 2.0 me semblait nécessaire (c'est toujours le cas d'ailleurs). Ma principale objection reste la fameuse "capacité de montée en puissance". En effet, le LB le mentionne, mais ne propose a priori pas de solution sur la façon de faire. Enfin, ce n'est que mon avis ; je ne prétends pas détenir la vérité révélée (au passage, bravo pour votre blog).

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  3. @ O. Kempf: Le fait que le concept de l'armée de l'Air soit réactualisable et modifiable est peut être du au vaste débat avorté trop tôt qui a suivi (et surtout précédé) la parution du LB. En pratique, je ne sais pas comment c'est prévu, mais cela m'avait frappé et m'avais semblé une posture intéressante...

    Ce qui me gênais dans les remarques émises après l'épisode géorgien ou afghan, c'était l'impression d'un nécessaire retour en arrière radicale, indispensable et à 360° (ndlr. que quelqu'un comme Mr Badie n'aurait pas vraiment cautionné, j'y reviendrais ce WE). Que le LB aurait été trop loin et donc qu'il fallait un milieu entre celui d'avant la Chute du Mur et le nouveau qui osait trop d'une certaine façon...

    Il est vrai que le LB est sans doute prévu pour quelque temps, faudrait-il une actualisation régulière tous les 2 ou 3 ans ? Il est vrai que pour le moment le LB sert de base de référence plus que d'outil de direction: on compare par rapport plus qu'avec...

    Pour le Livre Blanc de la Politique étrangère, quelques petites remarques pour amorcer un débat, vont arrivées d'ici peu. C'est assez surprenant qu'à de rares exceptions, pas grand monde n'en ait parlé...

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  4. @ vonmeisten: je vous retourne les félicitations. Vos remarques sont courtes mais souvent piquantes... Le "brouillard" sur l'économie se lève pour moi grâce à ces quelques phrases.

    Pour la vérité détenue, c'est un vaste débat... je pense qu'une vérité approchante peut être obtenue grâce aux participations de chacun...

    Pour le LB et à ce que je vois, la puissance fait appel à tellement de paramètres que vouloir les mettre à l'unisson est rarement chose aisée... Il est bien souvent plus simple de régresser que de progresser en plus...

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  5. Le fait que le concept de l'armée de l'air soit réactualisable semble tenir à une autre de ses caractéristiques: en tant que document s'inspirant des pratiques actuelles des armées américaines en la matière, il intègre un certain nombre de nouveautés, parmi lesquelles le concept d'adaptation permanente.
    Je sais que Joseph Henrotin m'avait déjà repris sur cette idée en me montrant que l'adaptation est le b-a-ba des armées, mais je pense qu'il faut distinguer entre l'adaptation fonctionnelle (même si elle est "filtrée" par des prismes cognitifs et à travers des mécanismes sociologiques) et le concept d'adaptation permanente.
    Ce dernier repose en effet sur l'idée que la menace évolue sans cesse, dans un monde de conflit permanent (cf. FM 3-0): or, on ne peut faire l'économie de se demander dans quelle mesure cette description de la "réalité" est légitime. Au contraire, on peut émettre l'hypothèse que la construction d'une menace globale (même diverse) en mutation constante permet de justifier les réformes permanentes des forces armées.
    Qu'on me comprenne bien: ceux qui me connaissent savent que je ne fais pas dans l'antimilitarisme (un peu idiot de la part d'un militaire, même de réserve). Simplement, je cherche à INTERPRETER les réactualisations de concepts datant de l'ère coloniale ou de la décolonisation (et notamment la COIN). Il me semble bien que, bien plus que de répondre à des impératifs stratégiques et même bureaucratiques, cette réactualisation permanente doit se comprendre dans le cadre de la réflexion de l'utilité de la force armée depuis la fin de la guerre froide. Rupert SMITH parle de changement de paradigme de la guerre, mais je ne crois pas que la guerre change jamais. En revanche, c'est bien l'approche et la perception de la conflictualité qui change. Je postule (mais peut-être ai-je tort) qu'une des évolutions actuelles conduit, pour les forces armées occidentales, à chercher une justification permanente via une adaptation continuelle et non-linéaire à une menace présentée comme évolutive et changeante.

    Un peu compliqué peut-être (je me suis levé du pied gauche ce matin), mais cela mérite une réflexion.
    Cordialement
    Stéphane TAILLAT
    PS: et bon courage pour la suite.... :)

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  6. Pour quelqu'un qui s'est "mal" levé, c'est assez clair...

    Sinon plus sérieusement et pour "titiller", pourquoi alors ce besoin de justification du besoin de la force armée?

    En allant plus loin et peut être un peu vite, le désir de Paix nuirait-il trop aux forces armées? Il y aurait donc un besoin d'élaboration d'une menace pour pouvoir continuer à être accepté non comme élément de troubles mais comme élément nécessaire?

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  7. Réponse rapide (désolé pour le retard)
    -la Paix n'est pas forcément synonyme de suppression des forces armées. Bien au contraire, tout dépend de la définition que l'on donne à la paix. Ainsi, la stabilisation des "états effondrés" est souvent présentée comme une condition nécessaire à la paix... et elle justifie par ailleurs l'utilisation et la projection de forces armées.
    -sur la première question, c'est certes dérangeant de se poser le problème. Mais on ne peut faire l'économie d'une "réflexivité" sur les usages de la force armée et les transformations doctrinales actuelles. En d'autres termes, il faut s'interroger sur les notions utilisées pour présenter les menaces. Pour deux raisons: la première tient à l'usage qui est fait de termes comme "terrorisme" ou "insurrection" qui, lorsque l'on y réfléchit bien, sont souvent ambivalents et ambigus; Ensuite parce que cette présentation des faits reflète bien plus notre perception de la sécurité que celle de l'insécurité.
    Alors, qu'en conclure?
    PRIMO: je ne suis pas pacifiste ni anti-militariste. Mais simplement, ces modifications doctrinales signifient essentiellement des modifications profondes dans le champ de la sécurité, notamment militaire.
    SECUNDO: ne soyons pas aveugles. Les impératifs bureaucratiques (ressources, autonomie, prestige) sont très puissants dans le domaine de la sécurité. Ne nous étonnons pas que chacun veuille "se placer" dans la définition de ce qu'est l'insécurité (cf. le rapport entre Airpower, RMA et les menaces "disruptives", à savoir les ADM).
    TERTIO: il ne faut pas non plus passer sous silence les impératifs éthiques. En effet, définir la forme de l'insécurité peut conduire à utiliser n'importe quel moyen pour conduire à la sécurité. Et je ne pense pas que la fin doive justifier les moyens. D'où cette attitude réflexive, qui n'est pas sans poser problème j'en suis conscient, mais qui peut, paradoxalement peut-être, mieux servir l'efficacité et la légitimité de l'usage de la force armée. Un exemple: si la "contre-insurrection" est conçue comme la lutte contre une "insurrection", qui pourra empêcher que l'on utilise contre l'ennemi ses propres armes? Allons plus loin: qu'est-ce qui garantit l'efficacité de cette méthode? En ce sens, je trouve que l'évolution de la doctrine américaine est encourageante car elle rompt avec la "contre-insurrection" mimétique et clandestine du Foreign Internal Defense (la "contre-terreur") pour embrasser une vision plus "humanitaire" (le Nation-Building).
    QUARTO: pour terminer, ce travail réflexif permet de réfléchir à la manière dont sont présentées les menaces. Dans le cas de la COIN en Irak, il a fallu près de 4 ans pour cesser d'identifier les Sunnites avec les "méchants". Entretemps, les discours et les pratiques avaient eu le temps de créer une signification claire pour les militaires américains (insurgés=jusqu'aux boutistes= ennemis de la démocratie= jihadistes) et une identification similaire dans une partie non négligeable de la population sunnite (sunnite= résistant aux Chiites et aux Américains= jihadiste). Ce que j'essaie maladroitement de dire, c'est que, en présentant les menaces et les mesures à prendre contre elles, on permet la réalisation des prophéties du discours adverse, lui donnant une audience qu'il n'avait pas encore.....

    Voila, c'est un peu long mais j'espère que je me fais bien comprendre.
    Cordialement et colonialement
    Stéphane TAILLAT

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  8. C'est vrai que le Paix est aussi complexe à définir que la Guerre: "l'absence de Guerre" dirait Giraudoux.

    Des choses intéressantes, que je vais laisser décanter... Pour mieux y revenir!

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