Observateur attentif qu'il est du Moyen Orient, l'auteur de l'étude sur le Hezbollah nous livre la première partie de son analyse personnelle des répercussions sur les grands équilibres régionaux des événements qui ont secoué la zone.
Alors que le Liban semble s’orienter vers un gouvernement sinon de coalition, du moins consensuel, et que le camp conservateur en Iran sort victorieux de la confrontation avec la rue, l’heure est au bilan pour le principal relais d’influence de la République Islamique au Pays du cèdre, le Hezbollah.
Le bilan des élections : un échec à relativiser
L’opposition n’a pas été en mesure de remporter suffisamment de sièges pour s’assurer une majorité parlementaire. Cependant, les partis Amal et Hezbollah ont remporté d’incontestables victoires électorales dans les zones de peuplement chiite, leurs fiefs traditionnels. Le Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun n’a lui pas été en mesure d’emporter la décision dans plusieurs districts chrétiens stratégiques, comme Zahlé ou Achrafieh. Le CPL n’a donc pas pu fournir à l’opposition le complément de voix chrétiennes nécessaire à une victoire électorale. Globalement, le Hezbollah jouit toujours d’une solide popularité au sein de la communauté chiite. Le Parti de Dieu semble accepter ce nouvel équilibre et a fait savoir qu’il était prêt à travailler avec le nouveau gouvernement pourvu que celui-ci fasse consensus et, surtout, qu’il ne remette pas sur la table la question de l’arsenal du Hezbollah. À l’heure actuelle, seule la question du veto sur les décisions gouvernementales dont jouissait de fait le Hezbollah lors de la législature précédente divise encore majorité et opposition. Le Hezbollah se retrouve somme toute dans une situation qui lui convient tout à fait, à savoir celle d’un acteur politique protestataire néanmoins incontournable. N’étant pas dans le gouvernement, il peut maintenir une ligne très critique du gouvernement sans avoir à assumer des choix difficiles potentiellement impopulaires. Cependant, il reste assez puissant pour briser toute velléité gouvernementale de s’en prendre à ses intérêts fondamentaux.
La dimension régionale : statut quo
Le Hezbollah tire sa puissance du soutien que lui apportent les Chiites libanais (et les Libanais dans leur ensemble, jusqu’à un certain point) et de l’appui de la Syrie (qui laisse transiter par son territoire les armes, matériels et « conseillers » destinées au Parti de Dieu) et de l’Iran (qui fournit une aide matérielle, technique et financière non négligeable). En 2008, la normalisation des relations syro-libanaises et les pourparlers entre la Syrie et Israël par Turcs interposés pouvaient laisser entrevoir un changement d’attitude de Damas vis-à-vis du Hezbollah en échange de la restitution du plateau du Golan[1]. Peu importe que de telles négociations aient été ou non vouées à l’échec[2], l’opération « Plomb Durci » a de toute manière interrompu tout contact entre les deux parties. Du côté de l’Iran, la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ne laisse pas beaucoup d’espoir à ceux qui tablaient sur une révision à la baisse du soutien iranien au Hezbollah, fort improbable même dans le cas d’un changement de président[3].
La dimension religieuse
La situation est moins évidente quant à la dimension religieuse. Le référent en dernier ressort du Hezbollah est Ali Khamenei, non en tant que Guide Suprême iranien mais comme Marja, haute autorité spirituelle du chiisme duodécimain. Sa prise de position très affirmée en faveur de Mahmoud Ahmadinejad lors des troubles qui ont agité l’Iran ces derniers jours tranche avec la neutralité que doit observer le Marja. On a pu constater en cette occasion le silence, voir la réprobation d’autres autorités majeures du Chiisme duodécimain, comme l’Ayatollah Ali al-Sistani de Nadjaf (qui aurait selon le Wall Street Journal refusé de rencontrer Mahmoud Ahmadinejad lors de sa venue en Irak) ou encore l’Ayatollah Hossein Ali Montazeri (lui-même marja qui a vivement critiqué le Guide par le passé et successeur présumé de Khomeiny avant l’ascension de Khamenei). Au Liban même, le Hezbollah a bien repris la version officielle iranienne de désordres orchestrés par des puissances étrangères, tout en soulignant qu’il s’agissait d’une affaire interne à l’Iran, manière de se démarquer quelque peu du faqih. Cependant, les Chiites libanais, s’ils soutiennent dans l’ensemble le Hezbollah, n’adhèrent pas intégralement pour autant à sa conception du velayat e faqih (gouvernement du théologien juriste). Des figures libanaises importantes de cette confession, comme Ali el Amine ou Hussein Fadlallah entretiennent des relations complexes ou ambigües avec le Parti de Dieu. Bien que ce dernier tire sa popularité de facteurs autres que sa doctrine politico-religieuse, son alignement sur la doctrine khomeyniste du velayat e faqih pourrait revenir sur le devant de la scène à l’occasion des manifestations de Téhéran, et entacher quelque peu sa popularité dans un pays où le pluralisme religieux est partie intégrante de l’identité nationale.
[1] Malgré le retrait opéré en 2000, le Liban considère qu’Israël occupe toujours une partie de son territoire (les fermes de Chebaa, que l’ONU et Israël considèrent comme syriennes). La normalisation des relations syro-libanaises ouvrait la voie à leur restitution officielle par la Syrie et éventuellement à un retrait israélien.
[2] Le Hezbollah, considérant visiblement que ces pourparlers avaient une chance d’aboutir, avait alors tenté de se fabriquer une cause alternative sous la formes de villages chiites libanais annexés en 1949 par Israël.
[3] Les organismes d’État iraniens soutenant le Hezbollah sont tous liés aux Pasdarans et au ministère du Renseignement, eux-mêmes placés sous l’autorité du Guide Suprême Khamenei.
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