De plus, alors que les États-Unis semblaient au début réticents à reconnaître le nouveau pouvoir [2], Moscou a déjà multiplié les signes positifs vis-à-vis de l'ex-opposition. Le Kremlin a ainsi rapidement reconnu le gouvernement intérimaire et étudierait favorablement une demande d'aide extraordinaire émanant de lui. Par ailleurs, la Russie a également attisé l'insatisfaction qui a permis le renversement de Bakiyev [3] et les services de sécurité russes auraient usé de leur influence pour dissuader certaines garnisons d'intervenir contre les manifestants. Enfin, la Moscou conserve plusieurs leviers à même de faire plier le Kirghizistan dans le cas où le gouvernement de transition tenterait de réitérer la ruse imaginée par Bakiyev (accepter de l'argent russe en échange d'une promesse de fermeture de Manas, puis revenir sur sa parole une fois les premiers versements parvenus).
Conscient de son retard, Washington multiplie depuis peu les signes de bonne volonté à l'égard du nouveau gouvernement [4]. Les États-Unis sont bien conscients qu'il leur sera sans doute impossible, à terme de maintenir une présence militaire dans ce pays. En effet, tandis que la Russie considère la présence de troupes américaines dans le pays comme une incursion dans son pré carré, Pékin voit d'un mauvais œil l'existence d'une base américaine si proche du Sin Kiang, à la fois foyer d'instabilité susceptible d'être utilisé par Washington et région abritant des sites de lancement de missiles.
Les incertitudes quant au sort de la base de Manas coïncident avec une augmentation de la tension sur la logistique otanienne à destination de l'Afghanistan. Les problèmes logistiques du Northern Distribution Network (NDN) sont en effet nombreux et laissent planer des doutes quant à la capacité des États-Unis à déployer et soutenir au « Royaume de l'Insolence » des effectifs suffisants pour assurer le succès de la stratégie du général Mc Crystal.
Cependant, il serait trompeur d'interpréter la volonté sino-russe d'éloigner les Américains de l'Asie Centrale ex-soviétique comme l'espérance d'un échec occidental en Afghanistan. Pékin, Moscou et les autres capitales de la région auraient en effet beaucoup à perdre si l'OTAN, contrainte à un aveu d'échec, était poussée à quitter un Afghanistan non stabilisé. Un tel « succès » des islamistes ne pourrait en effet qu'enhardir les jihadistes internationaux à propager le djihad dans le reste de l'Asie Centrale, dans le Sin Kiang et en Russie. Trop heureux de laisser les Occidentaux faire leur « sale boulot », Russes et Chinois ont intérêt à laisser transiter la logistique de l'OTAN par leurs zones d'influence, quitte à compliquer les approvisionnements pour obtenir des concessions diplomatiques.
Quoique ponctuellement liée aux relations chaotiques entre Occidentaux, russes et chinois, les problèmes logistiques de l'OTAN en Afghanistan sont avant tout d'origine matérielle. La configuration du terrain, l'importance des volumes transportés ainsi que les attaques insurgées croissantes contre les convois, autant de sujets déjà abordés par « Mars Attaque » (ici ou là), posent hier comme aujourd'hui des problèmes insolubles que commandants et logisticiens militaires vont cependant devoir résoudre.
[1] Si le président Bakiyev a bien quitté le pays, ce n'est en revanche pas le cas de plusieurs membres de l'ancienne administration qui pourraient être confrontés à la justice kirghize, en particulier son frère Janish, rendu responsable des morts occasionnés par la répression et visé par un mandat d'arrêt.
[2] Il s'est ainsi écoulé quatre jours entiers avant le premier contact téléphonique entre Rosa Otumbayeva, chef du gouvernement intérimaire, et la secrétaire d'État Hillary Clinton
[3] Le renchérissement du prix de l'énergie et la campagne de presse contre le président Bakiyev, s'ils ont joué un rôle catalyseur, n'expliquent cependant pas à eux seuls le soulèvement.
[4] Le Congrès américain a ainsi démarré une enquête portant sur les contrats d'approvisionnements de la base de Manas, qui pourraient indirectement avoir bénéficié à la famille Bakiyev sous la forme de commissions.
Sans oublier la dexterité et la rapidité d'éxecution de la Miss Asthon et de l'UE en général pour répondre et communiquer lors des évenements...
RépondreSupprimerTout cela permettra-t-il à l'OTSC chère à Moscou de décoller en Asie Centrale ? La Chine, si elle n'est pas pour une présence de l'OTAN si près d'elle, n'est pas forcément plus favorable à un renforcement de la sphère d'influence russe.
RépondreSupprimerLa Chine a en effet des visées à long terme sur l'Asie Centrale, mais il est probable qu'elle s'accommode davantage d'une influence russe dans la zone pour plusieurs raisons.
RépondreSupprimerTout d'abord, cette région ayant fait partie de l'URSS, la Russie est pour ainsi dire "chez elle" en Asie Centrale, et sa présence ne remet pas en question le statut-quo.
Ensuite, les États-Unis, bien que l'on puisse les considérer comme une puissance sur le déclin, demeurent encore un adversaire capable de damer le pion à Pékin tant du point de vue militaire qu'économique. Moscou est en revanche incapable de contrecarrer la Chine en matière d'aide économique en Asie Centrale (toujours sur le moyen terme).
Enfin, Pékin craint peut-être davantage l'utilisation que pourraient faire les États-Unis du séparatisme Ouïgour (l'affaire du Kosovo n'a pas été oubliée par Pékin). La Chine demeure vulnérable à l'agitation dans ses provinces périphériques, sans être capable de rendre la pareille à Washington. En revanche, elle sait que Moscou ne se risquerait pas à attiser les tensions séparatistes dans le Sin Kiang, à la fois par peur du précédent que cela constituerait pour ses propres marges et par crainte d'une riposte Chinoise par insurgés musulmans ou sinophones interposés.