Mise en perspective historique par Alexandre Guérin de l'enjeu des voies logistiques en Afghanistan (importance rappelée par Olivier Kempf à qui je prépare une réponse sur l'oubli relatif de cette fonction).
S'il est une constante de l'Asie Centrale vis-à-vis des conquérants et des armées en campagne, c'est bien son hostilité intrinsèque à tout élément exogène. Hostilité des hommes tout d'abord, puisqu'il ne fait pas bon être "infidèle" en ces contrées. Certes un occidental s'y aventurant aujourd'hui ne risque plus, comme au XIXème siècle d'être décapité sur le caprice d'un Khan, tué par des brigands ou capturé puis vendu comme esclave par des Turcomans. Néanmoins, il ne peut échapper à la méfiance des habitants, tout particulièrement des montagnards Afghans immortalisés par Kessel et si prompts à partir en guerre contre tout "envahisseur", qu'il soit Britannique, Soviétique ou Américain. Hostilité du terrain, puisqu'aux déserts d'Asie Centrale succèdent des chaînes de montagnes franchissables en de rares endroits. Lorsque le "Tournoi des Ombres" battait son plein, aventuriers Russes et Britanniques se livrèrent une compétition acharnée pour cartographier ces passes et s'arroger la loyauté des monarques les contrôlant. Leur importance résidait dans le fait qu'une armée lancée à la conquête des Indes devait impérativement les emprunter. A mi-chemin entre l'Asie Centrale soumise au Tzar et le Joyau de la Couronne Britannique, l'Afghanistan était bien au premier plan de cette lutte d'influence.
Aujourd'hui, l'Afghanistan a remplacé l'Inde comme objet de l'attention des grandes puissances, mais l'hostilité du milieu demeure. Si elle ne pose plus des problèmes aussi épineux que par le passé[1], elle pèse néanmoins de tout son poids sur la logistique. Les flux des forces internationales transitant jusqu’alors par le Pakistan, la pression insurgée sur le ravitaillement s'est logiquement portée au Sud. Les convois entre Karachi et Kaboul traversant l'Hindou Kouch ont payé le prix fort face aux coups de main des Taliban et autres insurgés. Face aux pertes croissantes de leurs convois, sans parler des "emprunts de matériels" par quelques insurgés, les stratèges de l'OTAN considèrent de plus en plus sérieusement l'ouverture d'un axe supplémentaire au Nord, traversant l'ex-URSS, espace tenu dans une certaine mesure par la Russie.
L’ouverture de cet axe alternatif pose cependant des problèmes de plusieurs ordres.
- Au niveau politique, tout d’abord, puisque tous les pays de la zone n’ont semble-t-il pas le même empressement à apporter leur soutien à ce projet. De plus, si la Russie semble décidée à ne pas couper cet axe, elle compte bien obtenir un maximum de concessions de la part des Américains dans d’autres domaines (Europe ou Caucase).
- Au niveau technique, il est possible que les infrastructures de transport vieillissantes doivent être restaurées et remises à niveau afin de supporter un trafic important et régulier.
- Au niveau sécuritaire, enfin, l’ouverture d’une nouvelle route nord semble inciter les insurgés à ouvrir un front nord. Ces derniers sont en effet conscients du talon d’Achille que constituent pour les forces internationales des lignes logistiques étirées à l’extrême, et semblent décidés à faire tout leur possible pour perturber le ravitaillement de l’ISAF. En conséquence, la situation dans le Nord de l’Afghanistan s’est dégradée depuis quelques mois.
[1] On se réfèrera par exemple à la fin tragique de la première aventure Britannique en Afghanistan et du 44th Regiment of Foot qui connut au village de Gandamak son Dien-Bien-Phu ou son Kerbala, c'est selon.
[2] Ce mouvement islamiste combattant, fondé en 1999 par Juma Namangani (ancien spetznaz, vétéran de la Guerre Civile au Tadjikistan), a été virtuellement anéanti en 2001 alors qu’il combattait aux côtés des Taliban.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire