dimanche 31 janvier 2010

Les Britanniques en Malaisie (bis)

J'avais annoncé la parution du dernier Cahier de la recherche doctrinale du CDEF traitant de la contre-rébellion menée par les Britanniques face aux communistes malais à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale.


Étant très facilement en contact avec l'auteur de l'étude, ce dernier est tout à fait prêt à répondre à toutes remarques, questions ou critiques venant de vous, chers lecteurs, à propos de ce document.

Plus que prêt, il serait même particulièrement intéressé de recevoir des retours (positifs ou négatifs d'ailleurs...) à propos de son étude.

Pour lui poser des questions et transmettre des remarques : les commentaires ci-dessous ou alors un mail sur mon adresse personnelle (cf. colonne de droite).

Un des avantages du format bloc-notes est de permettre ce dialogue interactif et réactif entre le rédacteur et les lecteurs, surtout n'hésitez pas à en profiter!

vendredi 29 janvier 2010

Vraiment pas de surprise à Londres

Au lendemain de la conférence internationale sur l’Afghanistan à Londres, qu’en est-il vraiment sorti ? Rien de bien révolutionnaire ou de nouveau. Le communiqué final est disponible sur Internet. Finalement, je ne rajouterais à mon précédent article que quelques points ainsi que quelques précisions chiffrées.


1. Rumeur persistante aujourd’hui officialisée, une conférence internationale aura bien lieu en 2010 à Kaboul (en mars?). Signe visible d’une amélioration des conditions sécuritaires locales, c’est surtout le symbole de la prise en main par l’Afghanistan elle-même de son futur. Beaucoup de symbolisme face à la vie actuelle sous perfusion du gouvernement afghan...

2. D’ici là, des progrès doivent être faits en signe de bonne volonté : la fin du fameux "gros chèque en blanc" de la communauté internationale au gouvernement afghan avec une "aide devenue conditionnelle". Il faut bien justifier les fonds alloués : une aide pour le développement et la gouvernance qui augmente d’1,6 billion de $ pour atteindre 11 billions.

3. Ainsi, il faut avant la conférence de Kaboul : définir le rôle et les responsabilités de chacune des agences afghanes de sécurité, maximiser les sources de profits locales (impôts, taxes, etc.), avoir une attention particulière dans la lutte contre la corruption (une commission vérifiera dans 3 mois les efforts dans ce domaine), faire des efforts sur la place de la femme afghane (mesure soutenue par Hillary Clinton), rédiger un nouveau Plan sur l’engagement régional en Afghanistan et quelques autres feuilles de route supplémentaires, etc.

4. Pour cela, il est plus qu'urgent de pouvoir disposer d'administrateurs afghans. C'est pour cela que le communiqué indique vouloir former 12 000 agents civils supplémentaires à la fin 2011 afin de soutenir l’action des gouverneurs de provinces et des sous-gouverneurs des districts.

5. Concernant les forces nationales afghanes de sécurité, les chiffres officiels à atteindre pour 2011 sont de 171 600 pour l’armée et de 134 000 pour la police. Les ANSF doivent être capables de conduire « la majorité des opérations » dans les zones non-sécurisées dans trois ans et d’en avoir la responsabilité pleine et entière dans cinq ans. Le transfert (déjà commencé à Kaboul…) province par province dans les zones les plus calmes doit être effectif fin 2010-début 2011, même si cela a lieu dans des zones beaucoup plus complexes que la capitale. Cela commence très ponctuellement comme le narre cet article avec des Canadiens insérés dans une opération ANA (le 205ème corps qui opère dans le Sud est, comme le 203ème à l’Est, un des plus en pointe).
Bien visible dans le communiqué, un nouveau appel du pied quant aux manques de conseilles et de mentors n’échappe à personne : ni la NATO Training Mission (NTM-A), ni EUPOL (cf. article sur Bruxelles2), ni les soutiens bilatéraux ne suffisent.

6. Le Peace and Reintegration Trust Fund est évidemment au cœur des débats. Il y est fait écho plus de réintégration mais peu de réconciliation : seulement un appel à ceux qui souhaiteraient renoncer à la violence, poursuivre leurs buts politiques pacifiquement, participer à une société libre et ouverte, et respecter les principes de la Constitution. Pour faire simple, passer d’une rébellion (résistance armée à une autorité politique) à l’opposition (affrontement légal contre une autorité politique). Sur le plan de la réconciliation, une « Grand Peace Jirga » doit se réunir après la conférence de Kaboul. Qui y répondra? Des Taliban rencontrent des diplomates de l'ONU à Dubaï iront-ils à Kaboul?

Si la volonté de tous est bien présente, suffira-t'elle? Faire pression sur les uns pour agir en profondeur et avec vigueur, ne pas se décourager pour les autres afin de poursuivre, convaincre, influencer mais peu proposer : voici donc le résumé de ce 28 janvier.

mercredi 27 janvier 2010

Pas de surprise pour Londres 2010 (+MAJ)

La conférence internationale sur l’Afghanistan de Londres n’a pas encore eu lieu que déjà les décisions, les grandes lignes et presque tous les détails sont connus de tous. Le mot d'ordre est plus réorientions nos efforts plutôt que changeons nos efforts.

Il faut tout d’abord rappeler que c’est seulement la « je-ne-sais-pas-combientième » conférences après Bonn en décembre 2001, Tokyo en janvier 2002, Berlin en mars 2004, Londres, en janvier 2006, Paris en juin 2008 ou encore La Haye en mars 2009. Sans compter celles que j’oublie, les réunions informelles (comme celle qui a eu lieu hier à Istanbul entre les pays voisins de l’Afghanistan) et les sommets de l’OTAN (si la FIAS agit sous un mandat onusien, c’est l’OTAN qui la commande) : Riga en novembre 2006, Bucarest en avril 2008 ou encore Strasbourg-Kehl en avril 2009.

Seront donc présents à Londres les acteurs afghans hors Taliban et autres insurgés (même si certains sont plus fréquentables depuis qu’ils ne sont plus sur la liste tenue par l’ONU depuis 1999 sanctionnant certains terroristes), les ministres des Affaires étrangères de la coalition internationale, les représentants des pays voisins (Inde, Russie, Pakistan, les autres républiques se finissant pas « stan », etc. hors l'Iran qui juge l'initiative "inutile" et l'Arabie Saoudite qui c’est déclarée « solidaire des taliban ») ainsi que des grandes organisations internationales (ONU, OTAN, UE, Banque Mondiale, etc.) et les générateurs donateurs.

Largement commentée dans les médias, la stratégie de réintégration des insurgés dans la société afghane sera sans doute ce qui distinguera cette conférence des précédentes. Plus que sur le distinguo réconciliable/irréconciliable, les débats s’orientent autour des deux raisons (seulement deux … !) qui poussent ces individus (l’analyse est souvent centrée sur les individus plus que sur les groupes…) à prendre les armes : idéologie ou précarité. Pour les deuxièmes, il est nécessaire de proposer des nouvelles perspectives sociales et financières avec la création d’un fond spécial pour favoriser des emplois réservés tout en leur offrant des primes attractives (la partie décriée de l'affaire...). C’est donc un embryon de solution politique qui se dessine tout en sachant que les élections parlementaires sont déjà repoussées de mai à septembre 2010…

L’autre sujet de discussions concerne le Transfer of Lead Security Responsibility qui démontre l’autonomie de certaines unités afghanes à assurer elle-même la sécurité. Le transfert est progressif et ne marque pas pour autant la fin du partenariat : association ANA/FIAS de la planification à l’exécution des opérations, localisation sur les même bases, interdiction de mener des opérations sans l’ANA, etc. Depuis le 28 août 2008 dans le centre de Kaboul, au Nord de la capitale depuis le 31 octobre, et à l’Ouest et au Sud depuis le 31 décembre 2008, les unités de la coalition ne sont plus qu’en troisième rideau derrière la police et l’armée nationale afghane.

Cette « transition progressive » concerne aussi les pouvoirs civils avec des administrateurs compétents mais aussi en nombre suffisant… Lourde tâche pour Mark Sedwill, nouveau Haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan malgré la hausse du personnel de sa représentation. Les débats se concentrent alors sur l’envoi ou non de civils pour un « surge civil » (raccourci stylistique sans aucun rapport avec le « surge » irakien mais dont l’emploi fait croire à certains qu’ils sont intelligents…), sur le montant des fonds débloqués et sur son utilisation : lutte contre la drogue, efforts sur l’agriculture, etc.

Au niveau franco-français, les seuls paris encore ouverts sont sur les renforts envoyés. Et là, seul le nombre reste un mystère puisque l’on connaît déjà la composition : des formateurs, même beaucoup de formateurs (sans doute gendarmes et militaires) et du génie « civilo-militaire » pour l’aide au développement. Cela tombe bien car dès août 2009 dans son rapport, le GAL Mc Crystal indiquait qu’il souhaitait disposer d’une Armée Nationale Afghane à 170 000 hommes fin 2010 (un quasi doublement par rapport aux effectifs actuels) et environ 240 000 h à l’horizon 2014-2015. Ainsi qu’une police qui passe de 90 000 à 140 000 h. sur la même période.

Un accroissement de plus de 150 000 h en un an n’est ni le moindre ni l’unique défi qui attend ceux qui se portent au chevet du malade afghan gravement atteint du cancer. Sachant que la coalition, les États-Unis en tête, sait et annonce qu’un retrait en 2011 est dès aujourd'hui beaucoup trop optimiste pour être réalisable.

En complément l'article paru sur le site de l'IRIS qui reprend certains points: Afghanistan, à la veille de la conférence de Londres.

mardi 26 janvier 2010

"Etat d'urgence en Malaisie" pour les Britanniques (1948-1960)

La Division Recherche et Retour d'Expérience du Centre de Doctrine et d'Emploi des Forces vient de faire paraître sa dernière étude. Elle porte sur la contre-rébellion menée par les Britanniques face aux communistes malais à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale.


L'adaptation d'une armée conventionnelle aux nécessités de la contre-rébellion est l'une des problématiques centrales de cette étude. Un premier temps de constat et d'échec est suivi d'une période d'intenses réflexions et de lente adaptation qui précède l'obtention de résultats tangibles et durables.

D'autres points particuliers ne sont pas oubliés : une porte de sortie annoncée dès le début, l'action psychologiques, le renseignement, les "New villages", la formation de nouvelles forces locales de sécurité, l'unité du commandement, etc.

Souvent présentée comme un modèle abouti et réussi de stabilisation, il est instructif de se plonger dans cet épisode méconnu en France, mais particulièrement étudié Outre-Manche.

Sans aucun doute, à lire!

samedi 23 janvier 2010

Service après publication sur le renseignement en Afghanistan (+MAJ)


Pour assurer le service-après-publication (SAP) de mon dernier article, il semblerait que l’ambassadeur américain à Kaboul se soit fermement opposé à un programme (Local Defense Initiatives) visant à armer des milices locales pour lutter contre les insurgés. Même si ces groupes pourraient passer à terme sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur, pas plus de fonds alloués à cette solution pour le moment.

Par méconnaissance des motivations et de l’articulation de la société pashtoun, le risque est trop grand de voir ces groupes payés et armés devenir incontrôlables et participer à l’émergence de nouveaux seigneurs de guerre. L’article du Washington Post (généralement très bien informé sur les questions afghanes) analyse cette décision comme une des conséquences d’une lutte de pouvoirs entre d’un côté les militaires américains qui souhaitent décentraliser les opérations afin d’étendre le contrôle sur l’ensemble du pays, et de l’autre côté les diplomates qui misent avant tout sur un contrôle renforcé des questions sécuritaires par l’État central afghan. L’exemple des milices anti-Talibans de l’autre côté de la frontière pourrait faire réfléchir…

Si le renseignement n’est pas au cœur de mon dernier article, il est en filigrane. En Afghanistan, le renseignement d’une manière générale est trop orienté vers la localisation et la destruction de l’adversaire, ainsi que vers la protection de la force dans la lutte contre les IED. Les nouvelles orientations prises par Mc Kiernan et surtout par Mc Crystal changent la donne: il faut aller au contact de la population pour créer des liens et donc adopter des comportements respectueux, comme enlever son gilet pare-balles. L’ensemble du renseignement doit donc être réorienté pour une meilleure compréhension de l’environnement humain. Il doit aussi être plus décentralisée (avec un niveau district prépondérant). C’est ce que préconise le Major General Flynn (sous-chef d'état-major pour le renseignement de la FIAS) dans un rapport. Ce dernier est déjà en soit passionnant. L’analyse qui en est fait par l’ancien directeur de la DRM, le général Michel Masson, est tout aussi instructif. Un unique regret, se raccrocher autant à Galula altère le propos. En effet, les conclusions de cet auteur à la mode ne permettent plus aujourd’hui de comprendre à elles-seules l’orientation de la contre-insurrection à l’américaine. Connus et intégrés, ces propos n’en sont pas moins dépassés : pas au sens de démodés, mais au sens où les experts COIN explorent des voies où le syncrétisme de plusieurs auteurs prévaut. Sans aucun doute, à lire néanmoins.

PS: j'avais été traité de menteur par des lecteurs toujours bien informés quand j'avais "osé" certifier que certaines ONG, PRT ou autres acteurs de la reconstruction de l'Afghanistan distribuaient comme engrais du Nitrate d'Ammonium, souvent employé pour confectionner l'explosif des IED. Lire donc cet article: The Afghan government has banned a fertilizer chemical used in most of the homemade explosives that have killed U.S. and NATO soldiers.

MAJ: Pour plus d'informations sur ces engrais de Nitrate d'Ammonium qui font pousser les mortelles IED sur et sous les routes afghanes ou pour les nouvelles tendances de ces engins explosifs improvisés sur le théâtre afghan (cf. TTU).

mercredi 20 janvier 2010

Pas de "Réveil" pachtoun possible

Sous l’impulsion du général Mc Crystal, les forces en Afghanistan ne doivent plus se concentrer sur le gain, souvent passager et incomplet, de portions de territoire ou sur la destruction des insurgés, génératrice de pertes civiles. Aujourd’hui, les mots d’ordre sont « l’objectif : gagner le soutien de la population ; la mission : la protéger ». L’expression des besoins en informations a dû être réorientée pour améliorer la compréhension du terrain humain d’opérations. En plus de la connaissance de l’ennemi qui avait l’exclusivité (avec plus ou moins de succès comme le démontre l'attentat du 30 décembre à Khost).


La part de l’Humain Terrain System (HTS) est donc appelée à augmenter. C’est pour améliorer l’efficacité des opérations que l’Army développe depuis 2006 ce programme. Il se caractérise aujourd'hui par le déploiement d’une trentaine d’Human Terrain Teams (ou HTT) en Irak et en Afghanistan. La première HTT arrivant en Afghanistan en février 2007. Pour résumer, les HTT sont composées de cinq à six personnes, insérées au sein des EM des brigades et étant ethnologues, sociologues, géographes, anthropologues, linguistes, etc. Leur mission consiste à soutenir l’action des unités par la mise à disposition de connaissances socio-culturelles : la composition ethnique de la population, la nature des liens unissant différents groupes, le fonctionnement des institutions informelles, les systèmes économiques locaux, les traditions locales, etc.

Pour un colonel commandant une brigade de la 82ème Airborne en Afghanistan (alors pour la deuxième fois en Afghanistan et qui aujourd’hui a pris un troisième tour dans le RC-East tout en envoyant 1 000 hommes en Haiti…), le nombre d’opérations cinétiques a chuté de 60% sur une période de huit mois grâce à la présence d’une HTT. Dans des conflits où la solution n’est ni exclusivement militaire ni technologique, le programme HTS permet d’améliorer la réponse sociale apportée face à la déstructuration d’une société.

Dans ce sens, un intéressant rapport concernant les tribus pashtounes d’Afghanistan a été rendu public. Le titre fait écho à une caricature que j’avais ressortie : My Cousin’s Enemy is My Friend : A Study of Pashtun « Tribes » in Afghanistan. Un exemple local permet de saisir les principales problématiques dont l'absence actuelle d'institutions de gouvernance et de régulation des conflits au niveau tribal (contrairement à l'Irak).

La conclusion du rapport est encore plus instructive sur le danger et l’impossibilité de calquer la stratégie du « réveil » des sunnites avec les Pachtouns (les plus nombreux en Afghanistan mais sans être majoritaires) :

“Military officers and policymakers, in their search for solutions to problems in Afghanistan, have considered empowering « the tribes » as one possible way to reduce rates of violence. In this report, the HTS Afghanistan RCC warns that the desire for “tribal engagement” in Afghanistan, executed along he lines of the recent “Surge” strategy in Iraq, is based on an erroneous understanding of the human terrain. “Tribes” in Afghanistan do not act as unified groups […]. Pashtun’s motivations for choosing how to identify and organize politically – including whether or not to support the Afghan government or the insurgency – are flexible and pragmatic”.

Trouver pour la force des Key Leaders Engagement ou KLE (chefs locaux, religieux, vétérans, techniciens, etc.) comme intermédiaires avec la population est alors d’autant plus complexe, mais toujours aussi nécessaire. Pour plagier l’expression « caporal stratégique », il est courant de parler en Afghanistan de la « vallée stratégique » pour montrer les spécificités locales. Le zoom doit en fait être encore plus précis et descendre en dessous du niveau tribal…

Pour aller plus loin, les articles sur En Verité à propos du "réveil" à Anbar et des HTT en Irak :

- Les milices sunnites

- Une vision alternative du mouvement du "réveil"

- Cartographier le terrain humain

En complément:

- un reportage sur un Béret vert US, "nouveau Lawrence d'Afghanistan", qui milite pour l'emploi de milices pachtounes bien encadrées par des FS afin d'assurer la sécurité dans les zones reculées;

- son étude préalable basée sur son expérience en 2003 et ses propositions;

- une critique acerbe de l'étude qui oublie quelques données sociologiques ainsi que sur la fascination opérée par cette idée (apparemment trop simpliste) sur Petraeus et Mc Crystal.

lundi 18 janvier 2010

La puissance militaire est-elle en train de devenir obsolète ? +MAJ

Une chronique parue simultanément le 13 janvier dans de « grands » quotidiens (The Korea Times, Turkish Weekly et Daily News Egypt) par Joseph Nye (bio) revient sur l’utilité de la puissance militaire aujourd’hui. Version française ici.
Utilité de la puissance et non de la force, qui serait plus l’application de la puissance. Cf. à ce sujet l’ouvrage très marqué « conflits balkaniques » du général britannique Ruppert Smith : The utility of Force.

L’apôtre du « soft power » (article wikipedia), ancien conseiller auprès du secrétaire américain à la Défense et aujourd’hui professeur à l’université d’Harvard, s’intéresse donc à un des piliers constitutifs du « hard power » : le militaire. Rien de révolutionnaire dans ses propos, qui sont un bon aperçu/résumé de quelques débats stratégiques récurrents actuellement.

Nye ne parie pas sur une disparition future des conflits inter-étatiques, seulement une diminution d’échelle et de fréquence. Cette hypothèse reste plausible et les démocraties doivent selon lui toujours s’y préparer. Même un américain, récent Prix Nobel de la Paix et qui ne fait qu'augmenter les tirs de drônes sous sa présidence par rapport à l'ére de son prédécesseur va-t'en-guerre, est d’accord avec cette assertion. Si la masse des gros bataillons demeure utile, leur emploi non-coercitif est aussi une source non-négligeable de « soft power » (cf. article de François-Bernard Huyghe) : « LA voie à suivre pour réussir dans le monde politique actuel ».

Il revient ensuite de manière synthétique sur le concept globalisateur et réducteur de « guerre de 4ème génération » (cf. le texte fondateur du concept) : multiplicité des champs de batailles (virtuels, des perceptions, le spatial, etc.), pas de lignes de fronts, guerre au sein des populations, effacement de la distinction politique et militaire, etc. Sont-elles vraiment si nouvelles les caractéristiques qui déterminent cette nouvelle forme d’opposition ? Cf. par exemple, cette bonne réflexion autour du concept: Fourth-generation warfare and other myths.

Son point de vue final est bâti sur le fait que la puissance militaire reste structurante pour les états contemporains :
  • du fait de l’accaparement du monopole de la violence légitime sur lequel beaucoup se fondent (Max Weber) ;
  • de la nécessité d’un environnement ordonné donc sécurisé pour que les marchés économiques continuent à prospérer.
Structurante des cadres traditionnels d’organisation des sociétés, l’utilité de la puissance militaire va de facto perdurer au 21ème siècle. Par voie de conséquence, son emploi aussi. Lorsque l’on possède un outil, l’envie est forte pour le propriétaire de l’utiliser…Gentil résumé ou chronique de base pour un débat?

Quelques articles complémentaires du camarade SD :

jeudi 14 janvier 2010

Petits nouveaux (+MAJ)

Alors que certains piliers s'en vont (bon vent à toi Ifriqiya et bonne continuation sur Historicoblog3) et que des blogs ferment au sein de la blogosphère géostratégique française, des petits nouveaux arrivent. Ainsi va la vie...

Je tiens donc à signaler :

-Rapport de conflits tenu par un étudiant en journalisme qui débute sur la toile. Bonne poursuite à vous des analyses claires sur l'intelligence économique, les pirates, le terrorisme ou encore le renseignement.

- Chroniques persanes de Vincent Eiffling (chercheur à l'UCL). Si vous ne comprenez rien à l'Iran, à ce qui se joue autour du nucléaire, aux conséquences d'un raid sur les installations nucléaires, aux manifestations, etc. courez y. Si vous croyez connaître, allez-y aussi, c'est fort intéressant et on peut toujours s'enrichir!

"Il n'y a pas d'homme cultivé, il n'y a que des hommes qui se cultivent"

Ferdinand Foch

vendredi 8 janvier 2010

GI’s Jane sourit et ne montre plus les griffes

J’aurais pu publier cet article lors de la Journée internationale de la femme (le 8 mars), mais poursuivre la réflexion entamée par l’article de Charles Bwele sur l’intégration de femmes à bord des sous-marins de l’US Navy est aussi une bonne occasion.

La nouvelle n’est pas récente puisqu’elle date du mois de février 2009. Une unité de Marines composée uniquement de femmes opère dans la poudrière du Sud afghan. L’équipe expérimentale du 3rd Battalion, 8th Marine Regiment a depuis été relevé par une équipe issue du 2nd Battalion, 2nd Marine Regiment, atteignant le nombre d’une petite centaine de personnels.

Le concept n’est pas nouveau puisque en Irak le programme « Lionnes » est mis en place au sein de la I Marine Expeditionary Force en 2006 dans la province al-Anbar. Des équipes de recherche composées de femmes sont entraînées afin de mener des opérations de fouilles d’habitations, de gardes de check-points et de fouilles corporelles sur les femmes irakiennes. L’emploi de kamikazes femmes étant alors un mode d’action insurgé très répandu et les insurgés employaient souvent les femmes pour transporter discrètement du matériel sensible. Ainsi, les taches menées par ces équipes et visant à réduire la menace envers la Force sont surtout cinétiques. L’entraînement est en conséquence : tirs, tactiques d’investigation de bâtiments, désamorçages de charges, etc. En 2008, les « Lionnes » sont même chargées d’entraîner les personnels féminins de la nouvelle armée et police irakiennes.

En Afghanistan, la logique est diamétralement opposée, signe sans doute visible d’une meilleure compréhension et intégration des nécessités de la contre-insurrection. Le Corps des Marines étant, encore une fois, en pointe pour la concrétisation de mesures visant à mieux s’intégrer dans l’environnement opérationnel. En effet, les Marines des équipes ont pour mission principale de créer des liens avec les femmes afghanes, interagissant ainsi avec potentiellement 50% de la population. Par les contacts auprès des femmes se sont aussi leurs enfants qui peuvent être touchés par les messages délivrés (et peuvent être moins enclins à rejoindre le rang des insurgés…).

En Irak mais encore plus en Afghanistan, il est impossible culturellement pour leurs camardes hommes de réaliser certaines tâches tant il est inadmissible qu’un homme regarde, touche ou parle à une femme afghane, accompagnée ou non de son mari. Le général commandant de la FIAS ordonnant même dans sa Directive tactique de Juillet 2009 : « Units will provide female searchers and a discreet search area for the search of female occupants ». Un homme afghan ne pouvant lui aussi interagir avec les femmes, cette unité féminine est donc bénéfique aussi bien pour la FIAS que pour une armée nationale afghane très peu féminisée.

Insérés au sein des troupes en opérations, ces Marines sont surtout en charge de collecter des informations sur la perception de la Force, sur le mode de vie de la population, leurs besoins en aide humanitaire et médicale, etc. Elles n’hésitent pas par respect de la culture à retirer leur casque et leur gilet de combat, tout en portant un voile couvrant leurs cheveux. La conquête du soutien de la population et de son libre choix de soutenir le Gouvernement de la République Islamique d’Afghanistan (GIRoA) passent aussi par les femmes afghanes qu’il est nécessaire de convaincre.

Nous sommes bien loin alors de l’image de Marines mégères utiles pour garder et surveiller des bâtiments et des axes. Une certaine forme de reconnaissance…

mardi 5 janvier 2010

Toujours sur les IED....


Un petit rectificatif

La Task Force spécialisée en Afghanistan pour la lutte contre les IED s'appelle la TF Paladin (et non Thor). Elle est le pendant afghan des Task Force Troy ou de la Task Force Odin qui opèrent en Irak.

Le lecteur intéressé par cette machine de guerre américaine intégrée à la Joint IED Defeat Organization peut se reporter à ce reportage en deux parties (Task Force Paladin wages war against Afghan IED's et Bomb-makers being targeted by coalition forces in an increasingly prolific IED war) du journal d'informations mythologiques Stars and Stripes.

En supplément un Web documentaire (un peu daté) du Washington post sur la lutte C-IED. Il n'y a pas, à ma connaissance, d'ineptie.

samedi 2 janvier 2010

Faire face aux IED à l'échelle française


« Destinée à garantir et préserver la liberté de mouvement et de manœuvre, la lutte contre les engins explosifs improvisés regroupe l’ensemble des actions directes et indirectes de nature offensive et défensive menées par les forces, visant à prévenir la menace EEI, à la traiter (détection, mise en œuvre des contre-mesures et intervention) et à en réduire les effets ».

Définition tirée de la Doctrine interarmées de lutte contre les engins explosifs improvisés.

Peu touchée sur ces théâtres d’opérations traditionnels, l’armée française prend un certain retard dans ce domaine par rapport aux pléthoriques moyens et structures qui émergent Outre-Manche et Outre-Atlantique suite à une stabilisation irakienne de plus en plus chaotique. Elle ne s’en préoccupe réellement qu’à partir de la fin de l’année 2005, atteint un niveau global à partir des années 2007-2008 et un seuil d’efficacité probant que récemment (certains râlent toujours...).

Comme le met en exergue la citation préliminaire, la lutte contre les EEI nécessite des actions au moment de l’explosion de l’EEI mais aussi en amont et en aval. Par exemple, la C-IED menée aujourd’hui en Afghanistan repose sur quatre lignes d’opérations :
  • empêcher la pose de l’IED ;
  • neutraliser l’IED et protéger la Force ;
  • former la Force face à la menace et à la contre-menace ;
  • mettre en place des opérations d’influence (vis-à-vis de la population cible de la propagande insurgé exagérant les bilans mais aussi principale victime de ces IED).

Au niveau des forces françaises en Afghanistan, la C-IED se décline en tâches visant à :

1. Se protéger :
  • Retrouver une liberté d’action par l’emploi d’un détachement d’ouverture d’itinéraire (SOUVIM, Buffalo et sections du Génie) et à des manœuvres hors des axes (à pied, en hélicoptères et par des VHM ou véhicules haute-mobilité) ;
  • Développer des TTP spécifiques en formant à la reconnaissance des lieux de pose, driller les procédures d’organisation des convois et la réaction face à des incidents (secourisme de combat et effort sur les fondamentaux du combattant des logisticiens), instruire les spécialistes de la neutralisation, enlèvement et destruction des engins explosifs (NEDEX) ;
  • Protéger les convois (cabines blindés des camions logistiques, VAB avec une tourelle télèopérée, emploi de brouilleurs sur les véhicules comme le VAB LEMIR) et protéger les hommes (protections individuelles, lunettes, gilets, protections auditives).
2. Réduire la menace :
  • Connaître la zone de responsabilité (grâce à l’apport du renseignement multi-capteurs permettant la réalisation de bases de données), l’emploi de la troisième dimension (le drone Harfang en mission ISR pour Intelligence, surveillance et reconnaissance) et le contact avec la population ;
  • Analyser les incidents IED et trouver les caches (en plus des actions préalables de dépollution) grâce aux capacités de fouille opérationnelle (« pour priver les insurgés de leurs ressources, informations, armes et équipements en combinant une exploitation optimale du renseignement, un ciblage pointu des objectifs et des procédures de fouille méthodiques ») ou aux cellules d’investigation WIT (pour Weapon Intelligence Team en charge de recueillir tous les indices exploitables) ;
  • Neutraliser les réseaux de mise en œuvre en agissant sur l’ensemble de la chaîne (généralement en soutien des forces spéciales étrangères ayant un mandat permettant des missions de targeting).
Ainsi, l’ensemble des mesures s’appuie sur le triptyque “doctrine, formation, technologie” alimenté par l’exploitation des retours d’expérience (RETEX).

Alors que la construction de l'axe Bagram-Jalalabad pour contourner Kaboul se poursuit dans la zone de responsabilité française, la bataille des routes et des convois en Afghanistan n'est pas prête d'être gagnée par un camp comme par l'autre.