lundi 19 mars 2018

Entretien - Le rôle stratégique des forces terrestres, avec Elie Tenenbaum

Déjà auteur de Focus Stratégique remarqués (sur l'opération Sentinelle, la guerre hybride, l'appui-feu air-sol...), Elie Tenenbaum, chercheur au Centre des Etudes de Sécurité de l'IFRI, aborde cette fois-ci dans "Le rôle stratégique des forces terrestres" la question des défis pour les forces terrestres (entendues ici comme l'ensemble des forces opérationnellement rattachées au milieu terrestre, et non pas au sens de "armée de Terre"), notamment dans leurs relations aux autres forces. Il a bien voulu répondre à quelques questions pour présenter ces réflexions, qu'il en soit vivement remercié.   
 
1/ Quelles permanences et évolutions à horizon court/moyen terme conduisent à ce besoin stratégique et spécifique en "forces terrestres" ?

Il convient d’abord de rappeler l’évidence même : la guerre est née sur terre, et son enjeu demeure toujours le contrôle d’une portion de territoire ou des populations qui y vivent. C’était l’objectif affiché du Califat de Daech, comme celui des séparatistes du Donbass. Même les conflits qui semblent fondamentalement liés à un autre milieu - comme les tensions en mer de Chine du Sud par exemple - ont, en fin de compte, un impact sur la terre ou sur les hommes qui y vivent, sans quoi ils seraient sans enjeu. Aucune stratégie efficace ne pourra donc jamais faire l’économie du domaine terrestre pour la bonne et simple raison que ce dernier est le milieu naturel de l’homme et donc de la politique, objet fondamental des conflits armés. 


En sus de cet élément politique essentiel, les forces terrestres disposent d’un certain nombre de caractéristiques qui les rendent particulièrement intéressantes : la complexité, l’opacité et la viscosité sont trois caractéristiques intimement liées à ce domaine qui est parcouru d’obstacles, physiques et artificiels, qui multiplient les frictions, limitent la visibilité et contraignent les actions. De ces caractéristiques essentielles, les forces terrestres tirent aussi des qualités intrinsèques dont la principale est sans aucun doute la persistance. Cette dernière a une double fonction. D’une part elle permet le "contrôle", par son influence prolongée sur son environnement opérationnel. C’est cette dimension de contrôle qui joue un rôle crucial dans la mise en œuvre de la fonction stratégique "intervention" en garantissant le bon déroulement de la phase de stabilisation, la plus difficile d’une opération. D’autre part, la persistance confère aux forces terrestres la capacité à envoyer le plus fort signal de détermination politique. Envoyer des hommes au sol, qui ne pourront se désengager aussi aisément que des avions ou des bateaux, signifie l’acceptation par le décideur politique de l’éventualité d’avoir à payer le prix du sang, si besoin. C’est cette dimension qui rend les forces terrestres particulièrement nécessaires aux fonctions dissuasion et prévention, en contribuant ainsi à la crédibilité de la posture, quelle qu’elle soit.


lundi 12 mars 2018

Entretien - Robots tueurs - Que seront les soldats de demain ? (Brice Erbland)

Il y avait eu "Dans les griffes du Tigre", plusieurs articles depuis (dans la revue Inflexions et ailleurs), et maintenant  "Robots tueurs - que seront les soldats de demain ?" (chez Armand Colin).
 
Souhaitant accompagner au mieux une évolution en cours plutôt que s'y opposer par principe ou l'accepter sans réfléchir aux éventuelles conséquences, Brice Erbland lance la réflexion sur la question du comportement au combat des systèmes d'armes létaux autonomes (SALA dans le texte, et non "robots tueurs" limitant toutes réflexions).
 
Il a bien voulu répondre à quelques unes des nos questions, pour présenter un ouvrage où expérience opérationnelle, formation scientifique et réflexion éthique se combinent pour accompagner pas à pas le lecteur entre différents mondes : art guerrier, éthique, prospective, programmation, etc. 
 
1/ Que faut-il comme évolutions pour que les futurs SALA, comme vous les définissez, apportent des ruptures fondamentales sur le champ de bataille à la guerre comme activité humaine ?

Les SALA sont souvent présentés comme la future révolution dans les affaires militaires. Mais je ne suis pas sûr que ce sera le cas ; je pense que ces machines, si elles sont un jour utilisées sur le champ de bataille, seront un gamechanger de plus au niveau tactique, mais n’introduiront sans doute pas une nouvelle façon de mener une guerre. Vouloir annoncer une rupture fondamentale sur le champ de bataille est un truisme récurrent à chaque nouvel outil militaire. Mais il suffit de regarder en arrière pour se rendre compte que malgré les outils, la nature intrinsèque de la guerre ne varie pas. Même si une machine pleinement autonome - à la fois dans la prise en compte de son environnement, la décision de ses mouvements et la décision d’ouverture du feu - est employée sur un champ de bataille, elle sera toujours incluse dans un contexte opérationnel fait de décisions humaines. La façon de l’employer sera avant toutes choses décidée par un état-major, les ordres qu’elle recevra seront avant toute chose réfléchis par un chef tactique. Je ne vois pas de rupture fondamentale dans tout cela, sauf à employer ces machines en remplacement complet du soldat humain sur le champ de bataille. Mais nous touchons là à l’une des deux lignes rouges que je défini dans mon livre : un SALA devra être employé en accompagnement de soldats humains uniquement, et devra être doté d’un module d’éthique artificielle qui le rendra moralement autonome.
 
 
2/ Qu'est ce qui différenciera dans l'action au combat ces systèmes des hommes plongés tous deux dans le même chaos guerrier ?
 
La première différence qui vient souvent à l’esprit est l’absence d’émotions. C’est d’ailleurs le principal argument des défenseurs du SALA : ce type de machine n’aura pas peur, ne connaîtra pas le sentiment de vengeance, n’aura aucune haine de l’ennemi ou de la population locale. A suivre cette logique, un SALA pourrait être moralement plus stable qu’un homme, puisque dépourvu de toute faiblesse dans ce domaine. Mais c’est trop vite oublier ce que la guerre développe chez le soldat humain : le courage, la cohésion, l’instinct, et ce que je nomme le discernement émotionnel. C’est sur cette dernière vertu que je base la différence principale entre l’homme et la machine, et donc ce qu’il faut chercher à imiter pour que la machine soit au moins aussi efficace que l’homme.
 

jeudi 1 mars 2018

Oyez, oyez ! Développez l'annuaire des acteurs de la recherche stratégique !

Afin de compléter l'annuaire des acteurs de la recherche stratégique (déjà quelques 290 références...), l’Association pour les Etudes sur la Guerre et la Stratégie (AEGES) lance un appel pour que les acteurs (universitaires, militaires, membres de think-tank, experts indépendants, employés du secteur privé concernés, etc.) se fassent connaître dans cet outil qui ambitionne de devenir LA référence sur ce sujet en France.
 
Etre visible, se rendre joignable, faciliter la mise en relations, favoriser les collaborations, favoriser la diffusion, etc. Les objectifs sont divers pour cet annuaire en ligne.

Pour se faire intégrer, rien de plus simple : renvoyer le formulaire rempli de renseignements, en l'ayant préalablement signé, à l'adresse suivante annuaire.strat@gmail.com  
 

Les candidatures sont ensuite validées par le bureau de l’association, avant leur insertion sur le site Internet.

Pour rappel, l’AEGES est une association Loi 1901 à but non lucratif. C’est une plateforme indépendante et transdisciplinaire qui a pour objectif de contribuer à développer la recherche scientifique, faire reconnaître et promouvoir le champ des études sur la guerre et la stratégie dans le monde universitaire français. Elle cherche également à approfondir le lien entre le monde académique (notamment la nouvelle génération de chercheurs) et l’ensemble des acteurs civils et militaires.

Et si en plus, vous pourriez faire circuler cette information dans vos réseaux...