mardi 7 octobre 2025

Innovation et Naval Group - Faire évoluer des plateformes au rythme du combat naval

Via un panel mis en avant lors des récents Naval Innovation Days (NID) 2025, l’industriel Naval Group souhaitait démontrer le cap franchi dans l'accélération de l’intégration de l’innovation, entre celle du temps long et celle du temps court, entre des plateformes parties pour durer plusieurs décennies et les adjuvants accueillis (capteurs, senseurs, logiciels…) devant évoluer tous les mois si ce n’est pas demain toutes les heures.

Une lutte en champ proche devant prendre en compte l’évolution rapide des menaces

Face aux menaces de plus en plus nombreuses dans la bande des 0 à 10 nm autour d’un navire, il était jugé nécessaire de densifier la défense du champ proche. Pour les nouveaux navires comme pour ceux déjà en service qui doivent durcir leur protection avec un ratio coûts/efficacité pertinent, en optimisant l’ensemble des capteurs et effecteurs déjà installés, ou en permettant une fusion de ceux envisagés.

L’approche proposée par Naval Group repose sur la maîtrise d’un cœur système robuste et ouvert, d’un système de combat permettant l’intégration de services pour le partage de la situation tactique, de pupitres ou tablettes dédiées avec une interface homme machine tactique simple et contextualisé pour faciliter la prise de décision, de senseurs de bord complémentaires généralement renforcés par des algorithmes d’intelligence artificielle mis à jour (notamment pour la classification) et enfin, d’un couplage avec des effecteurs variés offrant une réponse multi-couches.

Sur la Frégate multi-missions à capacité de défense anti-aérienne (FREMM DA) Lorraine, des expérimentations (en lien notamment avec le site d'expérimentation et d'évaluation des systèmes de défense aérienne - SESDA) ont permis de pousser relativement loin la sur-couche de protection en champ proche, à 360°, de jour comme de nuit, et face à une variété de menaces. Cela est passé par l’installation de patchs anti-drones sur les radars de navigation, de caméras et d’algorithmes de veille proximale, le couplage de différents brouilleurs (notamment les produits Neptune et Majes de MC2 Technologies), des incréments dans le Combat Management System (CMS), etc. Sur les Frégates de Défense et d’Intervention (FDI), un Central Opérations (CO) proche de la passerelle est dédié à cette mission, tout comme sur les Bâtiments Ravitailleurs de Forces (BRF) avec un Digital Combat Bridge doté de premiers incréments. Sur d’autres classes de navires, il peut s'agir d’une console ou même uniquement d’une tablette selon les choix faits, en les reliant ou non au CMS. Avec une multitude d’effecteurs possibles intégrables : capacités de mesures de soutien électronique (ESM) de Thales, munitions anti-drones dédiées en cours de développement de KNDS France, arme laser de CILAS...
 
Présenté lors de la précédente édition des NID, le Lanceur modulaire polyvalent (LMP) est lui aussi un des effecteurs intégrables. En deux ans, le développement du LMP s'est poursuivi, à ce stade via un investissement uniquement sur fonds propres (de l’ordre de plusieurs millions d’€ par an depuis plus de 3 ans) et en attendant un éventuel tuilage avec un programme pour une future installation (à partir de 2027) sur des navires de la Marine nationale ou d'autres marines clientes à l’export. Des premiers tirs de développement et de qualification sont prévus en 2026 à terre et en mer depuis un démonstrateur existant à l’échelle 1, avec des roquettes de 60 et 70 mm des filiales française et belge de Thales (la priorité émise par certains prospects intéressés). Des roquettes guidées laser (RGL) seront également testées un peu plus tard. Dans le même temps, des discussions se poursuivent pour les études d'intégration de missiles, de grenades anti sous-marines, de munitions télèoperées (notamment avec KNDS France), de leurres passifs (notamment avec le groupe Etienne Lacroix), de leurres actifs décalés (de Thales), etc. Avec une charge utile autour de 1 tonne pour le LPM en format 4 modules (comme sur l'illustration), l’emport possible est conséquent : 16 missiles anti-aériens (type Mistral), 80 roquettes (68 ou 70 mm), 16 missiles multi-rôles légers (type LMM/Martlet)… Tout en pouvant varianter le type de racks installés, des racks standards qui se changent ou se rechargent en 10 minutes environ.


Des drones qui doivent devenir des plateformes modulaires, armables, tout en gagnant en autonomie et en endurance

L’effort se poursuit également dans le domaine des systèmes autonomes, avec une offre qui s’élargit au-delà des annonces faites par l'industriel au salon Euronaval 2024, notamment avec la gamme Seaquest de drones pensés pour le combat, en étant embarquables, armables et industrialisables. Pour cette gamme, les essais à la mer se poursuivent notamment pour le drone Seaquest S (de la filiale Sirehna en lien avec le chantier naval Couach), sur les aspects de tenue à la mer, d'endurance, des liaisons et de l’autonomie. Des essais avec différents armements sont aussi menés, comme avec un LMP précédemment évoqué à un module, des grenades anti-sous-marines (ASM), des torpilles ultralégères (moins complexes que la gamme jusqu’alors proposée et embarquables sur des bâtiments de taille plus réduite) ou des missiles légers anti-aériens.


Pour les grenades ASM notamment embarquables sur drones, Naval Group en a relancé le développement en interne ces derniers mois sur fonds propres, du fait de la réponse qu’elles peuvent apporter en termes de ratio coût/efficacité sur certaines menaces, par exemple sur les drones sous-marins. Cette production est pensée pour être possible en masse (plusieurs milliers par an), en simplifiant les spécifications et en intégrant la réflexion sur le processus de production dans la phase de développement. Pour les grenades ASM comme pour les torpilles ultralégères, des essais à la mer ont déjà été menés, et leur développement pourra être finalisé grâce à des premières commandes espérées prochainement.

Dans le domaine des drones, Naval Group a aussi développé en 18 mois le Cormoran dans le cadre d’un programme de R&D franco-belge en lien avec la Composante Navale belge et un écosystème local. Le drone est à changement de milieu via un ballast (le bloc noir visible sur le dessus), ce qui lui permet de voler, de flotter (avec une signature réduite) jusqu'à Mer 4 et de dériver sous l’eau jusqu’à 40 mètres de profondeur (pour encore plus de discrétion durant une petite vingtaine d’heures et une plus faible consommation d’énergie). Plusieurs cas d’usages sont envisagés pour des missions de renseignement, de port d’une charge explosive largable (suffisante pour incapaciter certains capteurs/senseurs d’unités de 1er rang) ou autre. Il était initialement conçu pour la mesure de signatures acoustiques de navires. Des essais à la mer ont déjà été réalisés, et son embarquabilité a été testée lors du récent exercice REPMUS 25 au Portugal.


Plus globalement, différents efforts sont aussi mener pour étendre le champ d’action des drones, aavec une attention portée sur certaines briques, comme l'autonomie (la box Steeris déployable, inviolable et sécurisée pour l'autonomie décisionnelle contrôlée : évitement d'obstacles, mise à distance de sécurité en automatique, anticipation de mouvements de mobiles voisins, etc.) et l'endurance via des nouvelles batteries à haute densité. En lien avec leur partenaire Acuwatt, Naval Group a développé des batteries à haute densité sourcées en France. En plus de sous-ensembles disponibles sur étagère, Naval Group s'est appuyé sur l’expertise interne pour renforcer la robustesse des batteries (face aux risques d’incendie, d’emballement et de propagation, la mise hors service d’un module…), et offrir un niveau de sécurité plus élevé tout en bénéficiant pour certains sous-ensembles (les accumulateurs) des innovations issues du civil et des investissements dans le domaine sans commune mesure avec ceux qu’auraient pu fournir en propre Naval Group. La modularité du système de batteries permet un remplacement par tranche, rendant l’utilisation et l’entretien moins lourds Après des premiers tests à la mer,  ils seront demain installés sur des drones XL de Naval Group, ou des drones de partenaires comme sur « la raie manta » de Marine Tech apte à la navigation en surface ou proche de la surface.

 

Vers la forge numérique des réponses logicielles disponibles dans la journée

Face à des menaces et des contre-mesures évoluant rapidement (leurrage, camouflage, brouillage…), certains capteurs doivent parfois suivre un rythme de mise à jour de l’ordre de la journée pour optimiser leur utilisation. Si la révolution numérique, dont l’intelligence artificielle, offre en théorie cette capacité d’adaptation, elle ne peut se faire que dans un environnement pensé dès le début pour favoriser une telle réactivité.

Via une forge numérique interne, appelée Searnergy, Naval Group souhaite proposer une architecture logicielle de bout en bout pensée dès le départ comme pouvant soutenir le versioning des couches logicielles, et des applications ou patchs développés en central (à terre, moins sous la menace directe) comme en local (en mer, dans l’urgence) et réinjectés dans les systèmes numériques embarqués.

Avec une architecture dédiée sur cloud et avec serveurs de données, une interface de devops pour le développement et l’exploitation des applications, une continuité numérique logicielle (notamment grâce à un partenariat avec la suite Dassault Systèmes 3DExperience) de la conception à l’utilisation, ou encore des protocoles de streaming pour les flux de communications multi-canaux (Wifi, satellites, Internet…), c’est toute une logique globale, sécurisée et ouverte de manière maitrisée, qui doit concourir à pouvoir rentrer dans des cycles raccourcis de développement, de tests et de déploiements de logiciels évolutifs à fiabiliser et de briques correctives. Que cela soit pour s’adapter à des contre-mesures électroniques, à des nouvelles silhouettes de drones à identifier via un capteur de type boule optronique, des nouveaux profils de vols à caractériser via un radar de détection, de nouvelles réponses à injecter au sein du CMS en lien avec des attaques saturantes, etc. Et le tout avec un éventuel roll-back si besoin, un retour à une version ante pouvant être parfois nécessaire pour retrouver des socles plus stables.


Une approche de ce type est déjà en partie disponible sur les générations de navires actuellement en service (notamment suite à des travaux menés pendant de récentes rénovations à mi-vie), mais verra un déploiement plus large sur les générations de navires qui arrivent et qui sont nativement numériques, comme les FDI. Avec en conséquence, de nouveaux métiers de production logicielle en cycle court qui apparaissent dans les équipages des marines et chez les industriels partenaires.

Une innovation qui se doit d'être incrémentale et partenariale 

L’évolution du rythme de combat et de l’évolution des menaces se doit donc trouver son pendant dans l’évolution du rythme d’adaptation des équipements, notamment via une intrication possible entre innovation du temps court et celle du temps long. Via les quelques 120Mn€ de R&D auto financé dépensés par an, le challenge pour Naval Group est donc d’équilibrer ces d’efforts, et de s’appuyer sur des partenariats pertinents permettant de démultiplier les résultats. C'est le cas notamment par les liens tissés dans les centres de recherche en Belgique comme vu au-dessus, à Singapour pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou encore en Australie pour la simulation, les essaims de drones et l’intelligence artificielle. Cela doit permettre de pouvoir proposer rapidement des solutions à déployer face aux interrogations de leurs marines clientes opérant sur des mers peu paisibles. 

Crédits : FSV / MA ou Naval Group. 

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