Faut-il joindre sa voix à commentateurs qui dissèquent sous toutes ses coutures l'opération de Toulouse ? Si oui, de quelle manière ? Au nom de quelle expertise ? Sur la base de quelles informations ? Pour quel intérêt derrière ? Charognard disséquant le cadavre encore tiède de l'opération, je lance quelques avis...
Opérer dans un environnement hyper-informationnel
Le
plantage en direct de BFM TV qui annonce, hier, vers 14h l'arrestation du scootueur, la balade des médias (avec leur part d'idéologie bien pensante... hum hum) qui recherchaient les jours précédents un néo-nazi ou un ancien militaire, etc. devraient nous faire réfléchir à notre aptitude à donner un avis juste, aussi étayé soit-il. Là, il y a une réflexion légitime.
C'est aussi ça la com' de crise : les enquêteurs ont laissé les journalistes chercher dans la mauvaise direction alors qu'ils avaient de sacrés doutes depuis quelques jours, le président et les ministres qui communiquaient, avaient comme consigne de dire qu'ils n'en savaient rien (à tort). L'enfumage maîtrisé a réussi (en particulier pour ne pas rendre méfiant le suspect).
L'hyper-information, qui nous sature d'informations, nous fait croire, avec la masse d'informations à laquelle nous pouvons avoir accès, que nous pouvons porter un jugement, qui s'il n'est pas tranché, est assez ferme pour avoir une certaine autorité. Reconnaissons au-moins une place au doute scientifique...
Réfléchissons ainsi sur le rôle des médias en opérations, sur la gestion des messages, sur nos réactions aux informations, sur notre rôle dans la propagation des rumeurs, etc. En tant que chaînon de ces processus, nous avons ici sans doute toute notre place pour donner un avis et apporter notre expérience.
Le RAID s'est planté, Chuck Norris aurait fait mieux
Bras armé du pouvoir politique, le RAID avait reçu de ce denier la mission d'interpeller vivant Mohammed Mehrad (sachant qu'en cas de légitime défense, la vie des hommes du RAID, prévaut sur celle de l'individu en face). L'intervention, qui n'est pas une science exacte, a été tentée mais n'a pas réussi de manière optimale : c'est un fait.
Plutôt que de savoir si le RAID aurait dû lancer quatre (comme le fait le GIGN) et non trois grenades de type flash-bang avant de pénétrer (j'invente, mais les commentaires lus et entendus sont de ce niveau...), laissons ces détails ultra-techniques et tactiques aux rares professionnels de la chose qui débrieferont à chaud et à froid.
Des erreurs seront sans doute soulevées (sachant que, comme à la guerre, l'épreuve de force était un duel de deux volontés et de deux intelligences...) afin de déterminer pourquoi le suspect n'a pas été interpellé vivant. Pourquoi la première opération à 3h du matin hier n'a pas été assez discrète pour l'interpeller une première fois ? Etc.
Les hommes du RAID, leur patron en tête
RAID vs GIGN : la part de l'affect ?
Après avoir salué l'action réellement extraordinaire des hommes du RAID et des différents services (DCPJ, DCRI, DPSD, DGSE, etc.), faut-il relancer avec plus ou moins de diplomatie la querelle lourde de sens et d'arrière(s) pensée(s) entre RAID et GIGN ? entre Police et Gendarmerie ? Peut-on trancher intelligemment ?
Jean-Dominique Merchet tente, mais apparemment il s'y casse une dent. Il doit mettre à jour son article et retirer un détail indiquant que le directeur général de la gendarmerie nationale (autorité du GIGN) aurait donné hier un avis extrêmement sceptique sur la manière de procéder du RAID : détail retiré car non vérifié ? car trop polémique ?
Qu'importe, c'est rentrer dans une querelle où certains relèveront la préférence du président de la république à la Police, donc au Raid, que Toulouse était une agglomération provinciale donc du ressort de la Police, donc du RAID, que l'enquête avait été confié à la direction centrale de la Police Judiciaire, qui a fait appel à son unité d'intervention, donc le RAID, etc.
Chacun des deux groupes, extrêmement compétents (difficile pour l'observateur extérieur de différencier leurs points forts et faibles), est dans une logique de survie pour se légitimer, innover en permanence, toujours tendre vers l'excellence. Sans oublier, que sur le plan personnel, et du fait de leurs mandats, de nombreux échanges ont lieu entre ces unités.
Aujourd'hui, le sens du vent semble être du côté de la Police, plus que de celui de la Gendarmerie qui subit la lente disparition de sa "militarité" (à part dans certaines missions comme en Afghanistan, encore faudrait-il qu'ils en fassent la promotion...). Cette même Gendarmerie qui craint à terme de n'être qu'un doublon, pouvant être donc jugé comme non différente et non légitime.
Difficile à notre niveau de décortiquer le processus de décision politique qui a conduit à l'emploi du RAID. Peut-être pourrions-nous plutôt revenir sur le concept capillo-tracté de "continuum sécurité-défense" avec des attributions floues, voir redondantes, pour différents services ou unités. A-t-il éclairé la situation ou a-t-il rendu l'ensemble plus chaotique ?
Présomption d'innocence vs présomption de culpabilité ?
Dernier point enfin, relever la schizophrénie des personnes se plaignant que, malgré son lourd passé et passif (voyages en Afghanistan et au Pakistan, entre autres), l'individu recherché n'a pas été arrêté avant de commettre ses actes. Connu et plus que fiché dans les fichiers de la police, n'aurait-il pas été possible de l'empêcher de passer à l'acte ?
Est-ce que s'il n'avait pas été arrêté préventivement, des bonnes âmes n'auraient-elles pas crié au viol des droits de l'homme ? à la négation de la présomption d'innocence du fait qu'il n'était pas passé à l'acte ? aux dérives de l'anti-terrorisme ? à l'instauration d'un état policier ? J'en passe et des meilleurs...
L'individu était connu des services (nous savons aujourd'hui publiquement qu'une petite parcelle de ce que ces services connaissent sur lui, sans nul doute). Il était parmi un ensemble important d'individus pouvant potentiellement passer à l'acte (rien d'automatique néanmoins), donc bénéficiant de l'attention des services. N'est ce pas une bonne chose ?
Son profil, qui reste à déterminer (est-il réellement un loup solitaire qui s'auto-radicalise alors qu'il semble avoir bénéficié de l'appui de cellules et de filières?) a rendu complexe la détermination du passage à l'acte. Néanmoins, son profil n'est pas inédit et s'apparente, du simple fait de son existence, à une réalité possible du terrorisme actuel.
Comme
le rappelait Jean-François Daguzan, la France démantèle plusieurs réseaux terroristes par an. Or, cela ne fait pas toujours les gros titres et pourtant c'est une réalité qui est pour nous, simple citoyen, généralement bien méconnue ou oubliée. Or, tant mieux que d'autres s'en occupent à notre place, avec leurs défauts, mais semble-t-il avec un certain succès...
MAJ 1 : dernier détail, je suis déçu de voir que la réflexion n'ait pas pris le pas sur les déclarations...
" Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme sera punie pénalement" NS
Et les chercheurs ? Et les membres des services ? Et les curieux ? Etc.
L'instrumentalisation, c'est maintenant ! Elle ne nous avait vraiment pas manqué cette campagne (jamais vraiment arrêtée...) !