mercredi 22 février 2012

Sur les manifestations en Afghanistan : pics épisodiques de violence et malaise plus profond (+MAJ)

[j'avais l'opportunité de passer ce soir sur France 24 (désolé, je me la pète un peu) pour apporter un éclairage sur les manifestations actuelles en Afghanistan. Cela ne pourra en fait se faire (tant mieux, j'étais un peu-beaucoup-énormément stressé), donc voici quelques points en style "prise de notes" que j'aurais aimé développer]

- réaction rapide de l'ISAF : moins de 2 heures après que l'information soit rendue public, la machine de com' isafienne donnait ses 1ers résultats. Message vidéo d'excuses du général John Allen (cf. ici), communiqués, rencontres avec les autorités afghanes. Non faites, ses mesures auraient manqué, faites, elles ne suffisent néanmoins pas à désamorcer la crise.

- dix ans d'opérations et toujours pas de "cultural awareness" : une directive a été rédigé (cf. ici) ordonnant que d'ici le 3 mars, l'ensemble des troupes en Afghanistan reçoive une formation sur la manipulation des objets religieux. Faut-il attendre un nouveau cas comme celui-çi pour(enfin) un vrai effort sur les connaissances culturelles de base en terre d'Islam ?

- les villes afghanes sont souvent en ébullition : des cas similaires de manifestations violentes ont déjà eu lieu en Afghanistan. Mai 2006 lors d'un accident de circulation causant la mort de civils, juillet 2010 (pour les mêmes raisons et toujours avec un véhicule de la coalition en faute) ou avril 2011 suite à la volonté d'un pasteur de Floride voulant brûler un Coran.

- des épisodes violents mais souvent courts : pendant deux/trois jours, voir une semaine, les soupapes de décompression des différentes grandes villes du pays (Kaboul, Mazar e Sharif, Kandahar, Hérat, Jalalabad, etc.) sautent. Les épisodes sont souvent violents (tirs à balles, jets de pierre, etc.), les étrangers (toutes nationalités confondues) étant particulièrement visés.

- des intérêts divergents : je dis "les étrangers", car à cette colère première face au sacrilège de livres saints brûlés s'agrègent différentes raisons de ras-le-bol : un ras-le-bol général contre la présence des étrangers, contre les promesses du gouvernement qui n'arrivent pas, etc. L'événement est donc un déclencheur de réactions aux intérêts plus complexes et globaux.

- et concernant la France ? Hier, une manifestation semble s'être déroulée dans la province de Kapisa, zone de responsabilité française. Les militaires français seront-ils visés ? Faisant suite à une récente affaire peu claire de frappes aériennes sur des civils, ce nouvel épisode peut encore plus complexifier les relations, les Français pouvant être mis dans le tout "coalition".


- la nécessité de l'ANCOP : ses événements montrent bien l'intérêt de disposer d'une force afghane de style "gendarmerie mobile" pour gérer des manifestations (en particulier l'utilisation de la force non létale). Les gendarmes français forment, à Mazar e Sharif et dans le Wardak, l'ANCOP (Afghan National Civil Order Police). Mais il reste encore du boulot.

MAJ 1 : la lecture complémentaire de cet article peut s'avérer intéressante : Profanation du Coran : nouvel accès de colère contre l'armée américaine (France 24). Alors "maladresse" (ou "connerie" pour employer un vocabulaire "plus vrai") ou réelle volonté de nuire ?

4 commentaires:

CBA A a dit…

A qui profite le crime?
Depuis plus de 10 ans que l'OTAN est en Afghanistan, on ne serait pas à une contradiction près. Du côté de la coalition, on fait du COIN (counterinsurgency - contre insurrection) mais tuer les méchants reste le fondement des actions militaires de l'Alliance; on veut mettre en avant les "good practises" et les "good behaviours" mais au moindre accroc, on ressort les gros flingues et on tire dans le tas (et ce n'est pas un jugement de valeur mais juste une réalité). Bref, il est certain que nous (en tant que membre de la coalition) ne sommes pas toujours clairs.
Mais du côté afghan, ce n'est pas mieux: on proteste quand des enfants sont tués, mais on emploie ces mêmes enfants pour combattre ou on n'hésite pas à mutiler des petites filles parce qu'elles ont le mauvais goût d'aller à l'école; on s'insurge parce que des soldats "étrangers" ont brûlé des corans, mais on ne respecte les dogmes de cette religion que lorsque cela arrange (multiplication des maisons closes, et pas pour les occidentaux, drogue, alcool.....).
Donc, oui, ces manifestations sont comme une soupape de sécurité, mais qui l'a ouverte, la soupape?
Répondons à cette question et on aura peut-être une vision plus claire de la situation là-bas.

Khube a dit…

Je pense également que ce nouvel épisode d'échauffourées pose une problématique: jusqu'à quel point les membres d'une coalition sont-ils intégrés dans celle-ci, de leur oint de vue et de celui de la population extérieur?

Je veux dire: on a eu droit en peu de temps à de multiples bourdes de la part des soldats américains (les cadavres-urinoirs, les Corans brûlés et je ne compte pas les "scout snipers" posant fièrement avec un drapeau SS, qui n'a pas d'impact sur l'extérieur mais n'améliore pas non plus l'image d'une certaine inculture voire bêtise dans les rangs US). Or ces phénomènes impactent toute la coalition au point que les Allemands décident d'évacuer une COP en vitesse, alors qu'on pourrait s'attendre à un ciblage exclusivement américain de la part des protestations.

Donc d'un côté, le fait que la population afghane considère les soldats de la coalition comme un tout témoigne d'une certaine réussite dans la mise en place d'un corps homogène travaillant sous la même bannière. Mais d'un autre côté, cela remet en cause certaines spécificités, comme la renommée de l'armée française pour ses méthodes et ses rapports avec les populations locales lors de ses OPEX, puisqu'elles sont fondues dans le tout de la coalition.

Entrer dans une coalition signifie-t-il donc renier son identité propre pour endosser celle de tout le groupe constitué et exclusivement celle-ci? Et est-ce vraiment dans l'intérêt de cette coalition de chercher à être vue comme un tout et non comme un ensemble de pays distincts travaillant ensemble?

Car au final, s'il y a bien, après 10 ans de conflits, encore une absence de compréhension de la population locale et de sa culture par les soldats, le peuple afghan peut être taxé du même constat, à savoir l'ignorance des pays dont sont issus les soldats qu'ils peuvent côtoyer. Je repense notamment à cette scène dans le film-reportage "Armadillo" où un afghan demande à un soldat Danois quelle religion il représente plutôt que de quel pays il vient...

Anonyme a dit…

A propos de la "cultural awareness", les américains commencent à recueillir auprès de l'EMSOME les connaissances et l'expérience française, avec notamment de premiers échanges avec le Marine Corps.
Il est vrai que dans ce domaine, notre expérience héritée des TDM est très ancienne, et que la culture pouvait en outre se diffuser à l'intérieur des formations grâce aux anciens.
JYB

CBA A a dit…

En complément à mon premier commentaire, et après le terrible massacre perpétré par un soldat américain, je reviens sur cette idée de "à qui profite le crime". Presqu'en même temps que ce tragique évènement, un "kamikaze" (je n'ai pas d'autre terme) s'est fait sauter au milieu d'un enterrement et a tué plus de 12 personnes: pourtant, personne ne proteste, personne ne menace et le gouvernement et le parlement afghan ne disent rien.... Il y a à mon sens des questions à se poser, vous ne trouvez pas?