mercredi 27 novembre 2024

Le 17ème GA, acteur central d'une LAD terrestre en pleine transformation

Comment accélérer dans la lutte anti-drones (LAD) et la lutte anti-aérienne toutes armes en proposant, rapidement, en masse et à moindre coût, une menace extrêmement réaliste pour la formation et l’entraînement des unités de l’armée de Terre ? Pour répondre à cette urgence, le 17ème Groupe d’Artillerie (GA) de Biscarosse a décidé de produire en interne ses propres cibles, avec notamment le développement de toute une trame de drones. Une petite révolution industrielle découverte avec Forces Opérations Blog.

Tirant ses rôles actuels des unités en charge de l’expérimentation de certains systèmes sol-sol et sol-air (Hawk, Roland, bitube de 20 mm…) et de la sécurisation du site d’essais de missiles de la Direction Générale de l’Armement (DGA-EM) qui l’héberge à Biscarosse, le 17ème Groupe d’Artillerie (GA) est aujourd’hui le Centre d’entraînement spécialisé en Lutte anti aérienne toutes armes (LATTA), en Lutte anti-drones (LAD) et en cynotechnie de l’armée de Terre. 


Pas de quoi s’ennuyer pour les quelques 150 personnels du 17ème GA qui voient passer plusieurs milliers de stagiaires par an, qui viennent s’entraîner à se servir de fusils brouilleurs de drones, de tourelleaux téléopérés (TOP), de canons de 20 mm ou de leurs armes de dotation face à une menace venue du ciel. Ou encore à développer leurs compétences en conduite tout-terrain sur les pistes sablonneuses des dunes et des forêts toutes proches, ou qui viennent avec leurs compagnons canins à 4 pattes pour des stages en détection (d’explosifs ou, de manière plus innovante, d’hydrocarbures, notamment pour les opérations anti-orpaillage en forêt guyanaise) ou en neutralisation humaine, « au mordant », au sein du centre de formation cynotechnique du groupe.

Cela se fait via un catalogue varié de formations, pour répondre à certains enjeux d’adaptation, de massification et de densification de certaines capacités face à l’actuel contexte opérationnel. Et qui dits notamment formations et entraînements aux tirs, dits cibles nécessaires, et cibles nécessaires en masse.

vendredi 22 novembre 2024

MTO Fronde - Quand le processus de soutien à l'innovation participative fonctionne

Réussir à se saisir des idées remontées par les utilisateurs pour en accompagner la phase de maturation et les conduire jusqu’à un éventuel passage à l’échelle.

Un projet de Munition TéléOpérée (MTO) dite ‘Fronde’ a été développé par un sous-officier, membre du Groupement des Commandos Parachutistes (GCP) du 1er régiment de Hussards parachutistes (RHP), avec son binôme, pilote à ses heures perdues de drone de type FPV (First Person View). La dénomination de Fronde est en lien avec l'histoire décrite dans l'Ancien Testament du jeune David qui terrasse le géant Goliath avec sa fronde.

 

Par la veille personnelle faite sur les médias sociaux et l’expérience accumulée au cours d’une quinzaine d’années d’opérations, le potentiel d’un tel système couplant drone et munition a tout de suite sauté aux yeux de ces militaires. L’idée de coupler une plateforme existante et une munition disponible en nombre remonte à quasi 2 ans, avant que les vidéos de l’emploi de ces systèmes fleurissent après leur utilisation massive dans les récents conflits, notamment dans les opérations en Ukraine et en Russie post février 2022.

Avec son idée, le sous-officier porteur du projet a aussitôt pris contact avec le référent innovation présent dans chaque régiment de l’armée de Terre pour être accompagné dans la rédaction d’une fiche HAPPI, le réseau social interne de l'innovation, décrivant succinctement le potentiel de l’idée, et proposant une approche capacitaire de type DORESE (doctrine, organisation, équipements, soutien...). Entre un sous-officier ayant une formation initiale avant de rentrer dans l’armée dans les procédés industriels et un référent innovation passé par l’École Polytechnique, le courant est bien passé pour avoir une approche technique d’amélioration de l’existant, tout de suite porté vers un possible passage à l’échelle en petite/moyenne série.

Dans le cadre du soutien au niveau central de l’innovation participative, un budget de quelques dizaines de milliers d’euros a pu être récupéré. Il a pu être complété par une partie du budget d’innovation décentralisée à la main de chacun des chefs de corps depuis quelques années. L’objectif est d’ailleurs dans les années à venir d’augmenter ces montants annuels (de l’ordre de 10.000€ et plus), pour permettre d'encore plus amplifier le soutien possible à de l’innovation décentralisée.

Le budget a notamment permis de développer un FabLab régimentaire, avec l’achat de moyens de CAO (conception assistée par ordinateur), des imprimantes 3D, etc. Et ainsi réaliser les plans du système au standard 1 et de développer notamment le système de mis à feu du standard 2, couplant un système de sécurité physique et un système de circuit électrique (ouvert puis, lors de la mise à feu par l’opérateur, se fermant pour initier la charge). D'autres projets portés par la récemment créée cellule d'anticipation et d'innovation du régiment (rattachée au Bureau Opérations Instruction du régiment) peuvent maintenant aussi profiter de ce FabLab.

Pour conserver une approche à coûts maitrisés, le projet s’appuie pour la partie munitions sur les grenades à fusil existantes (type APAV 40), encore détenus dans des volumes importants. L’embout servant à être mis sur le canon ou le frein de bouche des armes individuelles est retiré (car inutile) pour gagner en poids et donc en durée de vol pour le drone porteur, et il permet l’initiation de la charge par le système sécurisé de mise à feu développé. Ces grenades à fusil, parfois complexes d’emploi pour avoir une bonne précision avec les armes individuelles, gardent néanmoins des pouvoirs de pénétration intéressants, en perçant une épaisseur de blindage non négligeable. Et surtout, elles existent déjà.

Même approche pour le porteur qui a été repris chez un droniste français, connu pour sa capacité à concevoir des produits sur-mesure, grâce à une forte expérience du développement agile. Le drone est de plus déjà connu des autorités, offrant donc des garanties certaines pour la sécurité des vols, et donc limitant le temps nécessaire pour obtenir certaines autorisations quant à la fiabilité du système. Quelques modifications mineures sont réalisées, notamment pour fixer la charge utile embarquée, mais en nombre réduit pour ne pas perdre un temps précieux dans le développement du projet.

Après des premiers essais de vol pour la précision du système il y a quelques mois, des premiers tirs dynamiques de la version 2 sont prévus pour début 2025, avec la Direction générale de l'armement - Techniques Terrestres (DGA-TT). Si les essais sont concluants, et qu’un Acte Technique peut-être signé par la DGA, un éventuel passage à l'échelle pourrait être décidé : à la fois sur la modification de la charge pyrotechnique, sur l’acquisition des plateformes et sur l’industrialisation de l’interface charge/porteur.

A ce stade, le système coûte autour de 6.000€ (porteur, manette de pilotage et de visualisation, et charge), est moins lourd et moins encombrant qu’une roquette de type AT4, tout en pouvant porter plus loin et avec un pouvoir de pénétration non négligeable. Une solution pertinente surtout si les efforts actuellement menés sont poursuivis quant à la résistance au brouillage des flux pilote/MTO. De quoi potentiellement déployer rapidement une capacité au sein des unités de combat, surtout qu’il a été estimé, après essais auprès une population représentative de possibles utilisateurs, qu’environ 3 semaines étaient nécessaires pour passer de télépilotes novices à télépilotes un minimum opérationnels. Les premières formations de pilotage de drones FPV devraient prochainement être lancées en 2025 par l'armée de Terre, notamment au sein de l'Ecole des drones à Chaumont (Marne).


En jouant de l'alliance de l'innovation participative, issue des forces, et de l'innovation planifiée, issue plutôt de l’extérieur, ce projet illustre bien l’enjeu que doit relever l'ensemble des acteurs participant à l'adaptation de l'armée de Terre, au premier rand duquel le Commandement du combat futur (CCF), pour permettre d'être prêt autant que possible "dès ce soir" et encore plus demain à s'engager dans le combat aéroterrestre.

mardi 5 novembre 2024

Euronaval 2024 - A321 version MPA - Le futur de la patrouille maritime pour la Marine Nationale et à l'export ?


A l’occasion du salon Euronaval 2024, Airbus Defense & Space a présenté sa solution A321 en version Maritime Patrol Aircraft (MPA) / Patrouille Maritime (PATMAR). Une première maquette avec des marquages Marine nationale a été présentée, alors que la décision portant sur le futur des actuels appareils ATL-2 de la Marine nationale est imminente (potentiellement une question de jours).

La solution, en cours de finalisation de définition, d'A321 MPA est marquée par quelques grandes caractéristiques, concourant à "l'autonomie d'engagement" recherchée pour une telle capacité.


Une plateforme bien connue de son constructeur, avec un rythme de 75 A320 et dérivés produits par mois par l'avionneur civil, plus modulaire que l'A319 (version allongée) prévu initialement, et déjà mature et exploitée par plusieurs compagnies aériennes. Les futurs utilisateurs peuvent donc s'appuyer sur le réseau mondial de points de service des compagnies aériennes de part le monde déjà utilisatrices (plus de 100 ateliers), avec des cycles de maintenance connus (donc en grande partie anticipables, en délais et en coûts), pour l'appareil comme pour la motorisation (qui, bien que non choisie encore, devrait être fournie par le motoriste français Safran).

Une large soute ajoutée en dessous des ailes à la queue arrière, permettant d'embarquer un large spectre d'armement : torpilles, bombes guidées de type GBU (Guided Bomb Unit)et même futur successeur du missile de croisière naval MDCN / SCALP naval de MBDA (le FMAN/FMC pour futur missile anti-navire / futur missile de croisière, développé en franco-britannique). une soute vaste (aux caractéristiques non préçisées) qui ne nécessite pas d'ouvrir des points d'emport sous les ailes, une solution dégradant les profils de vol, et ouvrant des problématiques complexes d'intégration et de qualification.

Un large fuselage permettant d'intégrer la partie mission avec les consoles (au nombre encore à préciser selon les besoins des clients), les capacités de traitement des données senseurs/capteurs (avec algorithmes d'intelligence artificielle, capacités de calcul élargies...), une zone vie pour l'équipage (kitchenette/couchettes pour les longues missions et les phases de transit), une soute à bagages accessible, avec une porte cargo, sous le plancher pour loger des palettes (de l'ordre de 3 à 5) de fret (bagages, pièces détachées, ravitaillement...) lors de détachements de l'appareil par des plots relativement autonomes (les mécaniciens de l'appareil pouvant embarquer en plus de l'équipage), et le tout, avec de la réserve de place pour de la modularité/évolution incrémentale.


Une suite de missions (sans doute en grande partie Thales et Safran, cela restant à préçiser) pour détecter, identifier, suivre, et éventuellement détruire les pistes (sur, sous et à la surface de l'eau), intégrable sur le fuselage, en s'appuyant sur l'expertise d'intégration d'Airbus Defense & Space d'appareils militaires notamment de la famille Casa (plus de 50 versions produites) et de modification d'appareils civils comme les ravitailleurs MRTT. LA suite (encore à préçiser avec les clients) devrait comprendre une boule optronique à l'avant, des systèmes de communication (VHF, UHF, SATCOM...), des radars à panneaux fixes (devant et sur les côtés à l'arrière), un détecteur d'anomalies magnétiques (type MAD) à l'arrière, etc.

Via le contrat d'architecture de 18 mois d'études attribué début 2023 par la Direction Générale de l'armement (DGA) à Airbus Defense & Space (ainsi qu'à Dassault Aviation pour préciser une solution avec une plateforme centrée sur le Falcon 10X), l'avionneur a pu avancer dans la pré définition des spécifications, et proposer différentes solutions (nombre de consoles, positionnement de capteurs/senseurs, mode de maintenance...). Cela a aussi été l’occasion de vérifier (en partie sur fonds propres, en partie avec les fonds des études) les sujets de profils de vol (notamment lent et bas), d'intégration de capteurs (intégration et éventuelles interférences du MAD proche de l'Auxiliary Power Unit (APU), et de sa masse métallique, à l'arrière, par exemple), etc.


Sur le renouvellement de la flotte d'actuels appareils ATL-2 de la Marine nationale, la réponse serait imminente (pour ne pas dire dans les prochains jours) dans le choix entre les deux solutions (la Marine et la DGA semblant avoir déjà donné leurs réponses, au ministère des Armées de se prononcer). Il s'agira ensuite de préparer la notification du contrat d'après : environ 18 mois d'études pour affiner la solution (en lien avec les utilisateurs), avant le lancement en production des appareils post passage de la commande d'une flotte d'appareils, au nombre d'ailleurs encore non précisé. Et cela en parallèle des éventuelles opportunités à l'export d'une plateforme moderne, mature et grandement modulable. A suivre

lundi 4 novembre 2024

Publication - "Couach et la dronisation navale - Oser pour se faire reconnaître comme un acteur crédible" (Deftech)

Deftech, la revue des innovations technologiques pour l'armement et de la sécurité, sort un 11è numéro au au prisme très naval à l’occasion du salon Euronaval 2024. J'y publie un article sur l'intérêt pour un industriel de la démarche exploratoire des démonstrateurs technologiques, ici dans la cadre de la dronisation navale, thématique relativement centrale dans cette édition de l'événement.

Pour répondre aux évolutions des besoins de ses clients, et ainsi garantir la pérennité de sa raison d’être, un chantier naval ne peut ignorer les évolutions technologiques. Encore faut-il choisir avec justesse ses axes d’efforts.

Répondre à l’inéluctable dronisation navale qui vient
Le milieu maritime n’est pas plus épargné que les autres milieux par la multiplication d’engins, sans présence humaine à bord, ayant des degrés variables d’autonomie de pilotage et de supervision, depuis un navire-mère ou depuis la terre (et demain potentiellement depuis les airs). Et cela dans les différents domaines de lutte du combat naval : sous la surface et en surface, voir même très au-dessus de la surface.
Si les utilisateurs finaux (marines de haute mer ou côtière, garde-côtes et autres agences de sécurité) sont aujourd’hui à des stades plus ou moins avancés d’appropriation de ces technologies, avec des expérimentations qui s’accélèrent et des utilisations opérationnelles de plus en répandues et complexes, il est nécessaire pour un acteur industriel d’être en mesure de s’adapter rapidement aux demandes, voire de les anticiper. Il lui faut a minima ne pas être l’élément retardateur de l’adoption de ces nouvelles technologies aux apports intéressants, soit être prêt au moment où la maturité technologique permet d’espérer la maturité capacitaire.
Ainsi, et en allant au-delà de certaines grandes incantations sur le souhaitable, la réalité industrielle de tous acteurs fait que des choix doivent être faits, des priorités décidées, et donc un positionnement stratégique défini par des dirigeants. Cela est notamment le cas dans des périodes de transition, où « l’ancien monde » de certaines pratiques ne se meurt pas encore ou totalement, et où le « nouveau monde » peine à émerger, alors même que sans doute les deux auront tendance à cohabiter longtemps.
De l’intérêt d’un démonstrateur
Concernant la dronisation, le chantier naval Couach, situé à Gujan-Mestras (en Gironde), est depuis plus de deux ans dans ce clair-obscur, en s’appuyant sur ses compétences propres et ses atouts. Il ne s’agit pas pour le chantier de chercher à tout faire dans le domaine, mais il s’agit de déjà bien comprendre et maîtriser avant de pouvoir proposer, en certains points de la chaine de valeur, ce qui est le plus à même d’être un vrai différenciant par rapport à une concurrence qui ne manque pas. En effet, l’écosystème industriel français de la dronisation est aujourd’hui florissant avec des acteurs de taille variable, maîtrisant tout ou partie des technologies nécessaires. Le salon Euronaval ne manquera pas montrer les avancées connues dans le domaine en quelques années.
A poursuivre dans la revue, trouvable en kiosque et sur Euronaval...