dimanche 20 septembre 2009

Finance islamique et arnaque à l'italienne

Alexandre Guérin poursuit ses chroniques régulières portant sur l'actualité du Moyen-Orient. Le Hezbollah est lui aussi touché par la crise économique mondiale... Avis de tempête au Liban et grise mine au Hezbollah.


Après sa semi-défaite face à la coalition du 14 mars lors des élections nationales libanaises de juin 2009, le Parti de Dieu se retrouve impliqué dans un scandale financier de grande ampleur. Salah Ezzeddine, homme d’affaire chiite libanais, a été appréhendé à la suite d’une faillite frauduleuse. De nombreux épargnants ont perdu l’intégralité de leurs avoirs et les sommes évaporées s’élèveraient à 1,6 milliards de $. Plusieurs hauts responsables du Parti de Dieu figureraient parmi les victimes de l’escroquerie[1], ce que semble confirmer la participation de l’appareil sécuritaire du Hezbollah à l’arrestation de Mr. Ezzeddine.

Surnommé le “Madoff libanais”, Salah Ezzeddine avait la réputation d’être un homme pieux (il possédait une agence de voyages organisant des pèlerinages et une maison d’édition pour enfants relayant la propagande du Hezbollah, Dar al-Hadi), investi dans de nombreuses activités caritatives et entretenant des relations amicales avec de hauts responsables du Hezbollah. À l’instar de Bernard Madoff, il a usé de cette image pour gagner la confiance des nombreux Chiites du Liban, d’Afrique et du Golfe qui lui ont confié leur épargne.

La bulle Ezzeddine : origines, mécanismes et dénouement

La technique employée pour attirer fonds et investisseurs, appelée chaîne de Ponzi, fut mise au point par Luigi Zarossi dans les années 20 aux États-Unis, puis reprise par Charles Ponzi. En promettant une rémunération exceptionnelle (en général deux fois le taux moyen du marché), un investisseur attire nombre d’épargnants. Il honore généralement ses promesses de rémunération au moyen de fonds empruntés auprès d’autres épargnants. La nouvelle se répand vite qu’il existe un placement lucratif et relativement sûr, ce qui entraîne un afflux de fonds toujours plus important qui permettent de rémunérer les épargnants des vagues précédentes. Le système s’effondre lorsque l’escroc part avec la caisse ou que trop d’épargnants retirent leurs avoirs en même temps.

Salah Ezzeddine aurait recouru à ce montage afin de se renflouer suite à de lourdes pertes. En raison de l’effondrement du cours des matières premières, ses activités dans la métallurgie et les hydrocarbures (principalement en Europe de l’Est) ont enregistré d’importants déficits dès le début de la crise économique. Sa réputation d’homme intègre indiquerait, selon certains de ses soutiens, qu’il a imaginé ce système de cavalerie financière sans volonté délibérée d’escroquer ses épargnants. Il serait donc plus un Nick Leeson[2] qu’un Bernard Madoff. D’autres encore y voient la main du Mossad en raison de ses relations privilégiées avec le Hezbollah.

Quel impact pour le Hezbollah ?

Le Parti de Dieu n’est pas directement impliqué dans ce scandale financier en dépit des liens amicaux entre Salah Ezzedine et certains de ses membres. Plusieurs fondations proches du Hezbollah ont cependant investi chez Ezzeddine, de même que nombre de leurs obligés, rassurés par la bonne réputation et les amitiés du financier. Tandis que les fondations devront trouver un moyen de se renflouer, certains petits porteurs pourraient tenir le Parti de Dieu pour en partie responsable de leur mésaventure.

Il est peu probable que le Hezbollah soit très affecté par les retombées financières de cette affaire : en dehors de la perte d’un donateur et de certains actifs (dont le plus significatif reste Dar al-Hadi, dont l’avenir reste incertain), son réseau d’aide sociale et ses capacités militaires sont toujours opérationnels. Il ne peut cependant compter sur une aide extérieure exceptionnelle. L’Iran est en proie à l’agitation politique, et l’envoi d’une aide exceptionnelle alors que le pays est confronté à des difficultés économiques persistantes pourrait accroître le mécontentement. La Syrie est, quant à elle, incapable d’apporter la moindre aide financière. Il pourrait retourner la situation en sa faveur en lançant une opération comparable à la Bataille de la Reconstruction[3] et en indemnisant les victimes les plus touchées ou démunies au Liban. Mais en a-t-il les moyens financiers ?

L’impact de ce scandale est avant tout d’ordre politique. Ezzeddine entretenait des liens avec les dirigeants du Parti de Dieu, pas avec l’establishment clérical iranien. On peut donc supposer qu’en tant que millionnaire, il faisait partie des sources de financement “autonomes” (indépendantes de l’Iran) du Hezbollah. L’arrêt des versements consécutif à sa faillite pourrait renforcer la dépendance du Parti vis-à-vis de Téhéran. De plus, le ressentiment des petits porteurs floués et l’image désastreuse de hauts responsables[4] impliqués dans un tel scandale pourraient rebuter certains Chiites jusqu’alors séduits par l’image de piété et de défenseur des petites gens que s’était forgée le Parti de Dieu. Bien que l’ampleur potentielle de telles déconvenues soit relativement modeste, elle viendrait couronner une série de revers pour le Hezbollah : son incapacité à rallier en masse les Chrétiens comme en témoigne le score de la coalition d’opposition aux dernières élections nationales, son alignement sur la position extrêmement dure et clivante de Khamenei vis-à-vis des manifestants de l’opposition iranienne, et enfin les rumeurs de la présence d’armes chimiques dans l’une de ses caches d’armes détruites le 14 juillet dernier par une explosion accidentelle.

[1] Le nom de Hajj Hussein, l’un des députés du Parti de Dieu, a été cité à plusieurs reprises.
[2] Le trader responsable de la faillite de la banque Barings en 1995.
[3] Il s’agit de la vaste campagne d’indemnisation des victimes du conflit de 2006 et de reconstruction des bâtiments détruits par les bombardements israéliens
[4] Au mieux, ils seraient taxés d’imprévoyance, au pire d’immoralité et de violation de la charia qui prohibe l’usure et le prêt à intérêt.

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