samedi 30 juin 2012

Et la betteravisation, ils en pensent quoi en Guyane ?

Sympathique concept que celui de « betteravisation » pour décrire les futurs déploiements de l’armée de Terre en RCA (Région Champagne-Ardenne) et non plus en RCI, Afghanistan ou ailleurs. Derrière l’aspect « hameçon marketing » visant aussi à pousser plus loin la lecture d’un billet du blog Secret Défense, il cache, si ce n’est pas un tournant majeur, au moins une inflexion certaine dans le débat stratégique terrestre français (si ce dernier existe).

Ce bon mot renvoit au fait que l’horizon stratégique de certaines unités pourrait se limiter aux murs de leurs garnisons et aux camps de manœuvre après une décennie (20 ans si nous prenons les Balkans) marquée par un niveau élevé de déploiement en opérations extérieures (point haut sans doute atteint avec l’opération Harmattan l’année dernière, et aujourd’hui redescendu à 7.000 hommes, toutes armées confondues). A y penser, est-ce d’ailleurs la fin d’un cycle de fort déploiement ou alors une simple recomposition du visage de ces déploiements (plus courts, indirects, etc.) ? En passant, pas si sûr que la betteravisation soit vraiment pour demain… 

D’autre part, il rappelle l’émergence d’une certitude (à mon avis, surtout construite et pas assez différenciante en l’état) faisant du territoire national la 1ère zone de déploiement potentiel à venir de l’armée de Terre. Cette vision est bâtie sur des modèles généralement venus d’ailleurs (alors même qu’il s’agirait de ne pas importer des cas non-transposables ou de rêver à des exploits inatteignables lorsque nous jouons en 3ème division...). Il y avait auparavant l’ouragan Katrina. Aujourd’hui, Fukushima et l’engagement de 100.000 personnels des Forces d’autodéfense japonaises apparaissent comme des divines surprises. Ébahis, il nous faut être capable de faire pareil (et le faire savoir). 

Néanmoins, il ne s’agirait pas de se tromper de positionnement dans l’offre de services à proposer : une « super Sécurité civile bis » louant ses bras aux administrations les plus nécessiteuses vs une force expéditionnaire qui attendrait un hypothétique déploiement - dont chacun se priverait bien, mais qu’il est parfois nécessaire d’ordonner - comme elle a attendu le déferlement des hordes de soviétiques montant leurs engins de 850 chevaux. 

Comme indiqué dans un précédent article « Mais que fait l’armée de Terre ? A quoi elle sert ? », l’armée de Terre se cherche. La nécessité de disposer d’une force terrestre se doit aujourd’hui d’être construite. Elle ne se décrète pas (ou plus uniquement). Surtout lorsqu’il s’agit de justifier des budgets face aux voraces « costkillers ». Le récent document (œuvre de l’état-major de l’armée de terre) « Pour comprendre l’armée de Terre » (disponible sur Internet, quoique non annoncé en grande pompe) répond à cette nécessité de positionnement politique, budgétaire et de communication avant d’être opérationnel, à mon sens. 


En résumé, le contrôle du milieu terrestre est primordial car « c’est là où vit l’homme, que se déclenche la guerre et se gagne la paix ». Le territoire national décrit comme un « théâtre » est au 1er rang de ces réflexions, devant la projection de puissance des « forces du dehors » (cf. le comte de Guibert) et la participation de l’armée de Terre comme outil parmi d’autres de la politique étrangère française. Un retour de balancier trop brutal ? Qu’en sera-t-il lorsqu’il s’agira d’expliquer certaines opérations menées mais non présentées (peut-être par omission) ? 

La raison de fond de cette vision est à la fois une réponse à un réel besoin (pour supplanter des défaillances, habitude, hélas, intégrée) qu’un « pari » et une nécessité (position pleine de franchise expliquée ici) : cet intérêt pour le territoire national permettra-t-il d’obtenir une marge de manœuvre (auprès des opinions et de certains politiques) pour que les missions extérieures indispensables (mais négativement perçues) puissent être encore acceptées ? 

La vision du territoire national semble néanmoins prise dans une acceptation limitée, comme un lieu où pourrait se déclencher (de manière successive ou combinatoire) des catastrophes naturelles ou industrielles et comme un espace où un terrorisme protéiforme pourrait frapper. Il y aurait pourtant là aussi des marges de manœuvre d’acceptabilité à saisir pour faire comprendre certaines réalités.


Peu est dit sur un territoire national (en partie hors Métropole) comme bases de projection. Espérons, par exemple, de justes recommandations suite au récent déplacement parlementaire en Océanie, périphérie de cette Asie où se joue les affaires du monde… Peu est fait pour expliquer que, non, les plans les plus machiavéliques ne sont pas élaborés pour une utilisation des forces armées de 3è catégorie (Air, Terre, Mer) dans le cadre "normal" du maintien de l’ordre. Que si ils sont élaborés, cela est dans un juste respect de l’Instruction ministérielle 500, de l’ordonnance de 1959, etc. Que le fait que des planificateurs planifient n’est pas scoop (cf. ici). Oui, elles interviennent déjà dans certains cadres précis qui peuvent servir vraiment d’exemples positifs dans des argumentaires et des réflexions. 

Le récent drame survenu en Guyane (une cérémonie d’hommage aura d’ailleurs lieu mardi aux Invalides, mais apparemment sans hommage citoyen…) vient tristement rappeler que l’Archipel France est vraiment plus complexe qu’un lieu d’épanouissement d’une Sécurité civile bis. Dans ce département, la menace terroriste (perçue et réelle) est basse (cf. ce qui en est dit, appliqué au centre spatial de Kourou dans ce rapport d’information à lire), les catastrophes industrielles quasi inexistantes, et les catastrophes naturelles rares.


Or, « la Guyane, c’est la France ! » pourrait à juste titre proclamer certains dans une envolée fleurant bon des grandes déclarations du passé. En effet, ce ne sont pas des combats simulées dans les champs de betteraves contre la FORAD (Force Adverse) en treillis noir, bleu et gris d’un Centac champennois que connaissent les 680 hommes du 3ème REI plutôt à l’Ouest et les 670 du 9ème RIMa à l’Est. Sans oublier, au moins le personnel de la BA 367 de l’armée de l’Air et celui de 2 escadrons de Gendarmerie nationale. Il suffit d’entendre les propos d’un chef de corps du 9ème RIMa pour prendre la mesure de la question : « On a affaire à ce que j’appellerais un adversaire »… Simple militarisation du maintien de l'ordre ? La claque du réel ? Du domaine d'une "Sécurité civile bis " ?

Or, pour rappel, l’utilisation des moyens militaires sur le territoire national (qui n’est pas que la Métropole, vous l’avez compris) se fait en appui des forces de l’ordre si les moyens ordinaires sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles. Choisissez votre qualificatif pour décrire selon vous la situation guyanaise, mais tous relèvent bien que cette situation est anormale (au sens premier du terme, comme « hors de la normalité »). L’autorité civile faisant appel à des moyens militaires doit donc bien, en toute franchise, prendre conscience de cet état de fait. Quelque chose cloche… 

Si des groupes de garimpeiros ne remettent pas en cause en Guyane la souveraineté de la France (en étant des prédateurs économiques mais non des entités politiques), ils sont néanmoins de réelles causes de troubles à l’ordre public et ne manquent ni de moyens (montée aux extrêmes clausewitzienne qui se traduit par l’utilisation de calibres significatifs) ni de volonté pour s’attaquer aux forces de l’ordre. Et cela est une vérité, que notre tendance à l’hexagonalité nous fait sous-estimer.

Tout comme, les auteurs de récriminations (un peu hypocrites) prêts à accepter en Guyane ce qu’ils n’accepteraient pas en Métropole… Ce n’est pas si simple d’établir des « situations d’exception » (autres que mentales). Un peu de courage dans vos réclamations ? 


Enfin, il est possible de gloser à l’infini sur le fait que la légitime défense et le devoir d’appréhender des individus en flagrant délit sont ou non universels, applicables ou non en jungle guyanaise (milieu humide nécessitant de protéger les munitions, de combat rapproché, etc. mais territoire français). En particulier, les situations rencontrées rendent la réalité un peu plus complexe que celle décrite par un titre très journalistique... Les règles d’engagement sont-elles par contre vraiment, comme elles devraient l’être, l’expression d’une volonté politique ? Ou alors d’une non volonté politique bien aidée par ces paramètres guyanais les rendant ubuesques ? Si c’est le cas, l’acceptation du risque ne doit pas reposer uniquement sur certains (en particulier, les chefs de détachement assurant la partie tactique et déterminant les postures à adopter). Un certain courage voudrait qu’une vraie adéquation soit faite entre les fins annoncées et les moyens accordés…

1 commentaire:

Michel Goya a dit…

Fukushima mon amour !

Pas super excitant le concept de betteravisation. Selon les principes de l'école sociologique dite de la traduction, pour être accepté un concept doit être compréhensible et séduisant pour toutes les parties en jeu. On comprend bien la stratégie de l'armée de terre mais il faut maintenant trouver les arguments de vente pour recruter et rengager avec ça. Dans une armée professionnelle les concepts et les doctrines doivent plaire aussi aux soldats.

Petit point de détail, ce n'est pas tout de marteler que les Japonais ont déployé 100 000 hommes mais pratiquaient-ils la PEGP ? Autrement-dit, s'apprête-t-on à ramener les véhicules dans les régiments pour pouvoir intervenir comme les Japonais ?