mardi 24 juillet 2012

Entretien - Quel rôle pour la France demain en Afghanistan ?

Dans un entretien avec Madame Françoise Hostalier, ancien ministre, député du Nord, membre de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées, je reviens sur les points principaux du Rapport au Président de la République sur "La politique d’aide de développement en Afghanistan et la contribution des structures économiques françaises", publié en janvier dernier. Entretien publié le 12 juillet 2012 sur l'Alliance Géostratégique.

Madame le Ministre, dans le cadre de votre mission sur l’aide au développement en Afghanistan et la contribution des structures économiques françaises, vous dressez un constat sévère. Si peu aurait donc été fait dans le domaine social et économique ?

Effectivement, très peu a été fait pour le développement social et économique en 10 ans de présence internationale en Afghanistan. Cela peut paraître paradoxal au regard des milliards de dollars qui ont été versés pour ce pays, mais c’est la réalité du terrain.


Par exemple, dans les domaines de l’éducation et de la santé, beaucoup d’écoles ont été construites soit par des ONG, soit par le gouvernement ou les structures locales ; mais qui s’occupe de la formation des maîtres et de la qualité de l’enseignement ? Les enseignants ne sont souvent pas formés et il y a très peu d’équipement dans les écoles : pas de mobilier, pas de matériel pédagogique et surtout aucun contrôle du contenu de l’enseignement.

Dans quelques lycées à Kaboul ou Mazar, l’enseignement est exemplaire mais dans les villages, c’est catastrophique. La scolarisation des filles est effective dans les textes mais rarement sur le terrain sauf dans les villes. Car il faut avoir la possibilité de deux écoles : une pour les garçons et une pour les filles ainsi que des enseignantes, ce qui est difficile en milieu rural.

Il en est de même pour les structures médicales de proximité. Il y a bien des points de soins (genre dispensaires) mais sans matériel, sans médicaments et sans personnel… et les ONG ne se déploient plus dans les villages. Donc ces capacités sont virtuelles… Quant au développement économique, il est embryonnaire. Pour le moment, il dépend de la présence des forces militaires à la fois directement (approvisionnement, employés divers) ou parce que sécurisé par elles (transport routier ou aérien) ; mais il n’y a pas d’industrie de transformation, pas d’industrie de production et peu de formation professionnelle pour répondre aux besoins en matière de développement économique.

Malgré tout, il y a un fort potentiel de développement. La société afghane s’ouvre à la consommation, les Afghans sont courageux, très «débrouillards» et prêts à relever le défi de la modernité, mais à leur rythme !

Aujourd’hui et demain, comment faire pour que l’engagement, déjà ancien, de la France en Afghanistan ne soit pas vain et s’insère dans une stratégie de long terme ?

Ratifier le Traité et le respecter serait déjà un premier pas important. Celui-ci devrait arriver en débat au Parlement vers le 25 juillet; cela pourrait-être l’occasion d’un engagement fort de la France envers le peuple afghan.

Ensuite il faut arrêter de décourager les initiatives des entreprises françaises ou des ONG qui veulent s’intéresser à ce pays. Le potentiel d’amitié entre la France et l’Afghanistan nous donne la possibilité de liens privilégiés, il faut s’appuyer sur cet atout.

Vous citez différents secteurs où les Afghans eux-mêmes attendent un investissement de la France et une coopération. Quels sont-ils ? Et quels sont les blocages qui empêchent jusqu’à présent cette présence française ?

Que ce soit par des liens très anciens (cette année 2012 voit le 90ème anniversaire de la présence française en Afghanistan dans le domaine de l’archéologie !) ou par des capacités d’expertise reconnues internationalement (le domaine de l’eau, l’agriculture, la santé), la France est attendue à bras ouverts en Afghanistan. Par exemple dans le domaine agricole, nous sommes capables à la fois d’aider les Afghans à reconstruire les karèzes, ce qu’eux-mêmes parfois ne savaient plus faire, et en même temps nous leur apportons le fruit des dernières recherches en matière d’insémination de bovins, de soins vétérinaires pour les troupeaux, de recherche en semences comme le blé ou les pommes de terre, etc.


Un veau né par insémination artificielle. Les implants sont désormais produits localement
par des animaux nés en Afghanistan et non plus importés de France.
On peut donc dire que cette race est maintenant « afghane » !

En matière de santé, la France apporte à l’Afghanistan l’excellence au niveau de la chirurgie pédiatrique avec l’hôpital de Kaboul (l’IFME : Institut Médical Français pour l’Enfance), une coopération existe avec plusieurs centres hospitaliers français mais il faudrait vraiment renforcer cette coopération et mieux participer à la formation des médecins afghans, surtout des femmes médecins.


IFME – Un bébé opéré à cœur ouvert soigné par un médecin afghan.

Un autre secteur d’actualité est celui de l’exploitation des ressources minières. La France avait été le premier pays, dans les années 1960, à établir des plans précis des capacités minières de ce pays. Il s’avère aujourd’hui que les ressources en cuivre, fer, métaux rares et précieux sont très importantes. Les Afghans ne veulent pas se retrouver avec comme seuls interlocuteurs les Chinois ou les Indiens, comme c’est le cas aujourd’hui. Ils font confiance aux Français, à tous points de vue, et souhaitent fortement que la France s’intéresse à ce domaine. Nous pourrions donc être présents dans le domaine de l’exploitation minière autrement qu’à travers les fouilles archéologiques des immenses chantiers chinois !

Les blocages qui empêchent les entreprises françaises d’investir en Afghanistan sont nombreux mais le principal est la méconnaissance des réalités de ce pays et l’image déformée qu’en renvoient les médias et les institutions comme le MAE (Ministère des Affaires Étrangères) qui met l’Afghanistan en zone interdite à tout voyageur… Difficile alors d’inciter une entreprise française, par ailleurs souvent frileuse à quitter le territoire national, à s’intéresser au marché afghan.

Dans le domaine de la transition, et avec le désengagement des troupes dites « combattantes », vous préconisez un basculement dans le domaine civil. Faut-il donc mettre fin aux efforts pour la montée en puissance de l’armée afghane et de la gendarmerie, l’Ancop ?

En ce qui concerne la formation de l’armée et de la police, l’essentiel du travail est fait. L’ANA et la police sont même en sureffectifs, elles sont bien équipées et bien structurées. Il faut maintenant consolider et faire vivre ces structures. Par l’article 3 du Traité d’Amitié et de Coopération, la France s’engage sur le long terme à contribuer à la formation des cadres militaires (École de guerre) et surtout à former une gendarmerie nationale afghane (l’Afghan National Civil Order Police). Il n’est donc pas question de mettre fin à la coopération militaire, au contraire. Mais les militaires français n’ont plus vocation à être en première ligne ni en unité combattantes en tant que telles sur le terrain. (Même si un militaire est, de mon point de vue, toujours un combattant potentiel quelle que soit sa mission).

Je pense que la France devrait aussi s’intéresser de manière particulière à la place des femmes dans la police, la gendarmerie et l’armée. Dans une société si difficile pour les femmes au regard de leur accès aux droits, il faut qu’elles trouvent dans les structures de sécurité un accueil dédié ; ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui. De plus, actuellement, les rares femmes policier ou militaire qui ont été formées sont très souvent marginalisées au sein des structures et ne jouent aucun rôle opérationnel.

Dans le cadre de la volonté de désengager rapidement les troupes militaires combattantes il faudrait dans le même temps mettre en place des actions de transition en matière de consolidation des réalisations notamment au niveau des actions civilo-militaires (je pense à la Kapisa). Dans ce cadre, d’anciens militaires pourraient être recrutés et des actions civiles, à travers des contrats passés avec des ONG, pourraient être lancées pour continuer celles déjà menées et en développer de nouvelles. Cela se ferait dans un cadre uniquement civil cette fois mais avec une excellente connaissance du terrain de la part des opérateurs.

En conclusion, quelle serait l’idée forte du rôle particulier que la France doit avoir en Afghanistan ?

Je pense qu’il faut parler des femmes et que la France a un rôle très particulier à jouer dans ce domaine.

La situation des femmes ne progresse pas et même, dans certaines régions, elle semble en régression en comparaison des années 2004-2005. Que ce soit en matière de santé, d’éducation, d’accès à des postes de travail, d’accès aux droits… la situation est très problématique.

La fin de la transition ne verra certainement pas le retour au pouvoir des Taliban mais risque (comme dans les pays du « Printemps arabe ») de voir une légitimation politique du statut inférieur de la femme à travers la constitutionalité de la Charia. Il ne faut pas brusquer les choses et se poser en donneurs de leçons ; mais il faut imposer des fondamentaux et permettre aux femmes afghanes qui le souhaitent, et le peuvent, d’être des fers de lance pour leurs compatriotes.


Participation à un groupe de parole de femmes dans un village de la province de Parwan.
Le thème était « Comment refuser la violence ». Le matin il y avait eu un groupe équivalent
avec les enfants sur le thème : « Quels sont les droits du voisin ».

Mais il faut constater que les structures internationales ne font rien pour permettre des actions sur le long terme. Les actions financées sont souvent du saupoudrage médiatique alors qu’il faudrait des plans pluriannuels (sur des décennies même) avec une programmation, des objectifs clairs et des évaluations. Même dans l’agriculture par exemple, où plus de 65% de la main d’œuvre est féminine, l’éducation des femmes apporterait beaucoup de progrès.

Ce sont des mesures que j’ai préconisées dans mon rapport. À suivre ?

1 commentaire:

BT a dit…

Tout cela est bien gentil, mais que fait-on du fameux principe de précaution si cher à notre pays? Il y a tout de même un sérieux paradoxe à voir l'état français retirer ses soldats car trop exposés (pourtant ils sont entraînés et équipés) et conseiller l'envoi de civils pour la coopération. Ces derniers ne seront pas moins menacés par les talibans. Qu'on se souvienne que les familles des victimes de l'attentat de Karachi attaquent la DCN pour n'avoir pas su protéger ses employés.