lundi 29 avril 2013

Le #LBDSN nouveau : des bonnes idées, des paris et la réalité

Attendu par certains, redouté par d'autres, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est là. De bonnes idées et de sacrés paris. 
 
Voici quelques points qui ne parleront pas, je laisse cela à d'autres, du montant du budget alloué (le pire, qui n'était pas seulement un repoussoir quoiqu'en dise certains, est, pour le moment, évité; est-ce réjouissant pour autant ?), ni des réductions du contrat opérationnel (alors même que des paris pèsent sur l'atteinte réelle de certains contrats...), ni des, hélas, nouvelles réductions d'effectifs (une unité fermée ne se ré-ouvre pas, dixit le CEMAT).

Une sincère pensée aux personnels de la Défense encore pris dans "une réforme perpétuelle" qui n'en finit pas (34.000 postes lors de la prochaine LPM dont au moins 20.000 nouveaux, c'est 54 fois les 629 licenciements secs de Florange. Et sans broncher...). Sur le coup (en termes de chiffres brutes), l'opposition ne pouvant pas dire grand chose... Soupirs.


Qu'est ce qu'est le LBDSN 2013 ? D’un nouvel (le dernier ?) essai pour (re)lancer l'Europe de la Défense à quelques mois du Conseil européen de décembre 2013 ? D’une priorité mise (une nouvelle fois) sur le renseignement ? De l’Outre-mer mais sans les moyens (notamment navals) nécessaires ? De la cyberdéfense, déjà pour une bonne part abordée en 2008, mais avec une nouvelle dimension ? Le premier Livre blanc après notre retour dans un certain nombre de structures de l’OTAN ? Un peu tout à la fois, parfois non sans brio, en donnant des impulsions à traduire dans les faits.
 
Et si la forme était la première surprise de ce Livre Blanc ? Des orientations plutôt qu’un outil de comptable ? Au-delà de la taille (gage qu’il sera peut-être plus lu), le Livre blanc se révèle plus être un document donnant des orientations qu’un outil de comptable, que fournira la LPM à venir. Presque moins précis que la Strategic Defense and Security Review britannique et plus que la Quadriennal Defense Review américaine. Malgré les chiffres gravés dans le marbre du Livre blanc (des cibles à terme et non des points de passage), la bataille (interministérielle et interarmées) continue. La vigilance des élus aussi…
 
La crise budgétaire, voilà l’ennemi. C’est à la lueur de cet ennemi exigeant que le LBDSN doit être grandement lu et ses réponses analysées. D’où, par exemple, la définition d’un modèle d’armées 2025 (potentiellement fédérateur) fondé sur un principe, riche et encore à décliner,  comme la différenciation (gage d’efficacité : entraînement et équipements en fonction des missions, d’économie : matériels les plus chers, uniquement là où ils sont indispensables et de spécialisation relative, des capacités étant - encore plus - mutualisées). Les 3 autres étant : l'autonomie stratégique (moins de coalition, Serval s'est décidé et lancé seule...), la cohérence stratégique (répondre à l'ensemble des possibles) et la mutualisation (des missions ou avec les partenaires).

L'exercice difficile de la prioritisation et de la définition des ambitions. Si cela n'est pas forcément écrit comme tel, le Livre blanc indique bien que la France ne peut pas tout (dialectique permanente entre l'action en autonome et le jeu toujours incertain d'actionnaire au sein de coalitions) et partout (schizophrénie identitaire de la France, puissance à vocation mondiale, mais sans moyens, par exemple, pour jouer dans le grand Jeu asiatique, ou puissance régionale disposant d'un archipel mondial). Cela ne va pas forcément mieux en le disant, mais c'est un fait, la France concentre son action (Europe et Nord-Atlantique, voisinage de l'Europe, etc.).
 
Expliciter aussi clairement la stratégie générale et la stratégie militaire, un grand pas en avant. L'articulation entre les fonctions stratégiques (inchangées, à part dans leur ordre), la description des missions (protection de notre territoire et de la population, dissuasion nucléaire et intervention extérieure), des principes que composent le modèle d'armées (et on pourrait ajouter la catégorisation des menaces) resteront sans doute les apports majeurs de ce Livre blanc en définissant la stratégie générale et militaire. Ce document est bien alors le chapeau stratégique et doctrinal ("capstone") pour le France, qui oriente ensuite la mise en œuvre en étant décliné.


Au rayon des nouveautés : les menaces (et non les conflits) hybrides, par exemple (première apparition en France en dehors de documents prospectifs publiés par le CICDE). Chacun, selon ses intérêts et ses compétences, ne manquera pas de mener une exégèse digne d’un Père de l’Eglise pour comparer les versions, y voir des tendances (souvent absentes du cerveau du rédacteur lorsqu’il le rédige…), etc. Le débat stratégique a de la matière pour fourmiller. Que la praxéologie (théorie de la pratique) l’emporte sur la sculpture de fumée.

La stratégie en silo à la française… Pas encore de stratégie intégrale comme décrite par le général Poirier (économique, culturelle, militaire) cette fois-ci. Ce LBDSN reste centré sur l’outil de Défense, intéressant « le microcosme Défense », combinant peu les autres domaines de l’action de l’Etat. Par exemple, en direction de la jeunesse (ascenseur social, Service militaire adapté, etc.), l’atteinte de l’équilibre de notre balance commerciale, hors énergies, d’ici 2017, la défense de la francophonie (à l’ONU, en Afrique, etc.), etc.

Ce document participe en lui-même à la stratégie déclaratoire de la France. L’exercice est assez convenu et peu élastique, les propositions ayant été pourtant les bienvenues et écoutées par un certain nombre de responsables (via Intradef et ailleurs) : formaliser ses intérêts, expliciter ses lignes rouges, n’oublier aucun des amis (en dehors des grands systèmes internationaux : Brésil, Inde, Australie, etc.) - si possible dans l’ordre et sans consacrer plus de lignes à l’un par rapport à l’autre -, parler fermement, mais pas trop, de ses ennemis, etc.


Le passage obligé de la description de l’état du monde aujourd’hui (et si possible demain) est rarement original, exercice obligé car il permet d'expliciter ce qui contraint nos objectifs et cadre nos opportunités qu'il nous faut saisir, nécessitant d’être aussi exhaustif que possible. De nouvelles catégories « menaces de la force », « risques de la faiblesse » et «les risques et les menaces amplifiés par la mondialisation » apparaissent. Pas très opératoires, mais très diplomatiques (assez normal quand on connaît leur auteur, preuve aussi que tout n'a pas été réécrit par le ministère...).
 
Le LB de la Défense et de la Sécurité Nationale (vue par la Défense). Dans la continuité d'une stratégie en silo, la sécurité nationale (notamment chapitre 7, Partie C), malgré les gains par rapport à 2008, reste encore dans « une vision défense », peu prise en compte par d’autres instances hors MinDef, peut-être parce qu’il ne leur est pas permis de s’en saisir. La place du ministère de l'Intérieur est ainsi discrète (même si il y a eu des efforts entre les différentes versions, avec dans la première, une absence quasi complète des services de l'Intérieur, relevée non sans fracas par certains…).
 

Un Livre blanc, c’est comme la déclaration de revenus d’un ministre. Ce qu’il y a d’inscrit est aussi intéressant que c’est ce qu’il n’y ait pas. Il faudra donc voir l’ampleur des Réductions Temporaires de Capacités (une expression d'avenir...) : du nombre d’AMX-10 RC disponibles avant l’arrivée de son successeur à l’état des appareils de transport qui se dégradent plus vite que n’arrive l’A400M, en passant par le nombre de coques pour l’Action de l’Etat en Mer dans les Outre-Mer, le contrat « chasse » en attendant la rénovation des Mirage 2000(-D ou -5), etc.

Le courage, hélas souvent mal reconnu, de tenir un discours de vérité et de sortir du déni de réalité ? Qui croyait encore au contrat 30.000 hommes en opération majeure ? Ce n’est sans doute pas réjouissant de s’en rendre compte, mais c’est un fait qui nécessitait d’être indiqué. Ces chiffres en baisse, éléments faciles pour des comparaisons avec les autres documents, devaient apparaître. La marche d’escalier, qu’il aurait été nécessaire, était hors d’atteinte. Cela éclaire au passage l’effet d’un décrochage (effet de seuil), qui, une fois débuté, ne se rattrape quasiment jamais.

Un contrat opérationnel plus opérationnel… Élément structurant pour la planification (opérationnelle, industrielle, RH, etc.), le contrat comme présenté gagne, à mon sens, en pertinence avec une plus grande précision : gestion de crise, opération majeure, dispositif d’alerte (Guépard plus ou FIRI maintenant, qui, avec les forces pré positionnées, auront été les 2 points que l'opération Serval aura mis plus particulièrement en lumière). Le chiffre de 7.000 hommes étant, en partie, basé sur la fourchette basse (voir très basse) des effectifs « armée de Terre » déployés en opérations extérieures (hors opérations majeures : début du Kosovo, Libye, Golfe) depuis les années 90.
 
Des paris autres que capacitaires. En plus de nécessiter un niveau de ressources (avec le report de charges, la dette interne « Défense »), le modèle 2025 doit prendre en compte un certain nombre de paris : la défense anti-lettres de cadrage de Bercy, la réattribution et le montant des ressources exceptionnelles (chiffre qui enfle...), des renégociations industrielles (avec ou sans pénalités) dans le cadencement des livraisons et des lancements ou encore le vieillissement d’un certain nombre de matériels poussé un peu plus. Sans compter l'équilibre, que la LPM éclairera, entre les différents agrégats (et qui pourraient souffrir: Infrastructures, Petits équipements, Activités opérationnelles...).
 

Alors, qui a gagné ? Personne (sauf le renseignement et les forces spéciales, cela restant à confirmer). A première vue, l'armée de Terre conserve ses effectifs, "l'homme instrument premier du combat" (le pire était attendu), mais moins ses matériels (une "PEGP sublimée" devra être mise en œuvre et la modernisation de certains matériels devra être encore reculée...). Pour l'armée de l'Air, la rénovation de certains modèles est plus qu'attendue pour tenir les contrats, de même que l'arrivée de l'A400M. La Marine souffle (effet maritimisation) mais la dissuasion et la technologisation ne sont pas sans conséquence sur le nombre de coques pour des missions autres (les FREMM ne devraient pas être obligés de faire de la Police des Pêches en Outre-Mer)... Et peu d'annonces sont faites sur la restructuration du ministère et des (nombreux) services...

Rendez-vous dans 5 ans ? C'est d'ailleurs prévu me direz-vous... La crainte avant de débuter l'exercice était de décider de choix homothétiques (le terme « expert » pour désigner des réductions proportionnelles : un peu et partout). Or, c’est ce qui a été fait en grande partie. A se demander, si, d’une certaine façon, l’exercice a été assez contraint ? (Aie... Ne me tapez pas...). La bosse (extrêmement contraignante, un peu comme l'exercice du Livre blanc d'ailleurs...) ne sera pas arasée en 5/6 ans. Les décisions permettront néanmoins de tenir, à peu prêt, encore jusque-là.

Les grands choix à faire ne seront-ils d’une certaine façon les mêmes ? Nous reparlerons de la dissuasion nucléaire (et son cortège de moyens dédiés…), de certaines trajectoires technologiques (le coût de la performance des matériels n’étant pas remise en cause, mais leur non-don d’ubiquité, oui…), de nos alliances (sans « retour sur investissement » à la hauteur de nos efforts), d'une orientation pour l'externalisation ou non de certaines capacités, d'un modèle nouveau qui dépasse des structures traditionnelles d'organisation (régiments et non GTIA, par exemple), etc.

Enfin, l'importance de la Défense n’est jamais autant ressentie que lorsqu'elle n’existe plus. Si la prochaine fois, les acteurs de la communauté de Défense pouvaient ne pas se mobiliser seulement quelques jours avant les décisions, cela donnerait une image un peu moins utilitariste et égoïste (tout en valorisant leur capacité d’anticipation). Un tel sursaut n'est pas nécessaire uniquement tous les 5 ans, sinon la phrase de de Gaulle, inscrite dans une salle du SGDSN qui a vu tant de batailles interministérielles, retrouvera encore une fois une certaine actualité : "La Défense ? C’est la première raison d’être de l’Etat. Il ne peut y manquer sans se détruire lui-même !"

A noter : cette analyse est peut-être le dernier symptôme en date de mon syndrome de Stockholm que j’ai potentiellement contracté en passant récemment plusieurs mois dans une structure proche de ce dossier « Livre blanc ». A vous d'en juger... Pour plus d'informations, n'hésitez pas à me contacter via mail ou par les commentaires.

A noter 2 : "Il convient de favoriser l’expression des militaires dans leur contribution au débat public ou interne. Cette faculté doit être offerte à tous les militaires, en particulier à ceux qui sont appelés à servir dans les centres de recherche ou dans les organismes de formation. L’exercice de cette liberté d’expression s’inscrira dans le respect du devoir de réserve et des obligations attachés à leur statut" (page 118).

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