Le lieutenant-colonel Paul Pierre Valli, aujourd’hui à la retraite, a été un des derniers militaires français à avoir été le conseiller militaire auprès de la garde nationale du Mali (GNM) de 2005 à 2007. Il a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions, alors qu’au travers l’opération Barkhane, les militaires français réinvestissent, pour plusieurs années, les étendues désertiques, mais pas vides de populations, du Sahara.
Mon colonel, qu’elle était votre mission ?
Mon colonel, qu’elle était votre mission ?
J'ai été affecté via la DCMD (ndlr : Direction de la coopération militaire et de défense, organisme rattaché au ministère des affaires étrangères, aujourd’hui devenu Direction de la coopération de sécurité et de défense) à l'été 2005 sur le poste "mythique" de conseiller militaire auprès du colonel commandant la GNM au Mali. J’y suis resté deux ans.
Ma mission était d'apporter à cette unité prestigieuse un soutien financier et donc diplomatique directement par le biais de projets au profit de l'état-major et des unités de la GNM. Le souhait de la DCMD était en fait de pérenniser et de soutenir les 6 unités méharistes installées aux frontières du Nord du pays
Comment était organisée à l’époque la Grade nationale du Mali ?
La GNM, anciennement Garde Nomade du Mali, était composée d'un état-major dirigé par un colonel, d'un groupement d'instruction, d'un groupement de maintien de l'ordre (GMO) et de 6 unités méharistes (UM) commandées par un capitaine et fortes d'environ une centaine d'hommes chacune.
Ces unités ont été lors de mon séjour renforcées par trois états-majors tactiques (EMT), l'un à Tombouctou, l'un à Gao et le dernier à Kidal. Chaque EMT était composé d'un chef de bataillon, d'un petit état-major réduit (5 à 10 hommes) et de 2 à 3 pickups Toyota.
Chacun de ses états-majors commandait 2 unités méharistes. Celui de Tombouctou commandait l’UM de Léré non loin de la frontière de la Mauritanie et l’UM d’In Akounder au Nord de Tombouctou, celui de Kidal commandait l’UM d’ In Abag (Timétrine) et d’Abeibara dans le Nord du pays, non loin de la frontière avec l’Algérie, et l’EMT de Gao supervisait l’unité de Gossi à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso ainsi que l’UM de Ménaka à la frontière avec le Niger.
Il y avait donc encore des unités à dos de chameaux ?
En effet, chaque unité méhariste disposait de 2 à 3 postes avancés, implantés généralement à quelques kilomètres des frontières et relevés tous les mois. Chacune possédait également son armement (AK-47, RPGs) et les transmissions organiques, 2 à 3 pickups et quelques 80 chameaux en moyenne, y compris la sellerie et les équipements correspondants.
Ces unités avaient été installées au départ dans des zones désertiques, retirées de toute population et à proximité de points d'eau et de pâturages. Au fur et à mesure de leur existence, des villages entiers se concentrèrent autour de ces unités qui symbolisaient la sécurité et une volonté de plus en plus grande pour les peuples touarègues ou arabes de se sédentariser.
Des unités similaires existaient également au Niger ou au Tchad avec la garde nationale nomade du Tchad (GNNT), où le travail de renseignement de telles unités demeure même aujourd'hui important car "au contact" et en adéquation avec les tribus nomades.
En quoi consistait votre mission au quotidien ?
L'armée malienne, voyant avec grand plaisir le soutien financier de la France via son coopérant au profit de ses unités, ne consacrait pratiquement aucun moyen à ces unités, en-dehors des soldes, et encore lorsqu'elles étaient versées...
Pour ma part, l'ambassade de France m'octroyait un budget entre 200 et 300.000€ annuels pour financer des actions comme l'achat de transmissions tactiques, de pièces de rechange pour les pickups, de chameaux, de selleries diverses, d'entretien du casernement (en fait de véritables constructions de dortoirs...), de forage de puits, de panneaux solaires, etc. Tout ce qui permettait à ces unités d'être opérationnelles un minimum.
J'effectuais donc, à partir de Bamako, en moyenne tous les 45 jours un périple de 1.000 à 2.000km pour visiter au moins 1 EMT et 2 unités, et cela sur une période de 2 à 3 semaines. Je disposais pour cela d'un pickup Toyota, d'une garde rapprochée d'une dizaine de "gardes" majoritairement d’origine touarègue ou arabe, d'une autonomie complète (armement, GPS, téléphone satellitaire, gasoil, eau, tentes, etc.). J’organisais mes périples en concertation avec le colonel de la GNM et l'attaché de défense de l'ambassade de France.
Mes missions dans le Nord du pays étaient rythmées par énormément de trajets en véhicules, des stationnements de 2 a 5 jours auprès des UM, des visites d'autorités (maires, chefs de tribus, associations humanitaires, etc.), du renseignement avec d'autres unités de l'armée malienne et gendarmerie sur les rébellions qui sévissaient dans la zone, les divers trafics et la présence d’AQMI dans la zone.
Lors de mes stationnements dans les UM, hormis les arrivées triomphales avec les escortes de chameaux à quelques kilomètres de l'arrivée et les fêtes organisées en mon honneur, je tentais de cerner les besoins vitaux de ces unités pour répartir l'aide de la France, apporter également aux jeunes officiers qui commandaient ces unités, souvent livrés à eux-mêmes, des conseils concernant la gestion de leurs unités (personnels, matériels, périmètres de défense...), le planning et l'organisation des "sorties" ou patrouilles, les exercices tactiques à mener, etc.
Il est un peu difficile de relater exactement ce que j'ai pu ressentir, tant cette mission m'a passionné, changé ma vision de la vie, je crois. Plus facile à vivre qu'à raconter en somme...
Savez-vous ce que sont devenues ses unités ?
Ces unités méharistes ont toutes "implosées" lors des évènements de 2012, et celles de la région de Kidal avaient quant à elles été déjà démantelées en 2008 à cause de la reprise de la rébellion touarègue dans le Nord. Plusieurs raisons à cela.
Elles étaient majoritairement composées de touarègues et d'arabes qui ont, encore une fois comme à chaque reprise de la rébellion, désertés pour rejoindre leur clan, mettre en sécurité leur famille et leurs biens et surtout ne pas avoir à combattre leurs "frères" d'en face. A ce propos, chez le peuple touarègue, verser le sang au sein de sa communauté n'est pas sans conséquence tant les liens sont importants. La vengeance est vécue sur plusieurs générations et les mises à l'écart et les exils sont pratiqués en cas de faute grave contre le clan.
De plus, confrontée à la rébellion touarègue et à la présence d'AQMI, les forces armées du Mali ont décidé dès 2008 de concentrer leurs forces et donc de "rapatrier" les unités les plus avancées vers le Sud.
Enfin, l'ambassade de France a interdit au coopérant de la GNM, à juste titre au vu de la situation, de reprendre les missions au Nord à partir de 2008. Sans soutien financier, ces unités se sont effondrées. Pour ma part, j'aurais donc été le dernier militaire français autorisé à pouvoir parcourir seul ces vastes étendues désertiques et surtout à côtoyer ce peuple si fier et si attachant, avant le retour récemment des militaires français.
Cette expérience donne-t-elle des pistes sur comment soutenir des armées étrangères ?
Concernant la formation d'armées étrangères, une formation adaptée aux échelons tactiques autour de l'unité élémentaire (du capitaine au sergent) est une priorité. Le besoin est là, la survie de ces armées, notamment africaines, est là également.
La formation était trop axée sur les officiers d'état-major qui recherchent le confort et les indemnités de stage. Nous devrions encadrer de la même manière des ENVR (ndlr : des écoles nationales à vocation régionale) au profit de jeunes officiers et de sous-officiers du niveau école de formation initiale. La formation militaire (tactique et surtout morale) doit se réaliser en début de carrière et peut permettre à ces armées de construire sur des bases solides.
Un exemple, au Mali en 2005, la formation des jeunes officiers, le Saint-Cyr local, était une véritable catastrophe. Les cours dispensés étaient principalement des cours d'ordre serré (marcher au pas, maniement de sabres...), faciles à organiser et nécessitant peu de moyens et surtout peu d'instructeurs. Ainsi, cette école ne bénéficiait d'aucun coopérant français ni étranger, et n'intéressait pas les instructeurs maliens car pas assez payés.
En revanche, de l'autre côté de la cour, l'ENVR de Koulikoro disposait de 5 militaires français à plein temps, pour former des officiers du grade de capitaine à lieutenant-colonel, de toute la sous-région, très intéressés entre autres par les indemnités de stage et les voyages d'études notamment en France.
Merci pour votre disponibilité pour répondre à ses questions qui permettent de mieux cerner le quotidien de ses coopérants à des postes qui aujourd'hui continuent à être tenus.
En revanche, de l'autre côté de la cour, l'ENVR de Koulikoro disposait de 5 militaires français à plein temps, pour former des officiers du grade de capitaine à lieutenant-colonel, de toute la sous-région, très intéressés entre autres par les indemnités de stage et les voyages d'études notamment en France.
Merci pour votre disponibilité pour répondre à ses questions qui permettent de mieux cerner le quotidien de ses coopérants à des postes qui aujourd'hui continuent à être tenus.
2 commentaires:
Le parler "vrai" de cet officier
Bravo, mais en tiendrons ,non plutôt
en a-t-il été tenu compte??
ça c'est une utre histoire
D'une certaine façon, oui, via la mission EUTM-Mali qui traite à la fois la question par le haut et par le bas. Gageons que cela dure.
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