lundi 9 octobre 2017

Lecture - "De la cité au rang des officiers. Ou l’ascension d’un voyou dans l’armée" (Mehdi Tayeb)

Passer en 10 ans et 7 mois de la cité et d'un parcours de délinquant confronté à la justice au rang des officiers de l’armée de Terre française, en étant aujourd’hui capitaine commandant d’unité après avoir grimpé les échelons, d'engagé volontaire suite à son service militaire, sous-officier puis officier. Une plongée pleine d'espoir au cœur de "l'escalier social" (et non "l'ascenseur social" où il suffit d'appuyer sur un bouton pour monter, sans effort...), loin de tout fatalisme
 
Pas de récit guerrier ici, au-delà de quelques coins de voile soulevés sur certaines missions discrètes d'unités du renseignement en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan ou au Mali. L'auteur ayant été au cours de sa carrière à différents postes dans  des unités tactiques spécialisées (parfois disparues et transformées aujourd'hui), incontournables pour le succès des opérations passées et présentes, sans être forcément sous les feux de la rampe : escadron de recherche, escadron de reconnaissance et d'intervention anti-char, batterie de renseignement de brigade, etc.

 
L'ouvrage, auto-édité (disponible sur le site de l'auteur, à 9,99€ en format papier et 3,99€ en format numérique), est par contre une plongée, en une grosse centaine de pages, à hauteur d’homme, dans un parcours où à force de volonté, d’abnégation et de travail, "un voyou", comme l'auteur se définit lui-même, sort de l’engrenage destructeur de sa jeunesse, à base de vols, de violences et de confrontations avec la justice, pour se hisser là où il est aujourd’hui. Donner du sens et du concret à certaines valeurs, par un parcours bien réel, avec un exemple comme il en existe d'autres. S’engageant après son service militaire, "un échappatoire" à son quotidien, il gravit les échelons des responsabilités pour devenir tour à tour sous-officier puis officier. 17 ans de service plus tard, 11 opérations extérieures au compteur, marié et père de famille, il témoigne ici, humblement, de son parcours. Parcours loin d'être fini.

La force de l’ouvrage tient sans doute aussi à tout ce que l'auteur ne  met pas de côté, "les mauvais côtés", ce qui permet de ne pas construire un mythe expurgé de tout fondement réel : les cadres sans aucune âme et attitude de chef, les petits calculs personnels et administratifs pour mettre des bâtons dans les roues d’un profil pas vraiment conforme à l’esprit de caste de certains, et, dans un autre domaine, tout aussi primordial pour l'auteur, l'adaptation familiale (à base de séparations sans beaucoup de préavis, parfois longtemps, et plutôt souvent...). Nous sommes ici dans le vrai, dans le possible, raconté de manière vivante, humaine.
 
Le parcours décrit n’est pas tant exemplaire au sens d’inédit, car les armées sont bien encore un des cadres d'épanouissement des personnalités où, avec volonté, il est possible de se hisser socialement. Par contre, ce parcours est bien plus exemplaire au sens de "mérite d'être cité en exemple" (pour reprendre la formule consacrée).  L’auteur a bien voulu répondre à quelques questions afin de mieux comprendre les raisons de coucher sur le papier touts ces petits pas faits en avant de cette "vie d’un soldat, dévoué à sa nation et à sa famille". Nous le remercions.
 
Mon Capitaine, pourquoi avoir écrit cet ouvrage ? Quelle part entre le "pour vous" et le "pour les autres" ? Entre cet acte public et le quotidien plutôt discret de votre vie professionnelle ?
 
Initialement, j’ai écrit ce livre pour ma fille. Elle a bientôt 15 ans et elle aime s’imaginer dans l’armée quand elle sera plus grande. Étant donné que sa mère est aussi militaire, elle baigne dans ce milieu depuis toujours. Avec ce livre, je voulais lui montrer combien j’aime mon métier et comment l’Institution m’a rendu meilleur en m’offrant une vie passionnante où l’ennui et la routine n’ont pas leur place. Si mon épouse occupe également une place importante dans ce livre, c’est que je voulais montrer à ma fille à quel point sa Maman est extraordinaire et que c’est grâce à elle que j’ai pu vivre la vie que je voulais vivre.
 
Je n’ai vraiment pas écrit ce livre pour que d’autres personnes le lisent. Cependant, je voulais laisser à ma fille un livre "propre". Alors j’ai décidé de le faire corriger. C’est là que j’ai rencontré Bernard Coat, l’auteur de la préface. C’est un écrivain confirmé qui propose un service de correction. J’ai donc sollicité ses services pour corriger les fautes d’orthographes de mon livre. Bernard Coat a lu mon livre et m’a rapidement fait savoir qu’il en avait adoré la lecture. Il m’a alors proposé de préfacer mon livre et de m’offrir son service de correction. Il m’a aussi convaincu de l’éditer.
 
Au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendu-compte que ce livre était une véritable thérapie pour moi, une libération aussi. En effet, j’ai pu écrire ce que je n’osais dire. Je savais aussi que je ne pourrais plus cacher ce que je pensais, une vraie libération.
 
Quel message aimeriez-vous que vos lecteurs retiennent ?
 
Aujourd’hui, mon livre s’est écoulé à plus de 2.400 exemplaires, j’étais très loin d’imaginer en vendre autant lorsque j’ai décidé de l’auto-éditer. Ce que j’apprécie, c’est que je reçois de nombreux commentaires, aussi bien de militaires que de civils. Les militaires se retrouvent tous à un moment ou à un autre dans mon livre, peu importe leur grade ou leur métier. Pour les civils, les commentaires sont plus variés. Certains me disent que c’est une "très belle histoire", d’autres "c’est super de découvrir la vie d’un soldat de l’intérieur". Ce que j’aime sincèrement par-dessus tout c’est qu’un lecteur qui n’a aucune connaissance du milieu militaire puisse malgré tout apprécier mon livre. C’est gratifiant car, mon livre étant adressé à ma fille, je ne voulais pas avoir un langage trop technique, ce qui est compliqué pour décrire la chose militaire.
 
J’aimerai que les lecteurs retiennent que l’armée française est une exceptionnelle institution où tout est possible, peu importe son origine.
 
A quel moment avez-vous réalisé la bascule entre votre vie d'avant et l'élan qui fait que vous en êtes là aujourd'hui ? Quelle part pour vos chefs de l'époque pour tirer le meilleur de vous-même ?
 
Lorsque je suis arrivée au 4° régiment de Chasseurs (Gap) en tant qu’appelé du contingent, j’ai fait des rencontres extraordinaires, des appelés comme moi mais aussi des engagés professionnels. Rapidement, j’ai compris que les situations dans lesquelles nous nous retrouvions, nous imposaient une confiance mutuelle. C’est là, comme une véritable révélation, que je me suis dit que je n’avais plus le droit de décevoir. Mes camarades devaient pouvoir compter sur moi, et moi sur eux. Mon passé devait alors rester derrière moi, loin des portes du régiment. Je n’ai jamais voulu oublier ce que j’étais, ce que j’ai fait, bien au contraire, mon expérience passée est devenu une force, pas une honte. Elle me sert au quotidien dans mon commandement, je comprends et parle le même langage que les jeunes que je commande. Et je sais qu’ils apprécient, qu’ils sont surpris aussi.
 
Mais surtout, les chefs auxquels j’ai eu à faire, étaient des soldats remarquables ! Ce sont eux tous qui m’ont donné envie de marcher sur leur trace. Ils m’ont conseillé, guidé et formé à leur image. C’est leurs mots et leur charisme qui m’ont poussé à aller plus loin.
 
Si vous deviez définir ce qu'est pour vous "être officier", rang que vous revendiquez légitiment aujourd'hui ?
 
Une expression : "une hauteur de vue anticipée pour une conception optimisée". Au 2ème régiment de Hussards où je suis (régiment basé à Haguenau, spécialisé dans le renseignement via la recherche humaine), je découvre un monde d’officiers passionnant, loin de ce que je pouvais bêtement penser auparavant. Ce sont des hommes et des femmes comme tout le monde, travailleurs, très disponibles et aucun d’entre eux (nous) ne fuie les responsabilités. Le niveau est très élevé. C’est excitant, il faut travailler dur pour rester au niveau, pas de place pour les amateurs. Plusieurs de ces officiers sont devenus des amis que je revoie avec plaisir en dehors des heures de service.
 
Vous revenez en toute franchise sur les à-côtés moins drôles de la condition militaire, la vie de famille parfois chamboulée ou des cadres plutôt chefaillons que chefs. En quoi cela fait partie aussi du quotidien ?
 
La vie d’un soldat amené à partir régulièrement ressemble à un champ de mines. Partout où vous marchez pourrait être la fin d’une histoire, le début des problèmes ou même votre tombe. C’est assez usant sur le long terme. C’est souvent ce qui amène de nombreux soldats à faire une pause opérationnelle, afin de retrouver une vie de famille plus stable ou parfois tout simplement pour se laisser le temps de s’en créer une, de famille...
 
L’armée, quoi qu’on en dise, n’est qu’un reflet de notre société. Elle se compose d’hommes et de femmes tous différents, par leur caractère, leur mentalité, leur motivation, leur vie tout simplement. Certains commandent comme ils ont été commandés et pas comme ils auraient aimé être commandé, ce qui fait la différence entre un bon et un mauvais chef. Au quotidien, lorsque vous tombez sur l’un d’entre eux, ils sont peu nombreux, c’est très compliqué et difficile à vivre. Un chef peut rapidement devenir nuisible et freiner une carrière et, je l’ai vu, inciter des bons soldats à quitter l’institution militaire.
 
Et petite indiscrétion pour finir, avez-vous revu depuis que vous avez quitté votre lieu d'enfance, le cadre dans lequel vous avez grandi ?
 
C’est avec plaisir que je retourne parfois voir des amis d’enfance là où j’ai grandi. Cependant, cela n’arrive pas souvent, de moins en moins souvent j’ai envie de dire. Mais de toute manière, ils ne sont pas nombreux à être resté au quartier, beaucoup sont ceux qui ont quitté la région parisienne pour s’installer en province. Certains n’ont jamais réussi à se sortir de l’impasse dans laquelle nous nous étions enfoncés ensemble et sont aujourd’hui encore en prison. J’ai comme l’impression que la page se tourne d’elle-même, le temps écrivant lui-même le reste du livre de cette cité qui nous a vus grandir. D’autres jeunes ont pris notre place, nos sites, nos squats… Le quartier n’est plus le nôtre, il est devenu le leur. Et je dois avouer que je ne souhaite pas y vivre à nouveau, pas avec ma fille et ma femme.

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