mardi 30 novembre 2021

#FID2021 - Du besoin d'innover dans le domaine de la robotique terrestre

Sortir la robotique terrestre militaire de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Au figuré, mais aussi d’une certaine façon, parfois, au propre. Tel était le message, un brin critique mais aussi plein d’optimisme sur la capacité des acteurs du domaine à relever collectivement les défis rencontrés, délivré par un responsable du Battle Lab Terre lors du récent Forum Innovation Défense (FID) 2021.

Avec quelques 18 personnes déjà à poste (et un format qui grossit peu à peu), le Battle Lab Terre a pu depuis sa création en juillet 2019 faire un état de l’art plutôt précis des propositions existantes dans le domaine de la robotique terrestre. Un état de l’art de solutions disponibles sur étagère, donc des solutions sorties des laboratoires, et testées sur le terrain. En se basant sur environ 10 à 15 modèles, dans des conditions réelles très variées. Avec, dans le lot, beaucoup de robots-mules (pour l’emport de charges).


Battle Lab Terre. Crédits : armée de Terre.

Et cela dans le cadre des missions qui lui sont assignées : capter les solutions innovantes, les tester (en favorisant les partages d’expérience pour casser la longueur des cycles de développement et optimiser les solutions proposées) et recommander les plus pertinentes au chef d’état-major des armées (en pointant éventuellement les trous dans la raquette à combler). En bénéficiant pour cela d’un écosystème plutôt favorable du fait de son positionnement à Satory (Versailles), en étant proche d’un certain nombre d’universités, d’industriels, de centres de recherches, d’états-majors, de pistes d’essais…

Il s’agissait, avec ce travail, de sortir de la science-fiction pour se rapprocher de la réalité de l’offre. Non, les robots ne sont pas toujours efficaces. Non, ils ne sont pas pleinement autonomes, en ayant pas de télécommandes. Non, ils n'ont pas avec une endurance infinie. A l’inverse, ils se révèlent être très spécialisés, sur quelques fonctions (majoritairement le renseignement pour les drones, le déminage et le renseignement pour les robots terrestres). "La facture RH" de leur emploi est encore élevée, avec un certain nombre de "servants" dédiés, et des temps de formation (4/5 jours environ pour un niveau minimal) compressibles que jusqu’à un certain point. Ce qui fait que ces robots sont à ce jour plutôt perçus par les utilisateurs comme des contraintes que comme des facilitateurs (au contraire des drones volants, perçus aujourd’hui comme plutôt utiles, pour observer au-delà de la colline, au loin, etc.).

De ces 18 mois d’expérimentations et d’essais, plusieurs retours ont été faits. Notamment sur l’endurance. Si ils sont annoncés pour 8 heures d’autonomie environ, la plupart ne tiennent pas leurs promesses, allant plutôt jusqu’à 4 ou 5 heures d’utilisation. Les conditions climatiques dégradant fortement ces durées indicatives (comme le montrent les retours sur les modèles déployés durant 4 mois en opérations il y a quelques temps). Mais aussi sur la portée radio, qui reste limitée. Être capable d’aller au-delà d’un kilomètre reste rare. La plupart ayant une télécommande "à vue". Sur la maintenance qui demeure chronophage. Sur la mobilité encore très relative, avec une facilité "à les planter" lors des évolutions sur différents terrains (et donc pas mal de casse…). L’ajout d’une longe (avec de points d’accroche facilement disponibles prévus) pour les stabiliser lors du franchissement de dévers se révèle indispensable pour éviter qu’ils ne se cabrent, et qu’ils ne soient un danger pour les hommes ou machines évoluant à côté.


Photo d'illustration. Crédits : Académie Militaire de Saint Cyr Coetquidan.

Sur les phases de convoyages, des problématiques liées à leur intégration ne sont pas encore pleinement résolues, surtout avec un poids de l’ordre de 500 kg (environ) et des véhicules (VBCI, VAB…) pour le moment non pensés pour interagir avec eux. L’absence de rampes ou à l’inverse sa présence, la largeur réduite des portes, des habitacles encombrés, etc. Autant de contraintes rendant difficile ou impossible soit un chargement (en-dehors d’un plateau ou d’une remorque plateau, avec toutes les contraintes afférentes en termes de mobilité, de franchissement et de délais de mise en œuvre) soit un remorquage ; dans ce dernier cas, des usures prématurées des roues ou des chenilles ont été observées dès quelques kilomètres de tractage à une vitesse représentative d’un déplacement en convoi. Entraînant une contrainte logistique forte en rechanges. De plus, les robots actuellement disponibles évoluent à une vitesse allant jusqu’à 10/15 km/h, permettant un accompagnement d’unités d’infanterie à pieds, mais ne pouvant prétendre à l’accompagnement d’une unité blindée ou d’une unité logistique en mouvement. Un robot allant à 50 km/h est annoncé pour fin 2022, plus à même d’être un véhicule accompagnateur d’autres véhicules. Avec des applications pouvant aller jusqu’aux robots accompagnant des véhicules, que pourraient être demain un VBCI de reconnaissance 2.0, nouvelle version de véhicule mère avec des capacités augmentées par des robots et drones asservis, ou pour certaines briques du programme Main Ground Combat System (MGCS), qu'importe les modalités finalement retenues pour ce programme.

Il serait donc nécessaire de chercher à réduire les actuelles contraintes de leur utilisation tout en augmentant (fortement) les services offerts (la balance entre les deux étant aujourd’hui trop fortement déséquilibrée), ce qui demanderait des efforts pour faire sans doute différemment des actuelles voies jusqu’à présent suivies. Une quelconque robotisation des unités ne sera possible a minima que si le robot devient plus efficient que l’homme dans les tâches assignées, avec un fort degré de confiance homme/machine.


Photo d'illustration. Crédits : Académie Militaire de Saint Cyr Coetquidan.

Cela passerait par plusieurs aspects. Tout d’abord, par l’augmentation de la charge utile (au-delà de la tonne, environ) et par une diversification des capacités, la fonction mule, par exemple, n’apportant pas assez à elle seule. Avec le couplage de différentes fonctions : logistique, observation, détection (de plusieurs types), lutte anti-drones, appui-feu, nœud de communications, etc. Sur ce dernier point, plusieurs tests ont été conduits en ce sens, pour déporter les émissions radios (pour ainsi protéger les centres vitaux) et pour fournir de l’allonge. Sur la partie appui-feu, des tests sont actuellement menés avec de l’armement lourd, notamment des armes collectives qui mettent du temps à être assemblées et qui sont difficilement transposables : canons au-delà d’un certain calibre, mortiers, lance-grenades, lance-roquettes, etc. Il s’agira par exemple de coupler capteurs et armements pour apporter une réelle plus-value en termes de services offerts. Tout en augmentant l’autonomie énergétique, avec des solutions à développer sur le couplage de plusieurs sources d’énergie (groupe électrogène, hybridité, pile à hydrogène, etc.).

Il en est de même pour l’augmentation de l'autonomie comportementale des solutions, qui aujourd’hui agissent dans des environnements "aseptisés", ce qui conduit à un nombre élevé d’accidents dès lors qu’elles sont mises en situation dans des environnements représentatifs des opérations militaires menées. Aujourd’hui, au moindre doute (qui peut être une flaque, un fossé, etc.), les robots se mettent en sécurité, un comportement non transposable en opérations où l’intérêt de la mission peut primer. De même la compréhension de leur environnement doit évoluer. Ainsi, utiliser la technologie lidar, solution la plus commune, est difficilement envisageable dès lors qu’elle est (fortement) visible parfois à plusieurs kilomètres de distance via des moyens de vision nocturne (quand certaines gammes de fréquence sont utilisées). Il est donc nécessaire de passer sur des solutions autres (optiques, par exemple). Tout en évitant de tout miser sur des solutions basées sur la connaissance pensée comme parfaite d’un terrain pré-enregistré. Alors qu’en opérations, le terrain évolue (destructions, obstacles, véhicules amis/ennemis, etc.). Pour cette appropriation de l’environnement, il serait donc nécessaire que les solutions "à distance"» ne soient pas favorisées ou centrales, par rapport à des solutions intégrées sur les plateformes, avec un certain degré d’autonomie, mais plus à même de mieux appréhender l’environnement proche. Le contrôle, avec la capacité à pouvoir reprendre la main, à tout moment, demeurant très prégnante dans les systèmes militaires.


Photo d'illustration. Crédits : Etat-Major des Armées.

Pour avancer sur ces pistes, le Battle Lab Terre indique être en mesure d’apporter plusieurs éléments, permettant d’éviter des problèmes de méconnaissance mutuelle, de favoriser le travail en commun, de faire évoluer des solutions dans des environnements "réalistes", etc. Notamment avec les autres partenaires que sont les membres du Projet Vulcain, la section robotique du centre d’entraînement aux actions en zone urbaine - 94è régiment d’Infanterie (qui a pour objectif d’explorer et d’employer des systèmes via des expérimentations, notamment lors des rotations menées au CENZUB), ou avec la section technique de l’armée de Terre (STAT). Depuis début 2021, quatre conventions ont été signées avec des entreprises pour tester plus en avant leurs solutions. Et bénéficier en contrepartie de retours d’expérimentateurs. Des premiers transferts entre Battle Lab Terre et Force Vulcain seront réalisés prochainement, en attendant d’autres à venir. Et ensuite éventuellement des premiers déploiements. De plus, il est noté le rôle joué par ces acteurs comme Red Team, où au cours des expérimentations il est également regardé comme se protéger face à l’emploi de tels systèmes par l’adversaire, pour faire progresser les tactiques vis-à-vis de systèmes potentiellement rencontrables en opérations. Un effort intellectuel absolument nécessaire, qui peut être répliqué dans bien des domaines (comme par exemple les drones navals, avec des offres bas et moyens coûts largement disponibles).


Force Vulcain. Crédits : armée de Terre.

De même, la mise en place de différents challenges doit permettre d’obtenir des solutions plus à même de répondre aux besoins, tout en orientant les efforts de R&D des acteurs industriels (le Battle Lab Terre n’ayant pas vocation à faire de la R&D). Comme avec les challenge CoHoMa ou Mobilex. Via des challenges de vitesse, en équipe, répétés année après année, pour faire émerger des nouveaux usages et solutions, les tester (en mettant les équipes challengées en état de stress cognitif, pour plus de réalité), confronter idées et terrain, et faire progresser l’ensemble. S’il n’est pas noté un retard en soit dans le domaine, il est surtout proposé de dépasser ce qui est proposé aujourd’hui, pour aller au-delà (en termes d’architectures - avec des premières nouveautés présentées dans le domaine, de capacités, etc.). Et demain rentrer pleinement dans l’ère des multi-robots (sujet très suivi par l’Agence de l’innovation de défense - AID), avec flotte homogène (que des robots similaires) ou non-homogène (avec des robots variés) qui se parlent, tout en dépassant les actuelles expérimentations tournant autour de moins d’une dizaine de robots en simultanée. Le premier cas d’usage pouvant émerger devant être celui des convois logistiques, avec des briques plus ou moins développées de mode "follow me", chaque véhicule suivant celui de devant, à bonne distance, avec un véhicule maître.

Ce qui conduit et conduira le Battle Lab Terre a également évaluer d’autres solutions comme la corobotique (sans solution pour le moment proposée) ou les exosquelettes. Pour ces derniers, les solutions sont jugées comme pas encore pleinement matures, qu’ils soient passifs (sans batterie ni capteur) ou actifs, avec des contraintes fortes en termes de mobilité et liberté de manœuvre (dans les escaliers, par exemple), des rapports réduits entre poids des batteries et charge utile, etc. Des avis partagés, suite à des expérimentations menées entre mars et décembre 2021, par plusieurs testeurs, comme par la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP, au sein de différentes spécialités), le Commandement des Opérations Spéciales (COS), des unités conventionnelles de l'armée de Terre ou le Groupe d'Intervention de la gendarmerie Nationale (GIGN, notamment pour le port du bouclier de protection en tête de colonne d'assaut), très allante et regardante sur ces solutions dans le cadre de sa politique d’innovation. Mais à n’importe quel prix. Car, comme le dit un motto fréquemment rappelé par certains, "rien ne se décide de bien pour le bien du soldat sans l’avis du soldat". Car il ne s'agit pas d'innover pour innover, mais bien dans un but : la victoire.

NB : Les propos rapportés ci-dessus n’engagent que l’auteur de ce blog, qui est le seul responsable en cas de mauvaise retranscription des propos et pensées des différents intervenants, ainsi que des éléments d’analyse ou d’information ajoutés en supplément.

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