vendredi 18 décembre 2009

Comprendre simplement la difficulté de l'Afghanistan

Voici une célèbre caricature qu'il est bon de ressortir pour saisir quelques caractéristiques sociologiques de l'Afghanistan: clientélisme, dette d'honneur, hospitalité, esprit de vengeance, clanisme, "vallée stratégique", fierté combattante, etc.

Le colonel Benoit Durieux qui commande le GTIA (Groupement Tactique Interarmes) Surobi parle alors de jeu complexe du "mikado" pour expliquer sa stratégie développée à l'Est de Kaboul. Elle vise à isoler avec patience et par différents moyens les insurgés de la population sans entraîner de troubles irréversibles pour cette dernière. Préalable avant leur réintégration ou leur neutralisation. La stabilisation prônée en Afghanistan vise en effet à recréer des liens distendues au sein de cette société.

lundi 14 décembre 2009

C-IED à la britannique

Alors que le nombre de soldats britanniques tués depuis janvier 2009 en Afghanistan a dépassé la centaine, que le débat Outre-Manche fait rage sur la suffisance ou non des équipements du contingent britannique, et que la prochaine grande conférence internationale sur l'Afghanistan aura lieu le 28 janvier à Londres, Gordon Brown a rendu visite ce week-end aux troupes de Sa Majesté.

Pour la petite anecdote, c’est la première fois qu’un Premier Ministre britannique passe la nuit au milieu des militaires depuis Winston Churchill (tout un symbole…). Si notre ministre de la Défense a déjà passé et repassera cette année le réveillon au milieu des troupes, l’expérience n’a jamais encore été tentée par la France avec des cibles de plus haute valeur. Il est vrai que nous n’avons pas la culture américaine ou anglo-saxonne des visites inopinées d’autorités sur le terrain.


En tout cas, cette visite permet d’en savoir un peu plus sur la menace que représentent les IED en Afghanistan (de janvier à décembre 2009, 258 membres de la Coalition en sont morts), et en particulier dans la province du Helmand, ainsi que les mesures mises en place pour la contrer. Pour une deuxième petite anecdote, les bombes, dont la taille a sensiblement grossi ces derniers mois, sont généralement conçus avec de l'engrais. C’est du fertilisant agricole potentiellement explosif qui est d’ailleurs souvent distribué par des PRT, peu regardantes sur le possible double emploi de ces gracieux dons… Le serpent qui se mord la queue !

Troops in Afghanistan find roadside bomb every two hours

IED’s are responsible for more than 80 per cent of lost British lives”

En conséquence, un nouveau fond budgétaire a été annoncé par le secrétaire à la Défense Bob Ainsworth, lui aussi du voyage. Plus de 150 million de £ sur trois ans sont consacrés à la lutte contre les IED’s. Ces crédits initialement consacrés à d’autres programmes de Défense sont réorientés vers cette priorité.
  • 50 million seront dévolus à l’entraînement des troupes en Grande-Bretagne. Un effort particulier sur l’entraînement collectif sera fait en parallèle de la formation de 200 nouveaux spécialistes anti-IED qui seront projetés à l’automne 2010.
  • 400 détecteurs manuels seront commandés en « urgences opérationnelles » grâce à une procédure simplifiée pour la valeur de 10 million de £.
  • De nouveaux robots de déminage seront déployés sur le théâtre.
  • Le nombre d’heures de vols des drones Hermes (des heures de vol supplémentaires achetées à Thalès), Reaper ou Desert Hawk (grâce à des achats de pièces détachées) sera augmenté.
  • Dès réception au printemps, des véhicules haute-mobilité (ou VHM qui permettent de s'affranchir des axes) de type Warthog seront envoyés de même que des véhicules MRAP (Mine Resistant Ambush Protected) de type Ridgback.
  • Enfin, un centre de coordination du renseignement est ouvert.

Nous n’en sommes pas encore au niveau de la réponse globale de la Task Force Thor américaine spécialement dédiée à la lutte contre les IED et à l’ouverture des itinéraires dans une large moitié sud du pays, mais nous n’en sommes pas loin.

samedi 5 décembre 2009

Insécurité routière en Afghanistan

L’Afghanistan détient le triste record d’être l‘un des pays le plus minés au monde. La mission de l’ONU en Afghanistan (UNAMA) estime que plus de 10 millions de mines ont été posés en 30 ans de guerre (à comparer avec les 46 millions de mines environ encore enfouis sur l’ensemble du continent africain). À cette menace silencieuse et sournoise s’ajoute celle plus récente constituée par les piégeages de circonstance et la mise en place d’engins explosifs improvisés de plus en plus perfectionnés.


Concentrées très tôt dans la région de la capitale, les forces terrestres françaises ont majoritairement faits face durant les quatre premières années de présence à des attaques à la roquette chinoise de type CHICOM ou à des embuscades sporadiques de faible ampleur. Le 19 octobre 2005, un Véhicule Blindé Léger (VBL) subit la première attaque IED du contingent français. D’autres vont suivre.

Au niveau du théâtre

Les observateurs parlent alors d’irakisation du conflit afghan avec l’augmentation des attaques suicides jusque là inexistantes et du nombre d’IED comme mode d’action insurgé prédominant. L’analyse comparée des années 2006 à 2007 fait ainsi apparaître un accroissement de 30% du nombre d’évènements EEI. Malgré les progrès en termes de C-IED, il en découle une augmentation équivalente du nombre de victimes de 30% (tués et blessés confondus).

À l’échelle de l’Afghanistan, la tendance de ces deux dernières années est à la multiplication des accrochages (les TIC ou Troops in Contact c’est-à-dire dès qu’il y a prise à partie par l’ennemi) et à une baisse des IED. Néanmoins, cette dernière menace reste importante sans jamais atteindre pourtant le niveau record du mois de décembre 2005 en Irak avec 50 incidents IED par jour. On compte ainsi actuellement un peu moins de 400 incidents IED par mois (ce chiffre ayant doublé en un peu plus de deux ans).

Sur la zone de responsabilité française


Le croisement des sources ouvertes (rubrique Afghanistan du blog Le Mamouth en particulier et reportages sur le terrain de grands quotidiens nationaux) permet de se faire une idée approximative de la menace EEI dans le district de Surobi et dans la province de Kapisa.

En moyenne, moins d’un quart des EEI explosent, le reste étant découverts. Plus de deux tiers des EEI découverts le sont grâce à des renseignements de différents origines : drones Harfang ou SDTI par exemple mais surtout par des informations directement délivrées par la population. Le dernier tiers l’est suite à l’ouverture des itinéraires par les détachements du Génie.

Il existe aujourd’hui des disparités importantes selon les zones de déploiement. Sur une durée équivalente de six mois, il y a moins de 5 incidents IED en Surobi alors qu’il y en a plus de 20 en Kapisa. Depuis la bataille d’Alasay en mars 2009, la différence ne fait que s’accentuer, les insurgés étant sur le reculoir. Le Groupement Tactique Interarmes (GTIA) a sans doute gagné le respect des populations par cette démonstration de force mais il doit aussi faire face à une certaine désespérance des insurgés qui se matérialise par une hausse du nombre d’EEI avec plus de 50 durant le dernier mandat.

Les IED sont responsables de plus de 47% des pertes au combat de la Coalition depuis 2001 (il y a plus ou moins autant de pertes par accrochages, le reste étant le fait des crashs d’hélicoptères ou d’attaques suicides). Les Britanniques sont le contingent le plus touché par cette menace, l’armée française perdant quatre tués suite à des EEI sur les 36 militaires morts en Afghanistan (soit 14%).


En conclusion, il est communément rappeler qu’une lutte efficace face aux EEI repose sur 60% d’entrainement, 30% de technique et 10% de chance. La tactique prédominant sur la technique qui a aujourd’hui atteint sans doute un seuil maximal d’efficacité. Nous verrons dans un prochain article, la riposte globale mise en place par les forces françaises pour faire face à cette menace.

mercredi 2 décembre 2009

Thème de décembre d'AGS : « les bombes de fortune »

Le thème de décembre de l'Alliance Géostratégique est consacré aux « bombes de fortune » et autres IED (Improvised Explosives Devices) ou EEI en français (Engins Explosifs Improvisés)…


IED doit être un des acronymes militaires dont la signification n’est plus connue uniquement par les seuls spécialistes ou amateurs éclairés des questions de sécurité et de défense. En effet, les opérations en Irak et en Afghanistan ont participé à la vulgarisation médiatique d’une catégorie de ses IED à travers des vidéos spectaculaires prises sur « les autoroutes de l’enfer » irakien : la route se soulève littéralement sous l’effet du souffle d’une roadside bomb, de lourds véhicules blindés sont détruits, leurs occupants choqués, gravement blessés ou tués.

Illustration parfaite de la dimension asymétrique des conflits contemporains (dans ses finalités, ses impacts, ses voies ou ses moyens), l’emploi de ces mortelles menaces est un mode d’action qui ne peut être étudié uniquement à travers des analyses simplistes. Il y a dans ces systèmes issus de l’intelligence meurtrière humaine et dans la riposte non moins habile mise en place pour les contrer du global, de l’inter-armées, de l’interministériel, de la stratégie, de l’opératif, du tactique, du politique, du multisectoriel, du temporel, du directionnel, etc.

Les problématiques sont ainsi extrêmement variées faisant espérer de passionnantes réflexions. Non exhaustives, les questions suivantes peuvent être de futures pistes :
  • La menace IED n’est elle pas aujourd’hui un facteur dimensionnant (à tort ou à raison) de la stratégie militaire des forces occidentales ? Quant on observe les efforts humains et budgétaires consentis en termes d’équipements (MRAP, brouilleurs, etc.), de structures (Task-Force anti-IED spécialisée), de doctrines, etc ?
  • L’IED n’est-il pas l’arme ultime du faible au fort, du pauvre au riche ? D’un coût modique de fabrication, il permet de détruire des véhicules de plusieurs milliers de dollars tout en s’assurant un fort retentissement du fait de sa répétition. Son emploi dans d’autres champs d’application (hors du domaine terrestre) est-il envisageable avec les mêmes effets ? Est-il possible de le retourner contre ses utilisateurs principalement les insurgés ?
  • L’adaptation de la Force face à cette menace évolutive (déclenchement filaire ou par ondes radio, accroissement de la masse d’explosifs, emploi du high-tech ou du low-tech, etc.) est un excellent exemple d’un cycle action-réaction qui a lieu dans toutes les oppositions de volontés.
  • Les exemples plus ou moins récents (Irak, Afghanistan, Liban, Intifada, Irlande du Nord, etc.) ne manquent pas pour illustrer ce combat historique de « l’explosif contre la cuirasse » (cf .article du CEMAT dans le dernier numéro de la Revue de Défense Nationale).
  • Mettant à mal « la résilience des machines » (la vilaine expression !), qu’en est-il de la résilience des hommes et des institutions face aux EEI : des militaires d’abord, mais aussi de la population locale particulièrement touchée et du soutien de la nation contributrice ?
D’autres multiples possibilités seront certainement abordés dans les futurs écrits… Alliance Géostratégique se fera une joie de publier vos contributions sur ce sujet. À vos claviers !