lundi 30 novembre 2009

1500, ce n'est pas seulement un chiffre


Ce qui est pratique de rentrer du travail en train, c'est qu'avec le retard classique de ce mode de transport on a toujours le temps de réfléchir sur les dernières dépêches lues...

Le Monde croit savoir que Clinton puis Obama auraient demandé à Kouchner puis Sarkozy 1500 militaires supplémentaires en Afghanistan. Vraie ou fausse information (pour moi, très plausible), refus ou accord qu’importe. Voici quelques réflexions personnelles sur ce que cela engendre.

Si la France refuse tout ou en partie :
  • Pas impossible, alors que la position actuellement claironnée est : on a assez fait avec le passage en un an et demi de 2300 à 3000 puis 3900 militaires, l'envoi de 150 gendarmes formateurs et un dispositif musclé (envoi des systèmes d'artillerie Caesar, d'hélicoptères, etc.).
  • Le gouvernement français sera montré du doigt pour ne pas faire d'effort dans le cadre de la nouvelle stratégie américaine. Que l'on soit pro ou anti US, force est de constater que la guerre en Afghanistan est américaine. Les autres nations contributrices n'ont pas la masse critique en hommes (civils mais surtout militaires). Donc "Washington gagnera ou perdra cette guerre".
  • Déclassement? Pour caricaturer: adieu, la nouvelle relation transatlantique avec renforcement des liens Paris/Washington, bye bye, le nouveau rôle de membre imminent de l'OTAN, bonjour les difficultés avec les partenaires traditionnels quand même l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie ou l'Angleterre font des efforts en effectifs, etc.
  • La France s'accommoderait donc pour les opinions internationales de la situation actuelle en Afghanistan (pas glorieuse à l'échelle du pays), ne voudrait rien changer et perdrait de son influence pour une résolution/sortie de crise.
  • Etc.
Si la France accepte :
  • Cela demande la convocation du Parlement après le renforcement des pouvoirs de ce dernier sur les questions de Défense (nouvelle mouture de l'article 35). Combien de temps pour cette procédure? De la forme dépendra la légitimité de l'intervention et le soutien de la Nation. L'opposition (et d'autres sceptiques) devra être convaincue du bien-fondé de la proposition ainsi que de la stratégie et ne pas voter contre par principe.
  • Il est nécessaire de renforcer quasi proportionnellement les capacités civiles et donc de toucher au budget d'aide au développement et de coopération. Alors même que les volontaires civils ne se bousculent pas et que les budgets enflent (fermer d'autres théâtres et réduire l'action diplomatique française ailleurs ?).
  • Ne pas toucher à la cohérence géographique et en moyens du dispositif militaire actuel en Surobi et Kapisa. 7 ans pour l'obtenir enfin, ne pas tout chambouler sur une décision. Donc exiger au minimum de coller les renforts à l'ensemble existant dans le Regional Command-East. Soit en prenant un nouveau district mitoyen (avec le risque de très vite se retrouver en première ligne le long de la frontière avec le Pakistan), soit en remplaçant les quelques unités américaines (PRT, forces spéciales, logisticiens, etc.) encore présentes dans ces deux districts.
  • Impossibilité d'envoyer des renforts avant 6 mois sans rogner sur la Mise en Condition avant Projection, passage obligé d'entraînement de toutes les unités au départ pour l'Afghanistan. Donc désigner et former un pion de fantassins débarqués nécessaires pour stabiliser (un et sans doute pas deux Groupement Tactique Interarmes) qui s'ajouteront au 13ème BCA et 2ème REP (remplacés par 126ème RI et 21ème RIMa au printemps 2010 puis 2ème RIMa et 7ème BCA à l’automne 2010).
  • Faire sans doute un effort panaché avec l'envoi de formateurs pour "afghaniser" le conflit en participant à la montée en puissance des forces nationales afghanes de sécurité et augmenter les moyens des fonctions autres que celles d'engagement: monter une première Provincial Reconstruction Team (PRT) à la française, opérations d'influence, etc.
  • Et beaucoup d'autres questions...
Le futur se devine mais ne s'écrit pas encore, ce ne sont donc que quelques suppositions. Sans aucun doute, beaucoup de planifications, de réflexions et de débats sont déjà en cours. Toujours in fine, il y aura une décision sur l'envoi ou non d'un nombre d'hommes qui n'est définitivement pas un simple chiffre.

"Les faits d'armes ne sont pas des faits divers"

dimanche 29 novembre 2009

Quand le maitre répond à l'élève

Pour ceux qui passent sur ce blog sans aller sur Athéna et moi (ils doivent être moins nombreux que l’inverse…), Joseph Henrotin a commenté et répondu à un de mes récents billets. J’y faisais des raccourcis entre des expérimentations anglo-saxonnes pensées pour faire face aux « techno-guérillas » et des tactiques mises en place durant la guerre d’Algérie.

Joseph Henrotin remets en perspective ces comparaisons, rappelant succinctement plusieurs différences entre les opérations des années 50, celles d’aujourd’hui et les probables de demain : la barrière de la langue, l’environnement médiatique oppressant, l’accélération du tempo des opérations, le statut de colonisation vs celui de stabilisation, etc.

Ainsi tant au niveau stratégique (ce qui est sans doute le plus fondamental d’ailleurs), opératif que tactique (à ce niveau, c’est pour moi sans doute moins flagrant), de nombreuses caractéristiques ont changé rendant caduques voire dangereuses toutes les tentatives d’application « des recettes du passé » à des problématiques contemporaines. A lire d’urgence donc pour relativiser mes propos instinctifs.

Le lecteur pourra se reporter à un de mes premiers billets où je présentais les limites d’une comparaison Algérie/Afghanistan.
Voir aussi l'article du compagnon AGS, Charles Bwele, sur les mêmes questions: une manœuvre distribuée contre l'ennemi hybride.

jeudi 26 novembre 2009

Des armes et des coeurs

Quelques remarques sur le colloque « Des armes et des cœurs » organisé par le Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (CDEF) le lundi 23 novembre.

Evalué à 850 millions d’€ pour 2008, le budget des opérations devrait être équivalent en 2009. Du fait même des missions conduites par les forces, ce dernier est essentiellement consacré « à des actions plus civilo que militaires ». Ainsi le soutien logistique à d’autres contingents, l’aide médicale ou la formation de forces de sécurité s’apparentent plus à de la coopération ou de l’aide au développement. Paradoxalement, elles demeurent financées par le budget consacré aux opérations qui ne cesse en conséquence d’augmenter.

Les mandats internationaux sont des sommes de compromis nationaux et les alliances actuelles diluent plus que ne renforcent les responsabilités. Face à l’échec actuel du modèle occidental de la guerre, il est nécessaire de refondre les modes d’actions lors d’opérations consommatrices en temps, en effectifs et en ressources (alors même que ces 3 composantes diminuent). Le manque actuel d’administrateurs civils ainsi que le manque de pilotage politique n’ont pas été comblés par les instruments des alliances internationales ni par l’emploi de sous-traitants privés.

L’effet final recherché par la force est bien de permettre la concrétisation de buts politiques, non de se faire apprécier de la population (comme pourrait le faire croire la répétition à outrance du « gagner le cœur et les esprits »). Si la présence dans la durée est indispensable, des dangers guettent une force « scotchée sur place ». Ainsi, par la distribution de crédits, la FINUL est devenue au fil du temps (présence depuis plus de 30 ans) le premier employeur privé au Liban et ne peut se retirer sans déstabiliser le marché de l’emploi.

La nécessité d’agir en « guerrier sympathique » demande des prises de risques de la part des militaires qui doivent conserver l’obsession de la protection par une vigilance constante. Comme le rappelle le général Mc Crystal dans sa Directive tactique : il est parfois nécessaire de faire l’impasse sur des conditions locales de supériorité si cela permets à long terme des gains plus importants. Dans ces situations « d’engagements paradoxaux » entre emploi de la force et humanité, le comportement des militaires est finalement aussi (voire plus) important que l’efficacité de leurs armes.

Enfin l’expression du jour : pour le militaire d’aujourd’hui, il faut manier simultanément « le fusil et la moissonneuse afin de gagner l’esprit et l’estomac de la population ».

Si le CDEF peut se targuer d’avoir une légitime autorité sur les questions tactiques et opératives, le niveau stratégique et les rapports politico-militaires ne sont pas dans ses compétences. Or malgré les efforts du modérateur, la majorité des débats et certains exposés décalaient les propos vers les hautes sphères strato-stratégiques. Bien loin du cœur du sujet. Les représentants politiques (tous du pouvoir législatif) faisaient face aux questions sur la stratégie et les buts en Afghanistan. Mais rassurons-nous, rien qui ressemble à un putsch !

PS: je me permets de conseiller la lecture d'un précédent billet sur ces questions d’articulation entre le politique et le militaire (ici). Et pour information, les actes complets de ce colloque seront disponibles sur Internet au début de l’année 2010.

jeudi 19 novembre 2009

La "course aux passes", un siècle après...

Mise en perspective historique par Alexandre Guérin de l'enjeu des voies logistiques en Afghanistan (importance rappelée par Olivier Kempf à qui je prépare une réponse sur l'oubli relatif de cette fonction).


S'il est une constante de l'Asie Centrale vis-à-vis des conquérants et des armées en campagne, c'est bien son hostilité intrinsèque à tout élément exogène. Hostilité des hommes tout d'abord, puisqu'il ne fait pas bon être "infidèle" en ces contrées. Certes un occidental s'y aventurant aujourd'hui ne risque plus, comme au XIXème siècle d'être décapité sur le caprice d'un Khan, tué par des brigands ou capturé puis vendu comme esclave par des Turcomans. Néanmoins, il ne peut échapper à la méfiance des habitants, tout particulièrement des montagnards Afghans immortalisés par Kessel et si prompts à partir en guerre contre tout "envahisseur", qu'il soit Britannique, Soviétique ou Américain. Hostilité du terrain, puisqu'aux déserts d'Asie Centrale succèdent des chaînes de montagnes franchissables en de rares endroits. Lorsque le "Tournoi des Ombres" battait son plein, aventuriers Russes et Britanniques se livrèrent une compétition acharnée pour cartographier ces passes et s'arroger la loyauté des monarques les contrôlant. Leur importance résidait dans le fait qu'une armée lancée à la conquête des Indes devait impérativement les emprunter. A mi-chemin entre l'Asie Centrale soumise au Tzar et le Joyau de la Couronne Britannique, l'Afghanistan était bien au premier plan de cette lutte d'influence.

Aujourd'hui, l'Afghanistan a remplacé l'Inde comme objet de l'attention des grandes puissances, mais l'hostilité du milieu demeure. Si elle ne pose plus des problèmes aussi épineux que par le passé[1], elle pèse néanmoins de tout son poids sur la logistique. Les flux des forces internationales transitant jusqu’alors par le Pakistan, la pression insurgée sur le ravitaillement s'est logiquement portée au Sud. Les convois entre Karachi et Kaboul traversant l'Hindou Kouch ont payé le prix fort face aux coups de main des Taliban et autres insurgés. Face aux pertes croissantes de leurs convois, sans parler des "emprunts de matériels" par quelques insurgés, les stratèges de l'OTAN considèrent de plus en plus sérieusement l'ouverture d'un axe supplémentaire au Nord, traversant l'ex-URSS, espace tenu dans une certaine mesure par la Russie.

L’ouverture de cet axe alternatif pose cependant des problèmes de plusieurs ordres.
  • Au niveau politique, tout d’abord, puisque tous les pays de la zone n’ont semble-t-il pas le même empressement à apporter leur soutien à ce projet. De plus, si la Russie semble décidée à ne pas couper cet axe, elle compte bien obtenir un maximum de concessions de la part des Américains dans d’autres domaines (Europe ou Caucase).
  • Au niveau technique, il est possible que les infrastructures de transport vieillissantes doivent être restaurées et remises à niveau afin de supporter un trafic important et régulier.
  • Au niveau sécuritaire, enfin, l’ouverture d’une nouvelle route nord semble inciter les insurgés à ouvrir un front nord. Ces derniers sont en effet conscients du talon d’Achille que constituent pour les forces internationales des lignes logistiques étirées à l’extrême, et semblent décidés à faire tout leur possible pour perturber le ravitaillement de l’ISAF. En conséquence, la situation dans le Nord de l’Afghanistan s’est dégradée depuis quelques mois.
Par ailleurs, ce même Nord et le Tadjikistan voisin pourraient faire les frais d’une conséquence imprévue de l’offensive de l’Armée pakistanaise. En effet, chassés des zones tribales, de nombreux jihadistes internationaux ont commencé à fuir vers le Nord. Parmi eux se trouvent sans doute des vétérans du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan[2], certains ayant une expérience du combat remontant à la Guerre Civile au Tadjikistan (1992-1996). Transitant par les mêmes itinéraires clandestins que l’opium et le cannabis, ces combattants revenant au pays après une décennie d’exil pourraient à nouveau semer le désordre. D’autant plus que les convois de la coalition sont une cible attirante et que la situation socio-politique de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan n’a guère changé depuis l’apparition de ces mouvements.

[1] On se réfèrera par exemple à la fin tragique de la première aventure Britannique en Afghanistan et du 44th Regiment of Foot qui connut au village de Gandamak son Dien-Bien-Phu ou son Kerbala, c'est selon.
[2] Ce mouvement islamiste combattant, fondé en 1999 par Juma Namangani (ancien spetznaz, vétéran de la Guerre Civile au Tadjikistan), a été virtuellement anéanti en 2001 alors qu’il combattait aux côtés des Taliban.

mardi 17 novembre 2009

L'art de réinventer l'eau chaude (+MAJ)


Titre ô combien provocateur pour illustrer l'article publié par Joseph Henrotin présentant "les opérations distribuées", nouveaux concepts issus des brillants cerveaux américains et australiens pour faire face au nouveau cauchemar des militaires "la techno-guérilla". C'est beau, c'est peu être efficace et c'est pas nouveau!

En juillet 1959, le 3ème Bureau (Opérations) de l'Etat-major interarmées en Algérie (sous les ordres du général Maurice Challe) préconise la multiplication des commandos CHOUF ("regarde" en arabe) : « Le commando CHOUF est essentiellement une antenne d’observation et de renseignement chargée de déceler tout indice de présence rebelle et d’en rendre compte à l’échelon supérieur ».

En planque dans la nature, il repère l'ennemi, rend compte par radio et guide l'intervention de l'appui feu aérien ou de l'artillerie ainsi que la concentration des réserves générales (les corps composés d'unités de coloniaux, de parachutistes ou de légionnaires) qui arrivent à pieds, en camions ou en hélicoptères. Puis ensuite: fixation, débordement puis réduction.

Ils sont couplés avec les célèbres "commandos de chasse" qui doivent "ajouter puis substituer aux opérations d’envergure menées par intermittence dans les zones refuges montagneuses la pression d’une contre-guérilla permanente et générale appliquée sur le terrain même de l’adversaire. Ainsi le rebelle, constamment placé en ambiance d’insécurité, perd rapidement la liberté d’action indispensable à sa survie ".

Nous ne sommes pas loin des problématiques actuelles où il est nécessaire de saturer le réseau adverse avec une action multi-dimensionelle.

PS: je reviens ce soir, sur le fait de devoir se montrer pour provoquer l'adversaire et le forcer à se dévoiler avant de pouvoir l'engager (c'est vécu, entre autres, au quotidien par les blindés AMX 10 RC en Afghanistan: des belles cibles qui attirent les lanceurs de RPG 7...).

MAJ: Promis, je reviens bientôt sur les tactiques des blindés pour forcer les insurgés à se dévoiler. Les Canadiens avec leurs chars Leopard à Khandahar empruntent ainsi parfois les mêmes itinéraires pour attirer l'adversaire dans un piège.
Cela se confirme aussi avec le fait que l'immense majorité des prises à partie sont à l'initiative des insurgés. Cela conduit les troupes de la Coalition à une certaine posture défensive où il faut ensuite reprendre très rapidement l'ascendant par un effet boule de feu en appliquant le feu par tous les moyens.
Dernière remarque rapide. Les troupes françaises n'ont pas de caveat (des restrictions d'emploi) mais ne pratiquent pas le targeting (opération visant à éliminer un individu particulier). Les forces spéciales (surtout américaines en Kapisa) s'en chargent dans la zone de responsabilité française.
L'action de ces forces spéciales est largement facilitée par les opérations des troupes françaises qui par un contrôle de zone obligent les insurgés à bouger, à se dévoiler à des capteurs (humains ou techniques) et donc à pouvoir être localisés. Dans ce cas là, des troupes lourdes donnent un coup de pied dans la fourmilière pour qu'ensuite des troupes légères traitent les cibles qui se révèlent.

samedi 14 novembre 2009

Changement de statut

Je profite du WE pour mettre à jour ma présentation "Qui êtes-vous?" à gauche.

En effet, je ne suis plus étudiant depuis trois semaines, ma soutenance de M2 étant passée et bien passée. Les études universitaires ne sont plus qu'un lointain souvenir (avec du bon et du moins bon) dont je garderais surtout la méthodologie de la recherche et un vague vernis de culture générale qu'il faut sans cesse mettre à jour et améliorer personnellement.

Maintenant, la route est encore longue vers un emploi stable et définitif mais on y croit!

PS: pour de magnifiques anecdotes, découvrir de vrais héros du quotidien, des signes d'espoir sur la situation et donner des idées à nos communicants nationaux, allez donc faire un tour sur ce blog institutionnel pour découvrir au jour le jour les Britanniques dans le sable chaud de la poudrière du sud afghan.


Les Français savent aussi faire de la bonne communication comme le prouvent ces magnifiques photos prises par Thomas Goisque sur différents volets de l'action de l'armée française en Afghanistan (formation de l'Armée nationale afghane, missions de l'hélicoptère Tigre, le 27ème Bataillon de Chasseurs alpins, etc.).

jeudi 5 novembre 2009

Sun Zu serait-il lu mais mal compris par les opinions publiques ?


Je ne donnerais pas d’avis personnel sur la Xème suite de l’embuscade du 18 août (erreurs pas d’erreur, instrumentalisation ou non), mais le récent tintamarre judiciaro-médiatique ne peut être ignoré.

Le GBI Baptiste (porte parole du MinDéf) a été envoyé au feu pour reprendre l’initiative : un beau placard, le verbe haut, citant Clausewitz et De Gaulle, mettant en perspective, évitant autant que possible « la langue de bois ». Il restera toujours des sceptiques, des attentistes et des irréductibles mais la prestation est à mon sens convaincante (on est loin de la communication de crise de l’époque). Dans le fond, il rappelle au peuple de la trinité clausewitzienne (dont les familles qui portent plainte) que lors « des épisodes de guerre extrêmement violents » : « le feu tue » (vérité rappelée dans le discours de Paul Valéry en 1931 lors de la réception du maréchal Pétain à l'Académie française).

Alors que « la théorie des Bisounours » (un zeste d’angélisme, d’idéalisme, de pacifisme, de non-violence) est à la mode pour comprendre le monde d’aujourd’hui, force est de constater que ce fumeux concept « zéro mort » est bien ancré dans les consciences et les imaginaires collectifs. Ce dernier est plus que jamais à double action : zéro mort chez l’Autre (population civile de la zone d’opération et même insurgés) et zéro mort chez nos forces (le « nos » étant sans doute exagéré quand on voit le problème d’identification du peuple à son armée).

Depuis la sortie de la Directive Tactique de Mc Crystal en juillet (« I expect leaders at all levels to scrutinize and limit the use of force like close air support »), la cause principale de pertes de civils n’est plus les erreurs de tirs air-sol de la Coalition mais bien les attentats des insurgés. La dernière dramatique affaire de ce genre reste le tir guidé par un officier allemand sur des camions citernes détournés pas des insurgés. À cette recherche de la protection des vies civiles s'ajoute l’emploi de la force minimale, l’effet Galula (« la règle est de faire un usage de la force aussi limité que possible ») nécessitant un changement des mentalités pour briser le cercle vicieux d'aliénation : plus d’insurgés tués = plus de nouveaux insurgés.

Déjà au Vème siècle avant J.-C., Sun Zu préconisait : « empêcher que les hameaux et les chaumières des paysans ne souffrent le plus petit dommage, c’est ce qui mérite également votre attention ». Mais par contre bien mal compris, l’un de ces autres enseignements serait lui aussi pleinement intégré par les opinions publiques : « il faut contraindre l’ennemi à abandonner la lutte, si possible sans combat. Un habile général sait l’art d’humilier ses ennemis ; sans répandre une goutte de sang, sans tirer même l’épée ». Donc par un ensemble de procédés, la victoire peut et doit être acquise sans pertes donc sans combat (car pour mémoire, lors d’un combat, il y a emploi du feu et finalement de possibles pertes). Mais ce serait utopiste et excessif (je pourrais appeler Hobbes à la rescousse : « l’homme est un loup pour l’homme ») de croire en la faisabilité de cette extrémité. Cela n'empêche pas pourtant de tout faire pour y tendre. Sun Zu ajoutant de plus : « ne différez pas de livrer le combat, n’attendez pas que vos armes contractent la rouille, ni que le tranchant de vos épées s’émousse ».

Crédits photos: rassurez vous, Mars Attaque ne change pas de ligne éditoriale, mais une telle illustration me semble assez percutante... www.sonshi.com