jeudi 29 juin 2017

Armées - Que pourrait donner la future revue stratégique ? (+MAJ)

Alors que les premières indications sur lancement d’une revue stratégique conduite sous l’autorité du ministère des Armées ont été officiellement annoncées aujourd’hui, quels en sont les enjeux et quels peuvent en être les résultats ?

Présidée par le député Arnaud Danjean et prévue pour être théoriquement présentée en conseil de défense et de sécurité nationale en octobre, cette revue doit permettre d’orienter, par ses décisions (il s’agira donc de choisir, et potentiellement donc de renoncer…), la rédaction dans les 6 mois d’une loi de programmation militaire (LPM). Les bornes temporelles de cette dernière doivent être encore précisées, avec un début de re-calage ou non sur les années de quinquennat 2017-2023 quand l’actuelle LPM courait, avant son actualisation, de 2014 à 2019, soit à cheval sur deux quinquennats présidentiels.
 

Si la lettre de mission pour cette revue n’est pas encore connue (au-delà de « sur la base de nos intérêts de défense et de sécurité nationale, elle définira nos ambitions en matière de défense et en déduira les aptitudes requises pour nos forces »), elle sera menée sous l’autorité du ministère des Armées. Elle ne semble donc pas être menée de manière concomitante, pour le moment, avec des efforts similaires d’orientations et de planification dans d’autres ministères (Intérieur, Affaires européennes et étrangères, Transition écologique et solidaire, Cohésion des territoires, etc.) ou un cadrage de « stratégie intégrale » émanant de l’Elysée (au delà d'un futur discours de politique générale du Premier ministre).

L’objectif est bien de déboucher à terme sur un ensemble d’aptitudes à maitriser (à maintenir par rapport aux actuelles ou à développer suite à des lacunes) par parvenir à un modèle de forces, qui reste à définir (complet ou non, c’est-à-dire capable d’opérer sur tout le spectre des opérations, dépassant ou non les structures « traditionnelles » d’organisation actuelles). Ce dernier doit de plus être pérenne. La pérennité étant un des objectifs à atteindre, pour que, contrairement à aujourd’hui, l’outil ne se dégrade pas plus vite qu’il ne se régénère, que le capital hommes/matériels/expériences se maintienne, voir se renforce. Il s’agira dans le cadre de cette revue de donner la juste place à l’enveloppe budgétaire de 2% du PIB consacrés à la Défense, en euros courants, à l’horizon 2025 (soit au quinquennat suivant), hors pensions et hors opérations extérieures, dans le travail en boucle ambitions-aptitudes-moyens. Surtout que, la bosse budgétaire des programmes lancées mais non financées, celle du report de charges (la dette interne vis-à-vis des fournisseurs) et les besoins simplement nécessaires pour faire tourner le système en l’état pourraient bien à eux seuls, si aucun choix n’est fait, prendre tous les moyens supplémentaires disponibles.

Ainsi, quelles pourraient être, de manière non exhaustive, les grandes orientations à définir ?

A la lumière du contexte stratégique, relativement bien décrit dans le Livre blanc de 2013 (menaces de la force, risques de la faiblesse, etc.), sur lequel la revue stratégique ne devra pas s’appesantir, quels définitions de nos intérêts ? Quelles orientations stratégiques pour les armées ? Quels centres d’intérêts ? Quelles zones prioritaires ? Quel équilibre Afriques vs. Moyen-Orient ? Quelles ambitions en Asie ? De ces objectifs, nos besoins et nos alliances (déclaratoires mais surtout opérationnelles), en termes de Défense, s’articuleraient (basées sur nos avantages concurrentiels à promouvoir et nos besoins pour combler certaines faiblesses). 

Autour des possibles axes de cohérence stratégique (promouvoir et défendre nos intérêts et répondre au mieux aux champs des possibles), d’autonomie stratégique (connaissance-décision-action) et de mutualisation stratégique (jusqu’à où devons-nous et pouvons-nous faire seul et avons-nous besoin des autres), des priorités dans les objectifs et les missions devront être définies, permettant ensuite d’organiser à moyen terme la stratégie des moyens (humains et matériels) via des aptitudes (l'ensemble hommes, matériels, infrastructures, doctrines, expériences, etc.) à définir et donc la juste nécessité devra être pesée pour chacune d'entre elle : dissuasion, intervention, sécurisation, assistance, surveillance, formation, etc. 

Au premier rang, et devant être en tête des priorités, apparaissent les hommes et femmes du ministère, que cela soit en termes de reconnaissance, de garantir leur capacité à durer et à renforcer le modèle de forces, de promotion sociale, d’attractivité, de prise en compte des familles, d’influence au sein de la société, d’attention aux anciens combattants de la nouvelle génération de feu (potentiellement de manière concertée avec d’autres corps en uniforme), de réserves (et plus globalement de Garde Nationale) et de liens avec tous les acteurs évoluant en périphéries (associations, entreprises, etc.).

En effet, le ministère des Armées et ses composantes agissent dans un système, parfois complexe, de relations avec un certain nombre d’entités qui concourent toutes à différentes échelles à un certain nombre de politiques publiques (Sécurité, Environnement, Diplomatie, Export, etc.). Dans ce cadre, un certain nombre de relations pourrait être améliorée : relations Intérieur-Armées dans le contre-terrorisme et la réalité du continuum Défense-Sécurité avec la part à prendre en charge par telle ou telle composantes (opération Sentinelle, « pôles de compétences » de certains services de renseignement, positionnement des Armées vis-à-vis des enjeux de Cohésion et d’Education autour du service national, etc.). Afin notamment que les efforts soient partagées selon les moyens et les compétences. Ces missions et ces relations découlent d’une vision régalienne de l’Etat, de ce qu’il est possible et souhaitable que l’Etat fasse (d’où une vision qui en découle sur la question de l’externalisation ou de l’apport des autres acteurs) et que chaque composante de cet Etat fasse.

Des aptitudes, et de leur degré de maitrise actuelle, découleront des orientations sur les programmes (dits à effets majeurs, marquants politiquement, ou dits de cohérence opérationnelle, moins marquants mais répondant parfois plus à des priorités) qui ne devront pas forcément être datées avec précisions à ce stade, mais qui devront être organisés par ordre de priorités (selon des critères à définir : participation à la promotion et défense de nos intérêts / urgences / maturité / etc.). Un certain nombre de feuilles de route devront être réalisés : aspects techniques de la dissuasion nucléaire dans sa composante aéroportée et l'équilibre vis-à-vis des moyens conventionnels non dédiés, maintien en condition opérationnelle (entre mieux dépenser et non forcément plus dépenser pour l'entretien programmé du matériel - maintenance, pièces, etc. - et l'activité opérationnelle - carburant, munitions, etc.), composante renseignement et C2 aéroportée (FCAS, MALE 2020, AWACS, CUGE, etc.), composante non habitée de l’aviation de combat, supériorité aéronavale, bulle aéroterrestre et robotisation, cyber attaque/défense stratégique et tactique, intelligence artificielle / big data, etc. De cela découlera ensuite les précisions sur : 0, 1 ou 2 porte-avions, Tranche 5 du Rafale, navires de souveraineté BATISMAR, pétroliers ravitailleurs FLOTLOG accélération et revues des cibles finales des avions ravitailleurs MRTT, de transport A400M, des blindés Scorpion, des hélicoptères HIL, renouvellement des moyens spatiaux d’observation, d’écoute et de surveillance des situations spatiales (GRAVE et SIS), etc. 

Plus globalement, toutes orientations pour répondre plus rapidement (et non seulement en "urgences opérations") devront être prises (la supériorité sur l’adversaire se faisant également par la rapidité des cycles d’acquisition, et donc d’adaptation). Dans le cadre des relations Etats-entreprises, des orientations pourraient être indiquées pour de futures modifications législatives sur les contrats gouvernement à gouvernement, le soutien à l’export (couts des démonstrations, formation, etc.), les filières de souveraineté à soutenir ou développer, la place de l'Etat actionnaire dans certaines entreprises, etc. Les orientations en matière de R&T devront également être formalisées, en s’appuyant sur les plans d’orientation de la S&T (Science, recherche, technologie et innovation de défense), pour fournir des priorités de financements des études amonts (aujourd’hui autour de 730M€ demain sans doute au-dessus de 1Md€). Avec un effort dans les domaines où le dual est parfois une chimère et où le financement du passage des applications civiles vers le militaire est couteux.

Les trois grands termes de cette revue seront donc bien : ambitions, choix et priorités. Pour cela, au-delà de l’audit-constat sur nos forces et nos faiblesses, encore faudra-t-il que des choix soient proposés. Une des difficultés des exercices précédents similaires (type Livre blanc de 2008 ou 2013), où il s’agissait bien souvent soit de faire coïncider plus ou moins bien les ambitions à nos moyens (et non l’inverse), soit de trancher entre des non-choix, tant les propositions faites étaient repoussantes, et non sincères. Aux états-majors et services de proposer le plus rapidement possible ces choix, pour une revue sincère. Surtout que ces choix existent dans les couloirs et les cartons depuis qu’ils se sont mis en ordre de marche, il y a quelques mois. En effet, la posture des mois passés d’exiger et de marteler le besoin des fameux 2% du PIB pour le budget de la Défense était parfois trop déconnectée des éléments répondant aux questions : « pourquoi faire ? », « comment ? » et « avec quoi ? ». La revue devra y répondre au mieux. De quoi garantir des vacances et permissions estivales studieuses à certains...

MAJ 1 : des précisions sur la composition du comité de rédaction, les ambitions (restreintes aux Armées et peu aux relations Armées/autres, certains diront réalistes dans le temps donné), et la manière de procédé : Arnaud Danjean est chargé de la revue stratégique (Secret Défense).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Même si le texte d'une nouvelle Loi de Programmation Militaire serait rédigé dans un délais de 6 mois à compter d'octobre 2017, il faudrait encore plusieurs mois de discussions voire d'amendements parlementaires avant que cette LPM soit adoptée et qu'elle n'entre en vigueur.
Il faudrait aussi voter l'abrogation de l'actuelle LPM 2014/2019 pour en établir une nouvelle en 2019 [2019/2024] ou en 2018 [2018/2023].
_Est-ce vraiment utile, surtout au début de ce nouveau mandat quand l'actuel gouvernement aura du mal à trouver son équilibre budgétaire et qu'il peut annuellement allouer des crédits supplémentaires au budget des Armées sans passer par une nouvelle LPM, la Revue Stratégique servant aussi à appuyer ce type démarche ?