mercredi 16 septembre 2020

Beau livre en préparation - "Covid19, ce que veut dire être soignant", par Sandra Chenu Godefroy et Jean-Luc Riva

"En quoi consistait vraiment cet engagement des soignants ?"

Par la photo et par les textes, c'est cette histoire de la 1ère vague Covid, au sein de l’hôpital militaire Bégin à Saint-Mandé (94), que proposent de restituer la photographe d'action Sandra Chenu Godefroy, spécialiste en capture de regards qui en disent long, et l'auteur Jean-Luc Riva, celui qui met des mots sur des vocations enfouies dans le cœur d'hommes et femmes engagés.

Ce projet de beau livre fait l'objet actuellement d'une campagne de financement participatif. Pour que le souvenir de cet engagement, suivi au long cours, reste. Et pas uniquement dans la tête et le corps de ceux qui étaient sur cette première ligne, ou de leurs proches. Pour se rappeler la contribution auprès des ces civils touchés par le virus de ces membres du Service de Santé des Armées.

Des témoignages, des parcours et des textes. Des regards, des ambiances et un engagement impressionnant, éreintant, qui transparaît. Et aussi découvrir ce petit plus qui fait que cet hôpital particulier n'était sans doute pas totalement comme tous les autres. 

Découvrir "le truc en plus" des militaires en période de crise, l'habitude d'anticiper les problèmes logistiques avant qu'elles ne surviennent, de chercher des solutions alternatives "faisant-fonction de", de s'adapter en mode dit "dégradé". De faire avec, et autrement. Ou quand les consommables nécessaires aux prélèvements nasaux ont manqué (parce que fabriqués en Asie ou en Italie ), et que les techniciennes du laboratoire se sont retrouvées à démonter un millier de kits de prélèvement urinaire pour récupérer le bâtonnet présent (de taille et forme similaire aux bâtonnets nasaux) et ainsi confectionner un millier de kits PCR, en urgence, en faisant avec ce qu'il y a. Et cette première ligne a tenu. Et des dizaines d'autres anecdotes du quotidien sur cette adaptation permanente.

Un beau projet, un projet fort (1€ par ouvrage vendu sera également reversé au Bleuet de France, qui soutient les familles de soignants victimes du devoir, comme il soutient les veuves de guerre et les victimes du terrorisme, les familles des militaires tués ou blessés en opérations) et un projet à soutenir : c'est ici sur KissKissBankBank. A faire savoir !

jeudi 10 septembre 2020

Entretien avec Samuel B.H. Faure - Pourquoi tel ou tel programme d'armement est lancé avec tel ou tel partenaire, avec ou sans l'Europe ?

Entretien avec Samuel B.H. Faure, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, chercheur associé au laboratoire CNRS Printemps (Université Paris-Saclay) et expert-référent à l’IHEDN, autour de la sortie de son nouveau livre, Avec ou sans l’Europe. Le dilemme de la politique française d’armement (Éditions de l’Université de Bruxelles, 2020). Nous le remercions vivement d'avoir répondu longuement et de manière fort didactique à nos questions sur son ouvrage, et sur l'actualité de cette politique française de l'armement. 

1/ Un des apports de vos travaux, qui s’appuie sur plus de 150 entretiens avec des ministres, chefs d’état-major, conseillers, ingénieurs de l’armement, industriels…, est de montrer que le "complexe militaro-industriel" n’existe pas. Ou du moins pas comme il est souvent entendu (un bloc très monolithique). Comment arrivez-vous à cette conclusion d’un ensemble beaucoup plus fracturé et en recomposition permanente que l’image commune qui en est faîte ? 

J’ai obtenu ce résultat à la suite… de deux ans d’enquête au cœur du monde de l’armement et d’une recherche qui m’aura finalement occupé pendant une décennie ! N’étant pas un théoricien ou un philosophe du politique mais un sociologue des élites et de l’action publique, ce qui me passionne n’est pas de définir ce qui devrait être, mais de révéler ce qui est, en "chassant les mythes" pour reprendre le joli mot du sociologue allemand, Norbert Elias. 

Dans le cas de la politique française d’armement, la prise de décision étatique semble tellement évidente que son explication ne se discute pas. Ça va de soi que l’avion de combat Rafale ait été réalisé en "Made in France" dans le contexte de la guerre froide des années 1970 et 1980. C’est évident que l’avion de transport militaire A400M résulte d’une coopération européenne dans le contexte du renforcement de la défense européenne à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Bien sûr qu’il ne pouvait y avoir que l’importation du drone américain Reaper pour armer la France dans le contexte de la lutte contre le terrorisme islamiste des années 2010. 


Or, quand vous commencez à vous intéresser de près à ces décisions d’État, vous comprenez progressivement que ces narratifs linéaires résultent de reconstructions a posteriori. Ces histoires peuvent être utiles à légitimer l’action de certains acteurs, mais sont, tel un épais brouillard, non seulement inutiles mais gênants pour améliorer notre compréhension de la politique française d’armement. 

Pour parvenir à cet objectif, j’ai conduit, comme vous le rappelez, de nombreux entretiens avec les élites de l’armement qui gouvernent ce secteur d’action publique et cette industrie depuis les années 1970 : plus de 250 heures d’entretiens ont été réalisées correspondant à près de 1.000 pages de retranscription. Pourquoi ? Si l’on veut comprendre la manière dont est gouvernée et structurée une politique publique, il faut passer du temps avec celles et ceux qui l’élaborent au quotidien, en les interrogeant, en les écoutant, en leur apportant la contradiction, sans imposer a priori une thèse, un argument, une idée. Ou alors, on change de registre : il ne s’agit plus de rédiger un livre de sciences sociales pour expliquer un phénomène politique, mais d’écrire un essai pour défendre une opinion. 

C’est comme cela que j’ai construit au fil de ces entretiens, de mes lectures, de mes observations, la thèse du "clash des élites" de l’armement qui est au cœur de mon dernier livre Avec ou sans l’Europe. Le dilemme de la politique française d’armement. Bien sûr, ce travail d’enquête qualitative au sein d’un domaine d’action publique sensible et stratégique est long, difficile et peut être frustrant, mais je ne vois pas d’autres "méthodes" pour saisir un fait social aussi complexe et protéiforme que la prise de décision étatique pour armer la France.