mardi 17 novembre 2020

Le 2ème REP en 2020 - A la manière des anciens, des légionnaires parachutistes prêts à bondir

Les premières neiges qui recouvrent le Monte Cinto, sommet qui se détache de la chaine de montagnes, sont en arrière-plan. Dans le dos, un terrain militaire sablonneux se devine, qui annonce quelques mètres plus loin la plage qui court le long du Golfe de Calvi sur la Méditerranée. A droite, l’aéroport Sainte-Catherine, troublé par les décollages d’un avion qui, plusieurs fois dans la journée, larguera une dizaine de commandos dérivant lentement sous leur voile. Collée à la clôture du camp, la vaste zone de saut, alors tondue par un paisible troupeau de moutons noirs et blancs, clin d’œil involontaire à la couleur des képis portés par les cadres (pour le noir) et légionnaires (pour le blanc). A gauche, le mémorial pour tous les légionnaires parachutiste morts pour la France depuis 1948, date de création de la première unité de légionnaires parachutistes (la compagnie parachutiste du 3e Régiment Etranger d’Infanterie), et, un peu derrière, le mémorial des légionnaires parachutistes morts en service aérien commandé. En face, le poste de commandement, placé derrière le monument aux morts. Derrière, l’alignement des bâtiments des différentes compagnies de combat. Dès l’entrée du Camp Raffalli, le décor est planté, résumant l’histoire et la raison d’être du régiment. Une unité de légionnaires, plus précisément de légionnaires parachutistes, utilisant pleinement l’insularité de leur garnison corse, terrain d’entraînement vaste et diversifié, pour se préparer aux opérations de combat d’aujourd’hui et de demain. Un régiment prêt à se déployer dans l’urgence. 


Place d’armes régimentaire avec le mat des couleurs. Drapeau français en berne, à mi-mat, en cette journée nationale d’hommage en mémoire de Samuel Paty. Crédits : FSV / MA. 
 
Agir dans la continuité dans le cadre de la vision stratégique de l’armée de Terre

Décliner au niveau régimentaire la récemment dévoilée vision stratégique "Supériorité opérationnelle 2030" du chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) vient plus confirmer les orientations et exigences du régiment, que les révolutionner. Dans cette feuille de route, le général Thierry Burkhard indique sa volonté de "hausser le niveau d’exigence de la préparation opérationnelle, pour forger des hommes capables de combattre jusque dans les champs les plus durs de la conflictualité".

vendredi 30 octobre 2020

Lecture - "L'Histoire méconnue du Soldat inconnu", par Christophe Soulard-Coutand

Qui sait qu'il faudra attendre que la presse française apprenne fortuitement en octobre 1920 que les Britanniques envisagent d'honorer un "Soldat inconnu" pour que la classe politique française, après bien des tergiversations, fasse enfin déboucher un dossier trainant depuis 1918 ?

Qu’une fois validé début novembre 1920, cela sera en moins de 10 jours que tout sera décidé, du mode de désignation au choix de l’emplacement (le Panthéon ayant tenu la corde pendant longtemps, avant de céder face à l'Arc de Triomphe ) en passant par le déroulé de la cérémonie de  ce 11 novembre particulier ?

Que ce n'est que le 28 janvier 1921, l'année suivant cette inhumation provisoire donc, que ce Poilu inconnu sera finalement inhumé définitivement, après, là aussi, encore bien des débats, bien français, où "il était pressant d’attendre" ?

Que ce symbole du "Soldat inconnu", au-delà de la France et de la Grande Bretagne (où il est enterré "parmi les Rois" à Westminster), sera repris par plusieurs pays depuis lors, de la Bulgarie à l’Espagne, ou encore très récemment (en 2000) par le Canada ?

A quelques jours des 100 ans du choix du Soldat inconnu, c'est avec simplicité et précision que Christophe Soulard-Coutand, journaliste, officier de réserve et déjà auteur de plusieurs ouvrages historiques (sur l’opération Frankton, raid audacieux en kayak en 1942 sur Bordeaux, ou sur les Parlementaires morts pour la France, etc.), nous raconte cette Histoire méconnue du Soldat inconnu français (ouvrage paru récemment aux Éditions du Felin). 
 

Pas de longues digressions analytiques, mais une narration accessible qui permet de s'immerger dans l'ambiance de l'époque et de découvrir ce long cheminent ayant conduit à cette mise à l’honneur de cet anonyme qui représente les 300.000 disparus, mais plus largement les quelques 1,5 millions de soldats français morts durant la guerre. "Ce héros commun" (et non uniquement les grandes figures de chefs) comme le rappelle dans la préface l’actuel chef d’état-major des Armées, le général François Lecointre. Ce soldat héros et non victime, liant ainsi ceux d’hier et les volontaires d’aujourd’hui.

samedi 24 octobre 2020

Lecture - "Retour de la colline du désespoir" - Récit d'opérations du petit monde du renseignement humain, par Ulice Lombard

"L'opération Gregale, planifiée et menée conjointement du 21 au 28 mars dans le Sud de la vallée de Tagab par le Kandak 34 de l'armée nationale afghane (ANA), conseillé par une OMLT française, et par la Task Force Altor, a pour but d'accroitre le contrôle de la zone s'étendant au Sud du parallèle 46, tout en posant des jalons pour une meilleure maîtrise de la vallée plus au Nord, dans la direction du village de Tagab" : voici comment commençait le compte-rendu officiel, laconique, d'une opération majeure menée il y a plus de 10 ans en Afghanistan, en mars 2010, par les militaires français et afghans. Pas un mot sur une quelconque prise à partie par des "insurgés". Lire le récent livre "Retour de la colline du désespoir", c'est réaliser une plongée au plus près des opérations, dans le quotidien de cette période afghane qui a marqué, parfois durement, toute une génération de militaires. Notamment cette opération là, racontée par l'auteur, avec une phase de désengagement d'un point haut particulièrement risquée et marquante (d'où en partie le titre de l'ouvrage). Et cela sous le feu. C'est découvrir un tout autre point de vue.


C'est une plongée très précise que l'auteur de l'ouvrage, adjudant-chef écrivant sous pseudo, offre via ce récit d'opérations. Une plongée d'une certaine façon violente, autant par les faits racontés que par les interpellations, directes et indirectes, que l'auteur fait au lecteur. Que ce dernier soit militaire, quelque soit son grade ou son unité d'origine, ou civil, concerné ou non par les questions militaires. C'est en apprendre plus sur une petite partie du quotidien de cette génération afghane, cette génération qui a connu le feu qui tue, ou au moins qui marque et transforme. Une génération déjà, hélas, presque oubliée, qui remplaçait la génération ivoirienne, et qui est déjà remplacée par une autre, sahélienne, en attendant peut être une suivante. Une génération qui se laisse découvrir, en offrant ici une plongée singulière dans le très petit monde, discret, du renseignement humain : "ces capteurs spécialisés non issus du monde des forces spéciales". Comme nous le confie l'auteur, "c'est un livre à plusieurs niveaux de lecture, où chacun devrait pouvoir saisir différents points et trouver un intérêt à différents titres".

mercredi 7 octobre 2020

Elika Team – Le parcours du combattant d’une première levée de fonds réussie

Réussir à boucler une première levée de fonds en période de confinement. Avec cinq investisseurs (publics ou privés) tous basés en France sans céder aux sirènes étrangères. En étant une start-up évoluant dans le monde de la Défense de la Sécurité, secteur perçu comme "à risques" (compliance, image, faible rendement…) par les acteurs bancaires et financiers. Sans travestir sa volonté de demeurer une entreprise responsable en œuvrant au profit des militaires blessés (embauchés et soutenus). Tout en proposant une innovation de services perçue comme moins "tendance" qu’une innovation purement technologique. Cinq gageures relevées récemment avec succès par la société Elika Team.


Un entrainement linguistique opérationnel adapté

Start up intergénérationnelle (mère-fille) fondée en 2015, Elika Team propose une offre dans le domaine de l’ingénierie linguistique, avec une méthode innovante d’apprentissage des langues (aujourd’hui l’Anglais et le Français langue étrangère, demain l’Arabe littéral et d’autres langues à l’étude). Et cela appliqué au monde de la Défense et de la Sécurité (forces armées et de sécurité notamment, françaises mais également avec des premières approches à l’étranger, et également, dans le cadre d’un développement horizontal, avec des pistes vers les sociétés privées œuvrant notamment à l’international dans le domaine de la sécurité et de la sureté). Afin d’avoir une solution répondant aux codes propres du secteur, ses besoins spécifiques, son argot ou encore sa passion des acronymes…

Les premières formations ont débutée en 2015, quelques jours après l’enregistrement de la structure, avec les forces spéciales françaises pour développer la maitrise de l’Anglais (vu l’environnement interallié des opérations menées alors) des contrôleurs aériens avancés (FAC pour Forward Air Controller ou JTAC pour Joint Terminal Attack Controller). Ces derniers sont en charge de l’intégration de la composante aérienne dans la manœuvre des troupes au sol (demande d’appui-feu, guidage, évacuation aérienne,  demande de renseignement, déconfliction entre les différents avions, hélicoptères ou drones, etc.), et sont donc au contact permanent (texte ou radio) avec des militaires de différentes nationalités. 

Crédits : FSV / Mars Attaque.

Plus précisément, un régiment de forces spéciales terrestres (puis plusieurs) souhaitait revoir la préparation des stagiaires envoyés au centre de formation à l’appui aérien (CFAA), centre basé à Nancy qui délivre les formations dans le domaine. Des formations qui nécessitent une bonne maitrise de l’Anglais opérationnel, pour agir clairement et distinctement, avec le stress des opérations (parfois en 1ère ligne au milieu des combats). Le taux d’échec était jusqu’alors trop élevé (de l’ordre de 50%), ne permettant pas de renouveler les diplômés, réduisant donc la capacité opérationnelle du régiment et monopolisant des éléments, rares, sur des formations finalement non validées. Suite aux préparations par les formateurs d’Elika Team (pour certains anciens diplomés, et plus largement anciens aviateurs ou forces spéciales), le taux de réussite est monté rapidement à 100%. Permettant un emploi immédiat de ces opérateurs diplômés, qui partiront quelques mois après en mission au Levant (Task Force Hydra) ou au Sahel (Task Force Sabre). Un partenariat avec Elika Team que l'Etat-Major du Commandement des Opérations Spéciales (COS) décrit comme "ayant déjà donné satisfaction à certaines de nos unités [..] C'est pourquoi nous manifestons un intérêt réel pour les solutions qu'elle offre, notamment cette nouvelle fonctionnalité destinée aux opérateurs des unités spécialisées". Avec une formation qui se diversifie.

jeudi 1 octobre 2020

Impression 3D au sein des armées - "Patience et longueur de temps font..."

Réussir à garantir l’intégrité et la conformité des plans des pièces produites en impression 3D ou sécuriser un modèle économique de la fabrication additive entre industriels détenteurs de la propriété intellectuelle et producteurs des pièces imprimées sont-ils des verrous technologiques et procéduriers en passe d’être levés ?

En quelques mois, le déploiement de manière incrémentale de la fabrication additive au sein des forces armées, et notamment de l’armée de Terre, a encore progressé depuis le dernier point publié. Et certaines solutions ont permis d’apporter des pistes prometteuses de réponses à ces verrous.

A quelques jours de la Présentation des Capacités de l'Armée de Terre (PCAT) du 8 octobre et à quelques semaines du Forum Innovation Défense (FID) du 19 au 21 novembre, où les apports de l’impression 3D seront notamment présentés, retours sur ces avancées. Avec des initiatives lancées avant l'épidémie de la COVID-19, la crise venant confirmer leurs intérêts et accélérer leur déploiement.

Bâtir une (block)chaine de confiance entre tous les acteurs

Dans le cadre d’une expérimentation grandeur nature menée en opération extérieure, la solution MainChain de l’éditeur français de logiciels Vistory a permis de garantir la sécurité de bout en bout du processus de production des pièces de rechange imprimées, d’assurer la traçabilité des pièces produites, et de valider un outil indispensable à la mise en place d’un modèle économique où tous les acteurs y trouvent leur compte
 
 
Et dans un délai très réduit (environ 6 mois) : une 1ère rencontre informelle avec l’armée de Terre (particulièrement la SIMMT, structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, tête de pont de la maintenance terrestre) en septembre 2019, la signature en décembre d’un contrat de démonstration de faisabilité, avec le soutien de l’Agence pour l’innovation de défense (AID), le déploiement en février 2020 sur l’opération Barkhane (à N'Djaména, au Tchad), jusqu'à la validation des résultats et des enseignements en mai.

Cette solution est basée sur l’usage de la blockchain (technologie décentralisée, donc plus sécurisée dès lors que chacun des utilisateurs détient une partie de la validation algorithmique, de stockage et de transmission d’informations, avec différentes briques de sécurisation : cryptologie, base de données SQL, etc.). Une blockchain privée, limitée à certains utilisateurs : SIMMT, industriels et fournisseurs des fichiers de CAO (Conception assistée par ordinateur) comme Nexter et Arquus, fournisseurs d’imprimantes comme Prodways, et utilisateurs finaux qu’étaient le détachement de la 13è BSMAT à Tulle et le détachement déployée au Tchad. Et une blockchain basée sur le protocole Ethereum, qui permet la création de contrats (avec des microprogrammes exécutant automatiquement des conditions définies en amont).

mercredi 16 septembre 2020

Beau livre en préparation - "Covid19, ce que veut dire être soignant", par Sandra Chenu Godefroy et Jean-Luc Riva

"En quoi consistait vraiment cet engagement des soignants ?"

Par la photo et par les textes, c'est cette histoire de la 1ère vague Covid, au sein de l’hôpital militaire Bégin à Saint-Mandé (94), que proposent de restituer la photographe d'action Sandra Chenu Godefroy, spécialiste en capture de regards qui en disent long, et l'auteur Jean-Luc Riva, celui qui met des mots sur des vocations enfouies dans le cœur d'hommes et femmes engagés.

Ce projet de beau livre fait l'objet actuellement d'une campagne de financement participatif. Pour que le souvenir de cet engagement, suivi au long cours, reste. Et pas uniquement dans la tête et le corps de ceux qui étaient sur cette première ligne, ou de leurs proches. Pour se rappeler la contribution auprès des ces civils touchés par le virus de ces membres du Service de Santé des Armées.

Des témoignages, des parcours et des textes. Des regards, des ambiances et un engagement impressionnant, éreintant, qui transparaît. Et aussi découvrir ce petit plus qui fait que cet hôpital particulier n'était sans doute pas totalement comme tous les autres. 

Découvrir "le truc en plus" des militaires en période de crise, l'habitude d'anticiper les problèmes logistiques avant qu'elles ne surviennent, de chercher des solutions alternatives "faisant-fonction de", de s'adapter en mode dit "dégradé". De faire avec, et autrement. Ou quand les consommables nécessaires aux prélèvements nasaux ont manqué (parce que fabriqués en Asie ou en Italie ), et que les techniciennes du laboratoire se sont retrouvées à démonter un millier de kits de prélèvement urinaire pour récupérer le bâtonnet présent (de taille et forme similaire aux bâtonnets nasaux) et ainsi confectionner un millier de kits PCR, en urgence, en faisant avec ce qu'il y a. Et cette première ligne a tenu. Et des dizaines d'autres anecdotes du quotidien sur cette adaptation permanente.

Un beau projet, un projet fort (1€ par ouvrage vendu sera également reversé au Bleuet de France, qui soutient les familles de soignants victimes du devoir, comme il soutient les veuves de guerre et les victimes du terrorisme, les familles des militaires tués ou blessés en opérations) et un projet à soutenir : c'est ici sur KissKissBankBank. A faire savoir !

jeudi 10 septembre 2020

Entretien avec Samuel B.H. Faure - Pourquoi tel ou tel programme d'armement est lancé avec tel ou tel partenaire, avec ou sans l'Europe ?

Entretien avec Samuel B.H. Faure, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, chercheur associé au laboratoire CNRS Printemps (Université Paris-Saclay) et expert-référent à l’IHEDN, autour de la sortie de son nouveau livre, Avec ou sans l’Europe. Le dilemme de la politique française d’armement (Éditions de l’Université de Bruxelles, 2020). Nous le remercions vivement d'avoir répondu longuement et de manière fort didactique à nos questions sur son ouvrage, et sur l'actualité de cette politique française de l'armement. 

1/ Un des apports de vos travaux, qui s’appuie sur plus de 150 entretiens avec des ministres, chefs d’état-major, conseillers, ingénieurs de l’armement, industriels…, est de montrer que le "complexe militaro-industriel" n’existe pas. Ou du moins pas comme il est souvent entendu (un bloc très monolithique). Comment arrivez-vous à cette conclusion d’un ensemble beaucoup plus fracturé et en recomposition permanente que l’image commune qui en est faîte ? 

J’ai obtenu ce résultat à la suite… de deux ans d’enquête au cœur du monde de l’armement et d’une recherche qui m’aura finalement occupé pendant une décennie ! N’étant pas un théoricien ou un philosophe du politique mais un sociologue des élites et de l’action publique, ce qui me passionne n’est pas de définir ce qui devrait être, mais de révéler ce qui est, en "chassant les mythes" pour reprendre le joli mot du sociologue allemand, Norbert Elias. 

Dans le cas de la politique française d’armement, la prise de décision étatique semble tellement évidente que son explication ne se discute pas. Ça va de soi que l’avion de combat Rafale ait été réalisé en "Made in France" dans le contexte de la guerre froide des années 1970 et 1980. C’est évident que l’avion de transport militaire A400M résulte d’une coopération européenne dans le contexte du renforcement de la défense européenne à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Bien sûr qu’il ne pouvait y avoir que l’importation du drone américain Reaper pour armer la France dans le contexte de la lutte contre le terrorisme islamiste des années 2010. 


Or, quand vous commencez à vous intéresser de près à ces décisions d’État, vous comprenez progressivement que ces narratifs linéaires résultent de reconstructions a posteriori. Ces histoires peuvent être utiles à légitimer l’action de certains acteurs, mais sont, tel un épais brouillard, non seulement inutiles mais gênants pour améliorer notre compréhension de la politique française d’armement. 

Pour parvenir à cet objectif, j’ai conduit, comme vous le rappelez, de nombreux entretiens avec les élites de l’armement qui gouvernent ce secteur d’action publique et cette industrie depuis les années 1970 : plus de 250 heures d’entretiens ont été réalisées correspondant à près de 1.000 pages de retranscription. Pourquoi ? Si l’on veut comprendre la manière dont est gouvernée et structurée une politique publique, il faut passer du temps avec celles et ceux qui l’élaborent au quotidien, en les interrogeant, en les écoutant, en leur apportant la contradiction, sans imposer a priori une thèse, un argument, une idée. Ou alors, on change de registre : il ne s’agit plus de rédiger un livre de sciences sociales pour expliquer un phénomène politique, mais d’écrire un essai pour défendre une opinion. 

C’est comme cela que j’ai construit au fil de ces entretiens, de mes lectures, de mes observations, la thèse du "clash des élites" de l’armement qui est au cœur de mon dernier livre Avec ou sans l’Europe. Le dilemme de la politique française d’armement. Bien sûr, ce travail d’enquête qualitative au sein d’un domaine d’action publique sensible et stratégique est long, difficile et peut être frustrant, mais je ne vois pas d’autres "méthodes" pour saisir un fait social aussi complexe et protéiforme que la prise de décision étatique pour armer la France. 

mardi 21 juillet 2020

Entretien - Enjeux géopolitiques et stratégiques des bases militaires avancées, avec Morgan Paglia

Chercheur au Centre des Etudes de Sécurité de l'IFRI, Morgan Paglia a publié récemment une étude sur les bases militaires avancées (après, notamment, deux études co-écrites sur les proxys de l’Iran au Moyen-Orient, et l’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté). Il a bien voulu répondre à quelques une de nos questions à ce sujet (co-publiées sur le blog Ultima Ratio). Nous le remercions. 

1/ Quelle "prise en tenaille", géopolitique et technologique, menacerait aujourd'hui les bases avancées à l'étranger ? Quelle est d'ailleurs la menace principale ? 

Géopolitiquement et stratégiquement, il me semble prématuré de parler de "prise en tenaille" car chaque base a une position spécifique et doit donc faire l’objet d’une analyse particulière en fonction du théâtre d’opération et des menaces éventuelles. En revanche, il est certain que l’équation stratégique dans laquelle s’inséraient les bases avancées depuis la fin de la Guerre froide est en train de changer et, avec elle, le rapport coût/bénéfice de l’accès stratégique qu’elles permettent d’obtenir.


Géopolitiquement, la période actuelle est marquée par l’émergence de nouvelles puissances non seulement désireuses d’acquérir des points d’appui (Chine, Russie, Turquie notamment) mais aussi d’établir des zones d’influence. Et cette dynamique a déjà un impact sur l’accès stratégique. En 2016-2017, la compétition Chine-Etats-Unis a failli avoir raison de l’installation du système anti-missile THAAD en Corée du Sud et ce n’est qu’au prix de lourdes pertes économiques que Séoul a pu installer ce système que Pékin jugeait contraire à ses intérêts. Il est possible qu’il devienne plus difficile d’accéder à des zones d’intérêts pour la France étant donné cette compétition et les outils non militaires que certains sont prêts à mettre en œuvre pour infléchir les décisions des pays hôtes. 

Au plan opérationnel, l’émergence de nouvelles puissances étatiques et non-étatiques dotées de moyens accrus capables de menacer les forces pré-positionnées est également une tendance notable. Des pays comme la Chine, la Russie, ou l’Iran ont développé des arsenaux de missiles balistiques ou des missiles de croisières à la portée et à la précision accrues. La publicité faite par l’Armée Populaire de Libération sur le missile DF-26 - réputé capable de frapper Guam - ou les frappes iraniennes sur les bases américaines intervenues début janvier 2020 suscitent naturellement des questions quant à la protection des bases dans la région. Et on peut multiplier les exemples d’Etats se dotant de nouvelles capacités de frappes longue portée plus précises et donc plus dangereuses pour les bases avancées. 


mardi 30 juin 2020

Lecture - "L'autre terreur après la foudre - 11ème régiment d'Artillerie de Marine", sous la direction de Christophe Lafaye

Le livre régimentaire est un format éditorial en soit. Avec ses parties historiques obligées, ses narrations qui ne parleront parfois qu'aux anciens de l'unité, ses successions d'événements quelques fois difficilement replacés dans un cadre plus large, etc. Il peut néanmoins devenir un vrai "beau livre", bien illustré, avec des photographies de bonne qualité bien qu'anciennes pour certaines, avec une mise en page léchée et aérée, permettant de se plonger dans certains épisodes historiques plus méconnus, avec une iconographie pédagogique pour accompagner par des schémas clairs le lecteur moins expert de tel ou tel cadre géographique, etc. Voir être avec un format plus innovant et mixer, par exemple, les formats de narration : textes, photos et même dans celui-ci des planches de bande-dessinées.


C'est un peu tout ça que le dernier historique du 11ème régiment d'Artillerie de Marine (RAMa) (régiment breton, aujourd'hui basé à Saint-Aubin du Cormier, après avoir connu notamment Lorient) réussi à faire, sous la direction de Christophe Lafaye (déjà l'auteur d'un livre similaire sur le 19ème régiment du Génie et le 2ème régiment d'Infanterie de Marine, toujours par les Editions de Pierre de Taillac, qui nous habituent aux "beaux livres"). Du corps royal de l'artillerie des colonies jusqu'aux dernières poches territoriales de l'organisation Etat islamique au Nord de la Syrie, en passant par l'Adrar des Ifoghas au Mali, l'Argonne et les contreforts de l'Aisne en 1940, l'opération Daguet en 1990-91, etc. C'est l'histoire du 11e régiment d’artillerie coloniale lourde hippomobile mixte malgache jusqu'au régiment d'appui-feu et renseignement de la 9ème brigade d'Infanterie de Marine (BIMa) qui se laisse ainsi découvrir.

vendredi 19 juin 2020

MGCS : derrière l’armure, la poursuite d’un système de combat terrestre complet - Partie 3 (+ MAJ)

Série d’articles rédigée par Nathan Gain - FOB et Florent de Saint Victor - Mars Attaque. Après une première partie abordant le lancement du programme MGCS et une seconde partie sur les questions industrielles, la troisième et dernière partie traitera des questions technologiques. 


Crédits: KNDS.

Quels grands axes technologiques attendus ? 

Le général Beaudouin (EMAT) indique : "En termes de mobilité, la roue perd ses capacités de franchissement d'obstacles à partir de 32 tonnes environ. Or, la masse nécessaire à la protection du MGCS dépassera largement les 40 tonnes et imposera des chenilles. Néanmoins, les nouveautés technologiques à venir permettent d'optimiser les performances pour ne pas créer des monstres de 70 tonnes et plus. Elles pourraient être :
  • Des automatismes poussés limitant l'équipage, et donc la masse nécessaire de la cellule de survie ;
  • Une protection limitant la nécessité de blindage passif lourd, en utilisant des solutions innovantes de destruction à distance des menaces arrivantes (comme le système « hard kill ») ;
  • Une différenciation des armements selon les plateformes, plutôt qu'un seul armement très lourd polyvalent, comme est actuellement le canon de 120 mm sur le Leclerc".
À la demande des utilisateurs finaux, les militaires, un point d'importance particulier sera apporté dans la recherche d’un tonnage maitrisé, pour garantir la mobilité, la vélocité et l'agilité des véhicules, notamment grâce à des nouveaux blindages et des systèmes de protection actifs / passifs. Soit une protection non uniquement basée sur la masse, en ajoutant uniquement des couches successives et de l’épaisseur au blindage. Masse et mobilité toujours, comme l’indique un militaire français : "La chenille souple résiste étonnamment bien grâce à sa structure à bandes. Dans 5 ans, les industriels atteindrons potentiellement les 50 tonnes voir les 55 tonnes. Passer ce cap sera en revanche très dur pour des raisons de refroidissement". Autant de choix qui restent encore à finaliser dans le cadre des études actuellement menées. 

Des études préalables (cf. premier article), quelques technologies clés ont été identifiées comme nécessaires, rappelle l’Institut Saint Louis (ISL), notamment : 
  • Une survivabilité à augmenter (blindage actif pour réduire la signature, blindage réactif contre les munitions à haute énergie, cellule de survie dans le châssis pour l’équipage, systèmes de protection hard et soft kill contre les missiles et roquettes, etc.) ; 
  • Des capacités de reconnaissance/identification longue portée et automatiques à 360° (avec des interfaces de réalité virtuelle), et des drones pour la surveillance hors de la vue ; 
  • Une capacité augmentée de partage / utilisation des données (IA). 
Ainsi que des questions à trancher sur la capacité de l’équipage (réduit ou non à 2, conservé à 3, voir augmenté à 4) pour à la fois gérer la plateforme principale et à gérer l’ensemble des drones (terrestres et aériens).