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Pour préparer la succession du char Leopard 2 de la Bundeswehr allemande et du char Leclerc de l'armée de Terre française, le programme franco-allemand d’un futur "système de combat terrestre de décision" (sans acronyme officiel encore connu à ce jour), aussi appelé Système Principal de Combat Terrestre ou Main Ground Combat System (MGCS), a été récemment lancé sur le plan industriel.
Le 12 mai 2020, l'Office fédéral des équipements, des technologies de l'information et du soutien en service de la Bundeswehr (BAAINBw), agence contractante pour la France et l'Allemagne, lance officiellement la phase de définition de l’étude d’architecture système. Cette étape se traduit par la signature de l’étude dite "System Architecture Definition Study - Part 1" (SADS Partie 1), point de départ industriel vers la phase de démonstration commune du MGCS. Un premier contrat de 30M€ est notifié auprès de l'ARGE mis en place en octobre 2019 par les trois industriels concernés, Nexter, Rheinmetall Land Systems et Krauss-Maffei Wegman (KMW). Acronyme allemand signifiant "Arbeitsgemeinschaft" (ou "groupe de travail", équivalent français d’un GME ou Groupement momentané d’entreprises), cette structure ad-hoc sera le partenaire contractuel du BAAINBw pendant la première phase du programme.
Cette étape clé s’inscrit dans la suite de deux accords bilatéraux (accord-cadre et accord d’application n°1) finalisés plusieurs semaines auparavant après avoir reçu l’aval final de la Commission budgétaire du Bundestag allemand, le 11 mars. Ces deux documents ont été signés le 24 mars par l'Allemagne et le 3 avril 2020 par la France, ouvrant la voie à la notification des premières études industrielles.
Passage en revue de ce qu’il est en partie possible de dire sur ce programme aujourd’hui, d’abord du point de vue des futurs utilisateurs et des concepts, puis, dans de prochaines parties, d’un point de vue industriel et technologique.
Ce système s’inscrit pour la partie française dans le programme Titan,
dénomination officialisée il y a quelques semaines par le chef d’état-major de
l’armée de Terre pour qualifier le successeur du programme Scorpion (qui était
centré sur la modernisation des capacités du segment médian). Titan assurera
lui le renouvellement du segment lourd : successeur du char Leclerc (MGCS), de
l'hélicoptère Tigre, des systèmes d’artillerie LRU/Caesar (programme CIFS -
Common Indirect Fire System, voir ci-dessous), revalorisation et succession des
blindés VBCI (qui connaissent actuellement leur visite périodique des 10 ans),
développement d’une couche supérieure d'interconnexion avec les autres
milieux/alliés (SCAF, PANG, etc.), etc. Selon le général Charles Beaudouin,
Directeur Plans et Programmes au sein de l’état-major de l’armée de Terre
(EMAT), "Les composantes de ce projet s'inscriront dans des
coopérations européennes. Comme pour le Main Ground Combat System (MGCS) et le
Common Indirect Fire System (CIFS), programmes franco-allemand déjà annoncés.
Il s'agira de déterminer ensuite les coopérations possibles pour les
successeurs du Tigre et du VBCI".
Sur les attendus actuels du programme du point de vue des futurs utilisateurs,
il indique que : "Le MGCS doit être un système de supériorité terrestre,
occupant le terrain en premier échelon, apte à détecter toute cible ennemie et
à la détruire instantanément (dans des combats de duel), si durcie soit-elle.
Agissant au contact direct de l'ennemi, il doit offrir une protection contre
tous type de menaces directes, voire certaines menaces indirectes. Au final
donc, la mobilité, les capacités de détection et de destruction
("hunter-killer") et la protection resteront des invariants ». Car, «
pour parler simplement, directement et de manière concise : imagine-t-on le
champ de bataille futur sans blindés ? Non (et qu'on ne parle pas de l'illusion
du tout robot "autonome" pour le moment). Qu'est-ce que le char ? Un
blindé qui optimise trois fonctions : puissance de feu (associée à une optronique
de grande qualité), mobilité et protection. Il n'y a là que du très nécessaire
au combat de demain".
MGCS s’inscrira aussi pleinement dans les points d’efforts mis en avant dans le
nouveau plan stratégique de l’armée de Terre, prochainement dévoilé publiquement
par le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). Celui-ci mettra l’emphase
sur la nécessaire préparation opérationnelle renforcée au combat de haute
intensité, avec la fin d’un certain confort opératif des dernières armées et
une montée en gamme, présente et attendue, des adversaires.
MGCS répondra aux attendus d’une armée de Terre de 1er plan, offrant un modèle
d’armée complet (ou presque complet), impératif pour agir seul, entrer en
premier et affronter tout type de menace (conventionnelle, hybride,
irrégulière), avec une masse critique et la capacité de la générer et de la
régénérer (recrutement et formation). Tout en étant dotée d’équipements de 4ème
génération pour participer, avec le soldat au centre, au maintien de la supériorité
opérationnelle.
Pour l’Allemagne, réaliser le système principal du combat direct au sol
De manière relativement similaire, côté allemand, le MGCS doit devenir un
système opérationnel, durable et soutenable "pour une action directe
sur le terrain contre un adversaire égal. Il remplacera le char de combat
Leopard 2 et maintiendra ses capacités. Avec son approche innovante et ses
technologies modernes, il va toutefois bien au-delà d'une simple continuation
linéaire des capacités existantes du Leopard 2", indique un récentrapport sur l’armement du ministère fédéral de la Défense. En effet, le
programme est rendu nécessaire par le fait que "le Leopard 2 est le
principal instrument des capacités de l'armée dans le domaine de l'action
directe et un élément clé de la défense nationale et de l'Alliance. En 2035, le
Leopard 2 sera en service depuis plus de 60 ans. Et les limites à son
développement seront atteintes en raison du cadre technique de base".
Pour le cadre politique, dans la continuité des déclarations franco-allemandes
conjointes, il est précisé que "les projets d'armement bi- et
multinationaux reflètent les priorités politiques de l'Allemagne en tant
qu'acteur responsable de la politique étrangère et de sécurité ainsi qu'en tant
que partenaire fiable, ainsi que comme zone d'implantation d'une industrie de
technologie de défense innovante. Le projet MGCS participe à l’étroite
imbrication et intégration progressive des forces armées européennes. À
l'avenir, les capacités militaires seront également planifiées, développées,
acquises et fournies sur une base commune dans une part encore plus grande".
Ce qu’indique également le côté français en précisant "avec ce projet,
l'Allemagne et la France envoient un signal important pour la coopération
européenne en matière de défense".
Sur le plan de la politique industrielle, le même rapport développe "Le
développement et la production du MGCS apportera une contribution significative
à l'utilisation des capacités nationales [allemandes] d'ingénierie et de production
dans l'industrie des systèmes terrestres. […] Le projet doit préserver les
intérêts allemands dans la technologie industrielle de défense
"construction de chars", définie comme clé. […] Du point de vue de la
politique d'armement, le MGCS est, d'une part, un moteur technologique dans le
domaine des systèmes terrestres, et, d'autre part, il peut donner l'impulsion
nécessaire à une réorganisation à long terme, tout d'abord de l'industrie
franco-allemande, puis de l'industrie européenne des systèmes terrestres".
Notamment pour les domaines : plateformes protégées, protection, capteurs et
opérations en réseau, précise le même rapport.
Une longue généalogie débutée formellement en 2012
Les origines du programme MGCS remontent à 2012, année du cinquantenaire du
Traité de l’Elysée. À cette occasion, les deux pays signataires, l’Allemagne et
la France, annoncent leur intention de faire route commune pour le remplacement
de leurs flottes de chars de combat. Ingénieur en chef au sein de la DGA, Alain Jacq (architecte des programmes MGCS et CIFS - artillerie du futur - au sein du service SPSA ou service de préparation des programmes futurs et d'architecture, cf. ci-dessous) précise dans un article de mars 2019, le travail préalable effectué "pour une réflexion capacitaire
ouverte et sans préjugé, parce que le successeur d’un char ne doit pas être
automatiquement un char". Ainsi, "dans une première étape de
2012 à 2014, ce fut d’abord une réflexion commune [franco-allemande] sur le
besoin et les attendus d’une capacité devant permettre à nos forces terrestres
d’opérer en supériorité sur l’ensemble des terrains, dans l’ensemble des
contextes où les intérêts respectifs peuvent les amener à se déployer. Nombre
de scénarios et de vignettes tactiques reflétant les attentes respectives dans
leurs aspects communs comme dans leurs différences ont ainsi été travaillées en
groupes de travail étatiques bilatéraux. Au prix d’échanges intenses, ce
premier défi que de poser les bases d’un besoin commun pour le MGCS fût
accompli mi-2014".